Article publié le 24 mai dans le numéro 10 de Première Pluie magazine.

__

À quelques semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris le 26 juillet prochain, l’événement ne semble pas susciter l’adhésion attendue. Comment expliquer le malaise qui règne autour de cette prétendue fête populaire ?

Sous le mandat de François Hollande, la France a accueilli ou candidaté à différents méga-événements avec une ambition claire : remettre la France sur le devant de la carte. Avec la COP 21 en 2015, les Coupes du monde de football féminin et de rugby (en 2019 et 2023), puis les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, la France s’assure une certaine souveraineté dans le paysage médiatique mondial. Au sein de ces compétitions parmi les plus suivies dans le monde, les JO représentent un enjeu majeur en termes de publicité pour les villes hôtes, auxquelles ils apportent une effervescence inégalable pendant près d’un mois. 

Pourtant, seulement 47% des Français·es se sentent confiant·es quant à la capacité du pays à organiser les Jeux Olympiques, selon un sondage IPSOS publié mi-avril. Respectivement 33% à 35% des sondé·es ont choisi les qualificatifs “inquiétude” et “indifférence” pour représenter leurs ressentis, quand seulement 19% optent pour “fierté” ou “satisfaction”. L’organisation de la 33ème cérémonie des JO d’été menée par le gouvernement français et le Comité Olympique semble être assez loin d’obtenir l’adhésion populaire, et les raisons pour expliquer cette retenue ne manquent pas.

Nettoyer au Kärcher 

Le nettoyage social opéré par la ville de Paris depuis sa candidature à l’organisation des JO 2024 y est pour quelque chose. Pour construire le village olympique en Seine-Saint-Denis, plus de 1500 personnes ont été délogées. Parmis-elles, des familles et travailleur·euses précaires et quelques sans papiers. Ces installations flambant neuves seront valorisées par la suite, avec l’ambition d’en faire un quartier de ville innovant avec 6 hectares d’espaces verts destiné à des populations aisées. La zone exclura les populations d’origine, avec une réduction progressive de la part des HLM à l’avenir. Ce village olympique sera la première pierre d’un dispositif de gentrification destiné à éloigner les populations les moins aisées de la capitale. Comme à Pékin et ses 1,5 millions de déplacé·es, comme à Rio et ses démantèlements de favelas sans ménagement : cette édition des Jeux est une occasion pour sa ville hôte de faire le grand ménage. 

À Aubervilliers, les jardins ouvriers des Vertus ont été rasés pour la construction d’un complexe de spa en extension d’une piscine olympique. Ce sont 4000 m² de terres maraîchères qui partent en fumée. Encore une fois, c’est un site destiné aux populations les plus précaires qui sera remplacé par… un solarium. 

Le 17 avril dernier, à 100 jours de la cérémonie d’ouverture, les autorités ont démantelé l’un des plus gros squats de France. Près de 450 personnes dont 80% au moins étaient en situation régulière selon United Migrants. Elles ont été évacuées dans la région de Bordeaux, où on leur a promis une prise en charge immédiate. Besançon, Orléans et plusieurs autres villes françaises ont fait état de la même situation, des bus de migrant·es et de sans-abris en provenance de Paris sont affrétés dans des villes de province sans aucun suivi. Certain·es se retrouvent directement à la rue, les capacités d’accueil sur place ayant parfois déjà atteint leur maximum. 

Plus personne ne dormira dans la rue d’ici la fin de l’année”, scandait Emmanuel Macron en 2017. 7 ans plus tard, il n’y a jamais eu autant de monde dans les rues la nuit et son gouvernement opère une stratégie de déportation des sans-abris qui font tache dans la capitale. Cette situation cristallise les échecs d’un gouvernement incapable d’assumer un accompagnement correct des plus précaires, dans un contexte de paupérisation et d’inégalités croissantes. 

Le réseau francilien à la rue

Alors qu’elle représente un enjeu majeur pour la bonne tenue des Jeux, la capacité du réseau de transport francilien à gérer le flux de voyageurs olympiques est largement remise en question. Depuis l’attribution des JO 2024, les prix liés aux transports dans la région n’ont cessé d’augmenter. Un tel événement représente une opportunité claire de moderniser son offre sur le long terme. Pourtant, la politique de Valérie Pécresse (à la tête de la Région) et Jean Castex (président de la RATP) n’est pas ambitieuse, après les 134 millions d’euros de déficit constatés au premier semestre 2023. En septembre dernier, de gros dysfonctionnements apparaissaient sur le réseau, qui n’était pas prêt à prendre en charge les flux importants de voyageurs de retour de vacances. Une appli dédiée à organiser au mieux les usagers pendant les Jeux a été développée, et le prix du billet passera à 4€ pour les non-franciliens sur la période, pour les inciter à… ne pas emprunter les transports en commun. Le corps organisationnel est pris de court. L’amateurisme est palpable dans l’organisation, et renforce la non-adhésion des Français·es à la fête. 

Les sportifs sans le sou

De même, le manque d’accompagnement des athlètes a été pointé du doigt par plusieurs personnalités, notamment Florent Manaudou. Alors qu’Emmanuel Macron évoquait des exigences de résultats ambitieuses (terminer 5ème de la course aux médailles), de nombreux athlètes se trouvent dans l’obligation d’ouvrir des cagnottes pour financer leur préparation. Dorian Lairi, champion de France de saut en hauteur, ou encore Dimitri Bascou, médaillé de bronze aux JO de Rio en 2016 sur 110 m haies, se retrouvent dans cette situation. Une politique sportive ambitieuse destinée à performer aux JO se pense sur une dizaine d’années avant l’échéance, comme celle menée par la Grande Bretagne en préparation des Jeux de 2012 à Londres. Après la sonnette d’alarme de la dernière édition à Tokyo il y a 3 ans, où la France avait – raisonnablement – sous performé, le gouvernement s’est montré confiant en se targuant d’un budget consacré au sport constamment en hausse. Cette communication ressemble à un abus de langage assez grossier, ce dernier étant en grande partie destiné au financement des infrastructures olympiques.

Des efforts en matière d’écologie 

En avril 2021, les organisateurs faisaient la promesse impossible à tenir d’organiser des Jeux qui captent plus de CO₂ qu’ils n’en émettent. 95 % des infrastructures utilisées dans le cadre de la compétition seront déjà existantes ou seront utilisées à l’avenir. L’offre de restauration sur le village olympique sera à 60% végétarienne. En prenant en compte le déplacement de voyageurs provoqué (34% des émissions), les infrastructures (33%) et la restauration, l’hébergement, la logistique, etc (33%), on prévoit un bilan carbone de 1,58 million de tonnes d’équivalent CO₂. Loin de l’objectif de neutralité carbone initial, mais loin aussi du bilan des précédentes éditions. Les jeux de Londres et de Rio avaient émis environ 2 fois plus de CO₂. Ceux de Tokyo chiffraient à 1,96 million de tonnes environ, alors qu’ils s’étaient déroulés sans spectateurs en pleine pandémie de Covid 19. Il faudra attendre la fin des festivités pour en être certains, mais les JO 2024 devraient être un succès relatif, niveau climat. Le projet d’assainissement de la Seine à 1,5 milliard d’euros aura des retombées positives sur le long terme. Avec un coût total qui devrait avoisiner les 11,8 milliards de dollars, ils seront les Jeux Olympiques les moins coûteux depuis Atlanta en 1996 (5 milliards environ). Bien que mitigés, les bilans économiques et écologiques de la 33ème olympiade semblent corrects comparés aux précédentes éditions.

Les JO, c’est à la télé 

Le problème, c’est que cette soi-disant fête populaire ne se fera pas pour le peuple. Malgré la mise en vente d’un million de places à moins de 24€, l’augmentation du prix moyen des logements sur la période rend difficile toute participation des foyers modestes. La nuitée passera de 132€ sur la même période en 2023 à 485€ pendant les JO à Saint-Denis (+ 268%). Malgré les performances budgétaires correctes liées à l’organisation, ce sont les foyers les plus modestes qui vont souffrir le plus pour payer la note, dans un pays où on apprenait en mars dernier que le déficit budgétaire est supérieur aux prévisions et s’établissait à 5,5% du PIB en 2023. 

Les Jeux Olympiques semblent être avant tout un outil de propagande pour l’État. Pour remplir des vides. Pour conforter un récit dominant qui dit “la France compte encore”, malgré l’incapacité à loger dignement ou à répondre aux préoccupations qui grondent dans le pays. Alors qu’un préavis de grève a été déposé par la CGT du 1er juillet au 8 septembre, Emmanuel Macron a appelé à une trêve olympique sans vraiment chercher à ouvrir le dialogue. 35 000 policiers et gendarmes et 18 000 militaires au moins sont attendus pour assurer la bonne tenue de l’événement (en étouffant la contestation). 

La 33ème sauterie olympique moderne risque de laisser un goût doux amer chez la plupart des Français·es. Dans un contexte où l’extrême droite prend toujours plus de place, le fossé creusé par les dépenses et la casse sociale pourrait nous précipiter vers le populisme pour de bon. La mise en place du Brexit en Grande Bretagne et l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil montrent une certaine prédisposition des pays organisateurs des Jeux à adopter cette voie.

__

Texte : Romain Bouvier

Visuel à la Une : Mathilde Petit

Article publié le 24 mai dans le numéro 10 de Première Pluie magazine.