Les histoires tristes me collent au corps, c’est le titre du premier ep de Noor, paru le 18 octobre. Si les histoires tristes s’infiltrent dans sa vie privée, côté musique, lauréate en avril dernier du prix des Inouïs du Printemps de Bourges, Noor aura vécu une année faste. Avec son piano, elle chante ses tourments les plus purs, s’inscrivant dans la grande tradition pop. On a discuté avec elle.

Noor, bienvenue à L’Autre Canal pour la tournée des iNOUïS du Printemps de Bourges. Ton premier ep Les histoires tristes me collent au corps est sorti il y a quelques jours et tu enchaînes avec une tournée. C’est un joli départ ! 

C’est vrai que c’est bien. Au moins je n’ai pas le temps de trop stresser. Je gère cette tournée plus qu’autre chose, j’aime bien. Je ne suis pas seule avec mes émotions. 

C’est comme si ces histoires tristes qui te collent au corps, tu essayais de les secouer, comme si tu avais essayé de les semer un petit peu sur la route tout de suite, avec des dates, les partager avec des gens immédiatement.

J’ai eu la chance que ça se fasse avec les Inouïs et que tout s’emboîte bien pour l’automne. Mais c’est un cadeau de pouvoir sortir un ep et de le défendre quelques jours plus tard sur scène. C’est beau.

Tu as été lauréate des iNOUïS du Printemps de Bourges au printemps dernier. Qu’est ce que ça a changé dans tacdémarche, dans ta carrière, dans ta pratique ?

Déjà, je pense que ça a changé un truc en moi, au niveau de la légitimité. Ça donne de la force intérieure.Et ça a changé aussi un peu le regard des autres ! Forcément, on se retourne un peu plus sur moi. On se dit ok, qu’est ce qu’elle fait ? Mais je pense que le truc qui m’a fait le plus plaisir dans cette aventure, c’est le Printemps de Bourges. C’est le live quoi. Et moi c’est l’endroit où je préfère être au monde. Donc le rapport au live et le fait d’être mise en avant pour ça, ça me touche plus qu’autre chose. 

« Je me dis que je ne souffre pas pour rien. »

Qu’est ce que ça t’a fait reconnaître en toi ? 

Je ne pense pas que ça m’a fait me rendre compte de certaines choses. Je sais que je veux faire ça depuis toujours et je me bats pour ce métier depuis que je suis née. Donc j’ai conscience que je ne pourrai jamais rien faire d’autre. Après, quand j’ai gagné, j’étais très mal à l’aise. J’ai pris le prix, mais j’ai dit qu’il y avait les 33 autres Inouïs qui le méritaient autant. Ce n’est pas évident d’avoir cette place là. Moi, j’ai surtout gagné quand j’ai été sélectionnée à la première étape, que j’ai su que j’allais à la Maroquinerie. Et surtout, j’ai su que j’allais à Bourges. Pour moi, c’était là et je me suis dit : “ok, ça démarre, c’est trop bien”. 

Et puis ça permet de s’inscrire aussi dans une génération de jeunes artistes, d’autres projets, d’autres genres musicaux même. C’est aussi toute la particularité des Inouïs : on gagne au milieu d’artistes qui font une musique très différente ! 

C’est sûr, il y avait tellement de genres musicaux différents. D’ailleurs, on a été plutôt dans la pop cette année à gagner. Donc je me disais qu’il y avait d’autres genres qui auraient pu aussi être mis en avant. Ça aurait été chouette. Mais bon, après ça a été fait comme ça. Et puis vive la pop ! Mais être entouré d’autres artistes, il y a ce truc là aussi où vraiment ça nous ramène à l’humain. Et c’est hyper important parce qu’avec les réseaux et tout, on ne se parle pas trop entre artistes, on fait notre truc. Mais là, c’était humain, et moi, ça m’a fait beaucoup de bien.

« Le live, c’est le seul endroit dans la vie où je n’ai pas mal. »

Tu dis que le live, c’est un espace très important. Tu l’as compris tout de suite, dès la première scène que ce serait en voyant les autres directement ressentir ta musique, qu’elle prendrait tout son sens ?

Le live, c’est le seul endroit dans la vie où je n’ai pas mal. Le seul endroit où je ne suis pas triste. Le seul où je suis vraiment heureuse. Pour moi, le live, c’est vital. Je ne pourrais jamais faire sans. C’est pour ça que tout ce processus de Bourges pour moi, c’était une validation et j’ai été fière de moi. On m’a remarqué pour ce que je préfère faire au monde. Donc ouais, c’est chouette.

Et avec la sortie de ce premier EP, le fait de savoir que les gens écoutent tes chansons à la suite les unes des autres, qu’elles racontent des histoires tristes dans la longueur, ça enlève pas un peu de douleur ? Justement, le fait d’avoir matérialisé un endroit précis, avec ce projet qui est sorti pour de bon. 

Je pense que l’endroit où ça m’enlève de la douleur, c’est dans la réaction du public. C’est à dire que on prend vraiment le temps de m’envoyer des messages et de me dire : “merci, tu as mis des mots”. Alors ça sert à ça l’art. Mais c’est vrai que du coup en ce moment j’ai plus l’impression de me dire que je dois les défendre, que je dois les chanter pour les gens qui sont encore là dedans. Je me sens du coup moins triste — je me dis que je ne soufre pas pour rien. C’est le plus beau cadeau.

Tu as l’impression de devoir quelque chose à tes chansons ? 

Moi je chante sur le moment pour me sauver. On en parlait d’ailleurs avec les autres artistes en ce moment, parce qu’on est tous ensemble. Il y en a qui attendent, ils reçoivent la peine et après ils se disent ok, faut que je la digère, je vais en parler un peu plus tard. Alors que moi, en fait, c’est le seul moyen pour que ma douleur s’apaise un peu. Une fois qu’elles sont là et que je les ai mises au monde, je me dis que je dois maintenant leur faire honneur. Parce que moi, sur le moment, elles m’ont sauvé. Tu sais, il y a une urgence absolue de le faire immédiatement au moment de la composer. Par contre, pour la sortir, c’est très très long. 

Trop long ? 

Je vais remédier à ce problème ! Je vais prendre moins de temps pour les prochaines, histoire de retrouver un petit peu d’immédiateté, de spontanéité. Réduire le temps entre le moment où une chanson est créée, pensée, voire même qu’une histoire est vécue et le moment où elle sort et rencontre les gens. Moi, j’aimerais que ce soit plus rapide. La scène, c’est tellement un bonheur, mais encore plus quand je défends mon présent. Là, c’est quand-même plutôt le passé. 

Oui, tu disais dans une description Instagram au moment de la sortie de ton projet, “C’est six ans de ma vie, c’est 1 million de pleurs.” Ça pourrait être les six derniers jours, ça pourrait être les six derniers mois pour coller à une immédiateté un peu plus précise, non ? 

Là, ça fait vraiment six ans, par exemple H24 qui est dans le projet, elle a six ans.  Il y a eu un long bloc, une longue période bleue, une période triste peut-être. Je ne sais pas s’il y aura des périodes joyeuses.

« Je suis heureuse de rendre ma tristesse jolie. Je suis fière d’elle. »

Je te le souhaite ! Tu travailles par période ?

En tout cas, cette paix-là, j’ai eu envie de lui donner une période. Sortir un projet, c’est grand dans une carrière, c’est grandiose. C’est un moment qui va être marqué, qui ne va pas bouger. Surtout un premier projet. Il doit porter l’essence même de ce que je vis depuis des années. Il y a une émotion, il y a une couleur. Et d’ailleurs on le dit souvent quand je lis des articles, “c’est l’ep post-rupture”. Il y a ce côté là où j’ai envie de m’en sortir. Je vous promets rien pour la suite. Je vous promets pas du rose tout de suite.

Oui, bien sûr, mais c’est forcément des images desquelles on a envie de se détacher progressivement pour ne pas devenir la chanteuse du post-rupture, non ? Vivre des ruptures en permanence, juste pour les raconter, imagine…

J’en peux plus de ça ! Je trouverais toujours un moyen de parler d’amour de manière différente, parce que aussi j’évolue et que je ne vis pas les mêmes histoires au fur et à mesure. Mais après ce projet là, j’ai voulu lui donner ce titre : Les histoires tristes me collent au corps parce que je savais que ce projet était triste et je me suis dit qu’il valait mieux que je l’assume et que les gens sachent à quoi s’attendre. Après, on en parlait avec un Inouïs tout à l’heure, il m’a dit : je ne m’attendais pas avec ce titre d’ep, recevoir à la fin Colle au corps qui est un cri plus joyeux. Il pensait que ça allait être vraiment deep cette chanson là. Je suis heureuse de rendre ma tristesse jolie. Et je suis fière d’elle.

C’est une technique malicieuse parce qu’en fait, quand on met du sombre et quand on impose justement un déficit de lumière, l’éclaircie, la petite embellie, la petite étincelle, elle apparaît comme un volcan, forcément. Et c’est un petit peu l’effet que fait Colle au corps non ?

Oui, c’est ma préférée.

C’est vrai ? 

Oui, parce que c’est le seul endroit où je ne suis pas en train de parler d’une histoire précise. Je fais un constat de moi, de ces six ans, de ma vie, de mes larmes. Je constate et je me dis d’accord, ça te colle au corps, mais du coup, fais en ton plus beau vêtement en fait. Et j’ai eu envie d’être fière de me dire tu as vécu tout ça, c’est que tu devais le vivre. Tu fais des chansons, tu rencontres des gens sur scène, donc sois fière d’elle aussi, c’est important. C’est la chanson la plus récente, donc la suite pourrait avoir ce goût là quelque part.

C’est la chanson la plus récente ? 

Oui. 

Donc la suite pourrait avoir ce goût-là ? 

Rires.

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Vous pouvez retrouver Noor sur Instagram, sur TikTok

Interview : Arthur Guillaumot, réalisation et montage : Diego Zébina, ingé son : Joshua Thomassin. // Avec les moyens techniques d’Alice Chatard et de L’Autre Canal. Interview à retrouver sur Splash, le blog de L’Autre Canal.

Interview réalisée à L’Autre Canal à Nancy, le 24 octobre à l’occasion de la tournée des iNOUïS du Printemps de Bourges du Crédit Mutuel.