« Il vaut mieux mourir sur scène qu’en Ehpad« . Sur ces belles paroles, Mohamed El Khatib lance sa nouvelle création. Il y réunit 2 vieux, 5 vieilles et une comédienne pour aborder leurs désirs sexuels et leur condition avec tendresse et sarcasme. Malgré la mort qui rôde, une énergie vivace s’en dégage et ravit la salle.

C’est un habitué de l’exercice. Mohamed El Khatib travaille majoritairement avec des interprètes amateurs, et surtout avec celles et ceux qui ne sont jamais monté·es jamais sur scène, celles et ceux qui ne viennent pas au théâtre. C’est son projet théâtral, son projet politique. Avant de penser la forme de son spectacle, il décide de son adresse. « Les spectateurs auxquels je veux m’adresser, ils ne viennent pas au théâtre, et ça me rend triste, alors je n’ai pas trouvé d’autre stratégie {…} que de les faire entrer par la scène » disait-il dans la préface de Stadium, spectacle créé avec des fans du RC Lens. C’est comme cela qu’il a trouvé comment « donner de la chair à une idée« .

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Alors cette fois-ci, ce sera les vieux. Il tient à les appeler les vieux. Ce sont les vieux qui lui ont dit de ne pas faire le timoré à les appeler personnes âgées. Il faut assumer la vieillesse, qu’ils et elles disent, alors on les appellera les vieux.

Parti faire le tour des Ehpad avec cette annonce : « Si vous avez plus de 75 ans et des histoires d’amour, appelez-moi« , Mohamed El Khatib a rencontré des centaines de vieux en France et en Belgique. Puis il a voulu les faire monter sur scène, leur laisser le soin de dire leurs histoires.

Et les vieux ne se sont pas priés pour s’en emparer. Sur le plateau, transformé en salle de bal, ils nous content tour à tour leur parcours sexuel, entre éducation, mariage, tromperie et anecdotes les plus croustillantes. S’ils ne peuvent plus beaucoup bouger pour donner de la vie à leurs histoires, on les imagine avec eux. Et chaque moment où ils se domptent pour faire bouger les muscles, une explosion libératrice s’empare de la scène. Lorsque Sali twerk, c’est tout un monde qui demande à ce qu’on le regarde. Et peut-être que ce n’est que pendant 1h, peut-être que nous oublierons tout une fois sorti·es, mais à cet instant, nous regardons.

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Aborder la sexualité des vieux, c’est entrainer un flot de discussions sur les conditions d’accueil subies en Ehpad, par les vieux et par les soignant·es. Le racisme : les Ehpad sont constitués quasi à 100% de blancs. Les personnes racisé·es ont plutôt leur place du côte du soin. Yasmine Hadj Ali, qui interprète une infirmière, le résume par un si juste : « Je m’appelle Yasmine, d’origine aide-soignante« , avant d’évoquer les diverses remarques entendues sur ses talents pour le couscous ou la danse du ventre. L’assistance sexuelle : permise en Belgique, et apparemment testée par toute la troupe, pourquoi est-elle encore interdite en France ? La privation de liberté : à trop vouloir les protéger, les vieux sont infantilisés, traités comme des produits fragiles alors que leur dernière liberté est de profiter enfin de leur corps, pleinement. Mais aussi les relations avec les enfants, l’oubli, la maltraitance directe ou induite par le manque de moyens, etc.

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Tout est raconté sans filtre, sans prendre de pincettes avec la mort. La langue est brute et franche. Là où Mohamed El Khatib réussit d’emblée son pari, c’est que cette parole, de par ses interprètes, touche notre humanité, en plein centre. Et même si l’on aime pas les vieux, on est pris par cette vague d’empathie émanant du public. Pas une empathie condescendante, une empathie sensitive. Avec ce théâtre, l’émotion se partage sans barrières.

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Dans sa forme, ce n’est pas le meilleur spectacle de Mohamed El Khatib. On suit un relais d’anecdotes, ça manque un peu de peps et de rythme. Mais là n’est pas l’objectif. Ces vieux viennent, ils nous prennent une heure et nous racontent leurs histoires. Certaines sont mortes, contraintes de n’exister que par souvenir. Et pourtant, sur ce plateau, malgré des interprètes qui nous rappellent le contraire, elles revivent. Et nous un peu aussi.

__ 

Durée : 1h10

Avec (en alternance) Annie Boisdenghien, Micheline Boussaingault, Marie-Louise Carlier, Chille Deman, Martine Devries, Jean-Pierre Dupuy, Yasmine Hadj Ali, Salimata Kamaté, Jacqueline Juin, Jean Paul Sidolle, Gaby Suffrin
Conception Mohamed El Khatib 
Dramaturgie Camille Nauffray 
Scénographie Frédéric Hocké 
Vidéo Emmanuel Manzano 
Son Arnaud Léger 
Collaboration Mathilde Chadeau, Vassia Chavaroche
Vie médicale Paul Ceulenaere, Virginie Tanda, Vinciane Watrin
Entretiens Marie Desgranges, Zacharie Dutertre, Vanessa Larré 
Régie générale Jonathan Douchet 

Tournée : 

12 au 26 septembre : Paris – Théâtre de la Ville

05 octobre 2024 : Lugano 🇨🇭 – Festival Internazionale del Teatro

08 et 09 octobre 2024 : Saint-Ouen – Espace 1789

11 octobre 2024 : Choisy-le-Roi  Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi

09 et 10 novembre 2024 : Rome 🇮🇹 – Romaeuropa Festival

27 au 29 novembre 2024 : Orléans – CDN Orléans Centre-Val de Loire

12 au 15 décembre 2024 : Genève 🇨🇭 – Comédie de Genève

18 et 19 décembre 2024 : Cergy-Pontoise – Points communs

09 et 10 janvier 2025 : Aix-en-Provence – Théâtre du Bois de l’Aune

13 au 15 janvier 2025 : Arras – Tandem

17 et 18 janvier 2025 : Calais – Le Channel

28 janvier 2025 : Châteauroux Equinoxe

30 janvier 2025 : Blois – Halle aux grains

12 au 15 février 2025 : Clermont-Ferrand – La Comédie de Clermont-Ferrand

11 au 15 mars 2025 : Rennes – Théâtre National de Bretagne

28 et 29 mars 2025 : Annecy – Bonlieu

08 et 09 avril 2025 : ChambéryEspace Malraux

15 au 17 avril 2025 : Grenoble – MC2 Grenoble

27 et 28 mai 2025 : Le Mans – L’Espal

__

Texte : Joshua Thomassin 

Photos : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon