Son premier projet SKO est sorti en juillet, le genre qui passe entre les volets, qui s’invite et s’invente, qui fait se succéder, dans un drôle de ballet, les ombres et les lumières, en soulevant les poussières. Alicia. est pleine de vie, la sienne et celles qu’elle englobe. Pleine de voix aussi, la sienne qui s’emporte, bête de scène, et celles des autres qu’elle porte. Très forte. Vraie discussion.

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Tu viens de sortir de scène, c’est ton premier concert depuis combien de temps ? 

Plus de six mois. C’est dur. 

Entre temps, ton projet SKO est sorti. C’est compliqué de ne pas aller le défendre sur scène ? 

Bien sûr. L’idée c’était d’aller le défendre sur scène pendant les festivals et montrer tous les son, montrer que le projet était vivant. C’est compliqué de se dire que ce travail de neuf mois, personne ne peut le voir. C’est particulier. Mais bon, ça nous laisse du temps en plus pour arriver avec quelque chose de très fort. Je vois toujours le positif. 

Après, ta musique, elle s’écoute autant dans le cadre d’un festival, qu’en solo. Elle est très intime. À quel moment tu as compris que tu allais aller aussi loin à la fois dans la légèreté et dans la profondeur, dans ce premier ep ? 

Je pense que c’est quand j’ai choisi ce titre de SKO. C’est Sioko. C’est mon troisième prénom, qui était le nom de mon arrière grand-mère. C’est un peu un héritage. C’est un peu de moi, un peu de tout. Je ne l’ai jamais vraiment connu. Et en même temps, j’ai beaucoup entendu parler d’elle. C’est quelque chose que je connaissais de loin. Donc la notion de rire, de faire des chansons qui n’ont pas vraiment de sens tu vois. Et en même temps, j’ai ce prénom-là. Donc, de près, j’ai cette chose intime, je raconte ma vie. 

Et ça peut aussi être une responsabilité, non ? 

Oui. C’est pour ça que je me suis dit qu’il fallait que je rallie les choses. Qu’elles avaient plus de sens comme ça. De mettre le nom de mon arrière grand-mère, donc mon troisième prénom, qui fait partie de moi, et en même temps la distance qui va avec le fait que je ne la connaisse pas vraiment. Cette distance, c’est l’espace du rire, de l’amour et de la légèreté. Il y a des distances qui ne sont pas les miennes, ça induit aussi de la distance. 

Cette distance, c’est l’espace du rire, de l’amour et de la légèreté.

D’ailleurs c’est rare sur un premier projet. À quel moment tu as trouvé ta façon d’interpréter ?

Je pense que c’est au moment où j’ai compris ce que je disais. Que je sentais que ça avait du sens, et que ça ne touchait pas que moi. Moi j’ai ma vie, mais on a tous des trucs qui nous relient aux autres. On a tous des similitudes dans nos histoires, à des degrés différents. Donc je pense que c’est quand j’ai compris que je pouvais écrire des sons qui ont du sens pour moi et pour les autres. Quand il y a eu cette dimension universelle, j’ai compris ce que je disais et ce que je voulais faire.

Est-ce qu’il y a des moments, paradoxalement, tu t’es sentie ne plus t’appartenir, dépossédée de tes mots, ou dépassée par l’ampleur des choses ? 

Bien sûr. J’ai commencé très jeune. J’écrivais des sons. Les gens écoutaient, c’était cool. Je me suis sentie très vite la porte parole de tout le monde. Tout le monde me disait d’écrire sur tel sujet, je me suis sentie alpaguée de partout. J’ai du retrouver ce sentiment de la blague  et de la spontanéité du début. Mais j’ai réussi à reprendre le cap maintenant. Je me suis dis que personne n’allait galérer à ma place, le soir quand j’écris toute seule, en studio ou sur scène. J’ai repris possession de ce que je fais. 

Je te pose la question parce que ça peut-être compliqué d’incarner tout ça. 

Bien sûr. Les sons que je fais sont universels, comme je te le disais, donc les gens se retrouvent dedans. Alors, il y a un moment où tu ne sais plus si tu as écrit pour toi ou pour quelqu’un d’autre. Et même, on se demande si l’histoire est vraie. Mais on se remet vite dans le droit chemin.

J’ai l’impression que tu es très sereine et très apaisée. 

En vrai ça va. Mais là je crois que c’est l’adrénaline de la scène qui retombe. Mais non, je n’ai pas de pression. La pression c’est que je reçois des mails auxquels je dois répondre vite. Mais sinon je n’ai pas de pression. Je suis chill. Il y a trop de problèmes déjà. Imagine si je me rajoute des problèmes. 

Dans un sens, je me dis que s’ils ne veulent pas le dire, moi je vais le dire.

À quel moment tu te sens différente dans la musique que tu fais au sein de la scène actuelle ?

Quand je sens que ce que je dis a plus de sens que ce que des gens de mon âge, ou des gens plus vieux disent. Je ne vais pas citer de noms. (Rires) Mais il y a des sons que j’écris, notamment Édémwa, sur les violences conjugales. Il est très lourd de sens. Je sais qu’il y a une grande part des gens dans la musique actuelle qui ne pourrait pas écrire ça. Donc j’en viens à me demander si ce que j’écris, ça a trop de sens, si les gens comprennent. Je me sens parfois à part, je ne voix pas toujours des gens qui me ressemblent. Je n’ai pas de modèle dans la musique française actuelle. Je me sens parfois comme une ovnie. Alors je vais vers des choses plus légères. 

Moi je suis persuadé que tu prends les choses dans l’autre sens, en te disant que justement ça ne fait qu’élargir le champs des possibles. 

Oui c’est très vrai. Dans un sens, je me dis que s’ils ne veulent pas le dire, moi je vais le dire. Angèle est assez engagée, j’aime bien. Mais elle est un tout petit peu plus âgée, elle a plus de vécu. Parfois, en regardant des gens de mon âge en écoutant ce qu’ils disent, je me demande comment m’entendre avec eux. 

Quelle énergie tu convoques quand tu commences à travailler sur une chanson ?

Ça dépend vraiment des morceaux, et des histoires. Mais quand j’écris, le mot clé, c’est la sincérité. Tu dois exprimer exactement ce que tu ressens, quitte à employer les mauvais mots, et à reformuler après. Mais quand j’écris, quand je chante, quand je suis au studio, il faut que je fasse les choses sincèrement. Les gens ne veulent pas écouter des choses sans émotions. Une chanson comme Édémwa, à 15h, à Bourges, si je ne suis pas dans la même émotion que la première fois, ça ne prend pas. Pareil pour les chansons qui ambiancent. Peu importe l’endroit et l’heure, il faut retrouver l’émotion qu’il y avait la première fois. 

Peu importe l’endroit et l’heure, il faut retrouver l’émotion qu’il y avait la première fois. 

C’est quoi la suite ?

Hm, on serait plus sur un album. Je suis très contente de cet ep. Là je viens de sortir une chanson avec Grand Corps Malade sur son album. Je suis très contente. Ça me pousse à faire plein de choses, même avec l’absence de scène. J’aimerai vraiment sortir un album. 

La question que je viens de te poser, je ne la pose jamais, mais là je savais qu’après un premier ep aussi riche, et ambitieux, il fallait que tu ailles plus loin. 

Voilà. C’est pour ça que je veux un album. Parce que SKO, c’est bien, mais c’est pas tout. Maintenant, grâce à SKO, je comprends aussi mieux ce que je dois faire. Ce projet est un brouillon très abouti. Je vais maintenant faire un beau croquis, puis un beau dessin. Je crois que c’est comme ça qu’il faut faire un album. Tu montres aux gens ce que tu sais faire, ce qu’ils aiment, ce que toi tu aimes. Donc là, l’album me travaille. 

Dernière question, qu’est-ce que ça t’évoque, la Première Pluie ? 

Une première pluie pour moi, c’est un commencement. Pour moi, après la première pluie, il y a une fleur qui pousse. Tu vois ?

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Interview : Arthur Guillaumot, dans la cadre des Inouïs du Printemps de Bourges, où se produisait Alicia. hier.