< Tous les articles Cinéma Interviews Jan Kounen : « C’est sans doute l’expérience visuelle la plus importante que j’ai faite » / Interview Par Alexandre Barreiro 23 octobre 2025 5 ans après son dernier film, Jan Kounen revient à l’affiche avec un nouveau long métrage : L’Homme qui Rétrécit. Nous en avons discuté à la suite d’une avant-première, lors du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. En tout premier, je voudrais vous poser la question que tout le monde se pose : est-ce que c’était chiant de contrôler le chat ? Pour lui faire faire ce que vous vouliez. Ah oui, c’est la question que je me suis beaucoup posée avant de tourner ce film. Je me suis dis “mais ça va être un enfer avec le chat” parce que ce n’est pas juste de capter ce qu’il a à faire, c’est qu’il faut qu’il le fasse à un moment très précis. Puisque c’est des plans composés, il faut lancer la caméra pilotée par un ordinateur dans un mouvement qui reproduit le mouvement qu’avait fait la course de Jean [Dujardin] et le chat doit rentrer dans le cadre au bon moment, donc ça se joue à la seconde. C’est des choses difficiles à caler même avec un humain. Mais le chat était super, il ronronne dans le film et c’était ses vrais ronronnements parce qu’il s’amuse ! Le chat il s’appelle Tchoupi, c’est son sixième film.Il a une grande carrière devant lui. Ah oui oui, une grande carrière. Il va faire des cover de Premiere, “l’année de Tchoupi”. C’est votre 5ème film qui est une adaptation. Qu’est-ce qui vous pousse à réaliser des adaptations ? De toujours récupérer une histoire, la réadapter, la mettre en scène, la mettre à l’écran. Il y a deux raisons. D’abord quand il y a une histoire qui vous parle, un roman, une nouvelle ou une BD et que vous êtes inspiré, c’est parce que ça fait résonner des choses en vous. Dans les thèmes, quelque chose qu’on a envie de porter. Il y a une résonance et vous voulez l’amener quelque part, donc se baser sur un récit qui existe déjà c’est un coup de foudre. Tu vois, c’est comme un morceau de musique, plutôt que de composer, on met des fois des musiques qu’on aime dans les films, c’est la même chose. C’est composer avec, c’est jouer avec. Donc j’aime beaucoup l’idée d’adapter. Maintenant il se trouve que les deux premiers par exemple, c’est moi qui ai choisi de les adapter. J’ai aussi écrit pas mal de scénarios originaux, mais en général, j’avais du mal à les financer. Non pas à cause de la qualité du scénario, mais peut-être parce que c’est des univers qui vont trop dans l’étrangeté, le fantastique ou la bizarrerie, des choses qui sont difficiles à financer. Mon Cousin c’était pas mon histoire au début. J’ai juste travaillé sur l’adaptation, c’était un exercice de style. C’est pas vraiment mon monde. Est-ce que je suis capable de le faire ? Je me surprends moi-même. Je n’aurais pas fait ce film, mais j’aimais les acteurs donc voilà je me dis “tiens il faut que j’essaie une fois”. Parce que des fois, je vois ce type de film et ça me paraît venir d’un autre espace. Donc là j’ai mis des choses dans le scénario. Maintenant, j’aime beaucoup les récits parce qu’un récit c’est une histoire. Quand tu vas la mettre en film, toute l’idée c’est d’aller chercher l’essence de cette histoire. Qu’est-ce qui te parle et qu’est-ce qui est au cœur ? Tu peux tout changer, c’est un autre média, tant que tu touches pas à l’essence de ce qu’est le film. 99 francs, c’est un pamphlet sur la consommation sur notre monde et ça a une certaine verve et force, ça c’est l’essence de 99 francs. Tu vas la mettre à la fois visuellement et tu vas garder ça, mais l’histoire, tu vas la raconter différemment et les deux ont leur place. Quelle était l’essence immuable de L’Homme qui Rétrécit ? Ce à côté de quoi vous ne pouviez pas passer ? La trajectoire du personnage, c’est ce qui est important dans le film des années 50 et le roman pour moi. Et même si parfois, des gens le voient plus dans le film que j’ai fait que dans le roman ou dans l’ancien film, je pense que c’est vraiment un film qui nous fait ressentir la permanence des choses, la vie, la mort et aller vers la mort. La maladie, la mort, rétrécir, c’est une métaphore, mais qui nous permet d’appréhender comme une sorte d’état de conscience modifié que ce qu’on appelle réalité. Et là-dedans, il y a ce voyage vers l’acceptation. Survivre, pourquoi ? Accepter de faire partie de l’univers. Amener cette ouverture, ce chemin qui est un chemin qu’on doit emprunter de toute façon de manière obligée pour tout être humain. Le seul point commun qu’on a, c’est d’être né et qu’on va mourir. On vit dans des mondes différents dans nos têtes, on vit des vies différentes, on a des moments différents. Mais on va mourir. Le roman portait ce truc là qui m’avait fasciné. C’est un film sur la mort mais c’est pas morbide du tout. Il y a une dimension poétique, folle et créative et le roman a aussi cette chose-là. Et les deux sont un peu plus cachés dans les objets qu’ils sont. Moi je l’ai peut-être un peu plus révélé dans le film, plus manifesté. Vous pensez que c’est ça la différence entre votre œuvre et les deux qui ont précédé ? Le côté démonstratif. Non, parce que c’est pas démonstratif non plus, mais c’est plus révélé. Ce que je veux dire, c’est que les gens voient plus la dimension philosophique dans celui-là que dans les autres. C’est ce qu’on m’a dit d’ailleurs hier. Moi je dis non ! C’est le même sujet, donc peut-être c’est un peu plus sorti. Il y a des différences entre le roman et l’ancien film. Donc j’ai pris des choses qui sont dans le roman mais qui ne sont pas dans le précédent film, comme la petite fille par exemple. Mais par contre, je n’ai pas pris la structure narrative du roman mais celle du film. Nous avons écrit des choses qui n’étaient dans aucun des deux. Au bout du compte, il n’y a pas de grandes différences. Si tu prends l’œuvre originale, le film et la première adaptation, tu peux faire des ponts d’un côté et de l’autre. La vraie différence entre les deux films, c’est le temps qui a passé, les technologies employées, l’interprétation. Je pense que j’ai plus fait une réadaptation du roman qu’un remake du film. Tout en gardant un tas de choses du film, dont la structure narrative et des objets, des moments comme le fauteuil ou la boite d’allumettes. Je fais référence au film, car pour moi c’est un film culte pour lequel j’ai beaucoup d’admiration et même un lien fort. J’ai fait le mien avec respect mais avec liberté aussi. Est-ce que vous pensez que votre film se suffit à lui-même ? Ou est-ce que pour avoir la globalité de l’histoire, les thèmes abordés, les thématiques, il faudrait avoir au moins regardé l’ancien film ou s’attaquer au livre aussi ? Non, je pense que quand tu fais un film, tu fais un film. Le film, tu n’as pas besoin d’aller lire le livre. Quand tu vois un film adapté d’un roman, tu n’as pas besoin de lire le roman. Si tu as en besoin, c’est peut-être que tu n’as pas compris des choses dans le film et que tu as envie de le faire. Tu vas lire le roman et tu vas trouver d’autres choses mais ça va te raconter la même histoire différemment. Et voir les autres œuvres, ça peut parasiter l’appréciation du vôtre de se dire “il manque ci ou ça qui n’a pas été fait, il a enlevé ça, il a rajouté ça”, ça peut frustrer. En général, comme j’ai quand même beaucoup respecté l’œuvre originale pour l’instant, je n’ai pas rencontré de gens comme ça. Ou alors il y a des gens qui disent “oui j’aimais telle scène” mais je fais mes choix. Si tu as vu le film de 57, tu peux peut-être te dire “ah oui c’est dommage il n’y a pas cette scène” mais tu ne vas pas dire “le film est mauvais” pour ça. Il y a un lien respectueux entre les deux. Il y aura toujours des détracteurs. Ce n’est pas nécessaire du tout de voir l’autre film. Mais après ça peut-être intéressant je pense.Est-ce que vous pensez que votre film rentre dans l’esprit du festival ? Le côté fantastique est assez évident mais beaucoup des films qui sont proposés sont très dystopiques alors que votre film est, comme vous l’avez dit, une quête personnelle plus que sociétale. Quand j’ai vu la bande annonce du festival, ça s’écharpe plus, c’est dystopique, c’est plus énergique. Je dirais que le Dobermann que j’ai fait il y a bien longtemps est beaucoup plus proche, même si c’est pas un film fantastique, dans l’énergie des choses du festival. D’ailleurs, quand j’ai fais la présentation du festival, tout le monde était à fond, tout était speed, les images étaient speed dans tous les sens. Quand j’ai présenté le film j’ai essayé de dire “attention, là il y a quelque chose de classique”, ça reste purement un film fantastique. Mais en fait moi, je trouve toujours bien quand dans un festival il y ait des choses qui sortent un peu des rythmes et ça s’inscrit quand même dans un festival fantastique parce que c’est un film fantastique. Après, si c’est le seul qui est contemplatif, c’est comme si tu disais “tout les autres films sont des films lives et vous vous avez fait un film d’animation alors est-ce que vous trouvez votre place ?” Oui, fantastique, ça peut être de l’animation, ça peut être un film plus contemplatif, ça peut être ce qu’on veut, donc je ne me suis jamais posé la question. Je me suis juste dit que peut-être le public vient là pour avoir des boosts d’énergie, de la peur. Parce que c’est aussi un trip de voyage sensoriel et que le film proposait quelques séquences un peu secouantes, mais qu’il était peut-être un peu plus contemplatif que les autres films. Comme vous le dites, ce film est plus contemplatif, c’est bien moins une expérience visuelle comme vous avez pu le faire auparavant par exemple avec Blueberry. Qu’est-ce qui vous a fait choisir d’être plus soft dans la mise en scène et dans le film en lui-même ? Ce film, c’est sans doute l’expérience visuelle la plus importante que j’ai faite. C’est en soit un film totalement psychédélique parce que le travail pour fabriquer ces images réalistes d’un monde qui s’agrandit autour du héros, c’est d’une grande complexité. Et en même temps, j’ai voulu le faire d’une manière plus classique parce que j’aimais cette idée-là. C’est-à-dire que dans ce type de film, comme c’est un drame, il faut rester à la hauteur des personnages, c’est tout le décor qui change. Je trouvais qu’une empreinte plus classique, un rythme plus lent, était quelque chose qui était plus juste pour le film. Un cinéaste, ça s’adapte. Si j’avais eu cette idée, j’aurais fait sans doute quelque chose de très différent mais je respecte l’œuvre et elle a cette énergie-là à la base, le film réclame ça aussi. C’est très intuitif et je me suis dis que c’était l’occasion de faire quelque chose avec l’amour d’un certain cinéma. Il y a un côté un petit peu hitchockien dans la première partie, les plans sont longs, tu gardes ça, et petit à petit tu rentres dans le monde surréaliste du film. Mais tu gardes ce rythme et pourquoi ? Parce que c’est le rythme qui convenait au film. J’en ai fait deux avec un type de rythme un peu proche, c’est Chanel et Stravinsky et ce film. Dans ces deux films, j’ai trouvé que le genre, la nature du film et ce qu’il raconte, nous permettait d’aller plus lentement et de ne pas faire des plans tape-à-l’œil. Il y en a moins que dans les autres films que j’ai faits. Parce que là, ce qui tape dans l’œil, c’est juste la situation. Si tu le filmes de manière classique, ça devient des grands espaces alors que c’est tout petit, ça devient des paysages, des images de western, des images de films héroïques ou épiques. Ça devient Le Hobbit à la fin, à un moment où il est dans un monde complètement surréaliste. Mais nous on reste toujours dans son rythme et à sa hauteur. Je trouvais que ça amenait quelque chose qui était relié au film. Concernant la direction d’acteur. Puisque Jean Dujardin est quasiment tout le film tout seul devant la caméra, est-ce que pour vous ça a été plus simple de diriger une seule personne ou est-ce que c’était plus compliqué puisque tout reposait sur lui ? Est-ce que vous étiez plus dur dans vos attentes ? J’avais un peu peur pendant la préparation qu’il devienne un peu zinzin. Parce qu’il allait jouer sur un fond bleu. On lui raconte “y’a ça”, la balle de tennis, la marque sur le fond vert, ça c’est l’araignée, ça c’est ça. Et il jouait sans personne et il avait des objets et des lieux. Des décors ont été construits, la caisse, le carton, mais il devait travailler en rentrant dans son imaginaire. Il s’est très bien adapté. Pour moi, ça a été finalement un tournage classique dans le rapport à l’acteur principal qui est seul, parce qu’il aurait pu être dans une forêt. Avec en plus le fait qu’il fallait chaque fois l’aider, lui expliquer et lui montrer ce qu’il voyait, ce qu’il se passait, comment était la géographie, la sensation, pour l’aider à l’imaginer. On avait pour ça des prévisualisations, des images où il s’intégrait dans des décors en basse définition. On avait des outils. La deuxième semaine, je me suis dis que normalement c’est là que l’acteur commence à avoir une certaine fatigue. Mais il rentrait dedans, il partait dans l’aventure. C’est quand on a commencé les scènes avec les autres acteurs, je le sentais tellement habitué à être seul, que d’un coup c’était un nouveau travail de composer avec quelqu’un. Alors que souvent, les acteurs, ils aiment composer avec les autres. Là, il avait tellement pris de souffle sur six semaines à être tout seul que c’était super. Je sentais qu’il devait se réadapter à la normalité de son métier, un peu comme les astronautes qui lâchent leur verre ou leur brosse à dents quand ils se lavent les dents, qu’ils les posent en l’air et qu’elles tombent. Il devait se réadapter à des choses qu’il fait tout le temps. __ Vous pouvez retrouver Jan Kounen sur Instagram. Vous pouvez retrouver L’Homme qui Rétrécit au cinéma le 22 octobre. Interview réalisé à l’occasion du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, le 27 septembre 2025. 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