Le peintre André Masson a traversé le XXème siècle comme peu d’autres. Le Centre Pompidou-Metz lui consacre une exposition qui témoigne, avec près de 300 œuvres venues du monde entier et des plus grands musées, du rapport au monde d’un artiste anticonformiste, peintre, sculpteur, dessinateur, lecteur fervent et écrivain habile, aux relations nombreuses avec les plus grands artistes de son temps. 

André Masson et André Breton, le peintre dans son temps

Le 15 octobre 1924, André Breton publiait son premier Manifeste du Surréalisme. Parmi les peintres de l’époque, André Masson est certainement l’un de ceux qui réagit de la façon la plus intéressante à cette onde littéraire et artistique majeure de la première moitié du vingtième siècle. En janvier 1927, Masson annonce à son galeriste qu’il a réalisé une série de 12 tableaux selon un procédé nouveau : ce sont les fameux tableaux de sable. Comme une façon de répondre au Manifeste paru moins de trois ans plus tôt, où Breton appelait à “un art de l’automatisme psychique”. En 1927, Masson inaugure aussi la pratique des dessins automatiques, sur le modèle de l’écriture automatique prônée par Breton. 

Dessin automatique, Encre de Chine sur papier, 1925 ou 1926

Si le peintre rejoint le mouvement en 1924, emmenant notamment dans son sillage son ami Joan Miró, Masson rompt progressivement avec le surréalisme. En cause, une divergence avec Breton — qui lui avait acheté une toile, Les Quatre éléments, en 1924 — sur la notion d’automatisme. L’écrivain prônait un automatisme “méthodique et volontaire” avec des règles précises, tandis que le peintre adhère à une vision plus “spontanée et involontaire”, où la lucidité peut intervenir. 

« Au fond, je pensais, contrairement à Breton, que la valeur primordiale ne serait jamais l’automatisme, mais l’esprit dionysiaque ; l’automatisme peut très bien s’intégrer à l’esprit dionysiaque, qui correspond à une sorte d’état extatique et explosif permettant de sortir de soi, de donner libre cours à ses instincts et, par là, mener à l’automatisme. Mais, pour moi, le sentiment dionysiaque est plus permanent que l’automatisme, car l’automatisme est absence du conscient. [Breton] aurait été plutôt apollinien d’une certaine manière. Les égarements que je pratiquais lui étaient absolument étrangers. »

— André Masson, Vagabond du surréalisme, 1975

Moissonneurs andalous, Huile sur toile, 1935

Guerre, exil, et insoumission, André Masson le vrai transgressif

On ne comprend pas André Masson si on n’admet pas au moment où on commence à s’intéresser à son œuvre qu’elle est celle d’un artiste traumatisé par la première guerre mondiale. De la même manière que Jean Giono n’est pas Louis-Ferdinand Céline et n’aborde pas toujours frontalement la thématique dans ses romans, André Masson n’est pas Otto Dix. La guerre et l’exil habitent ses toiles de façons détournées, par apparitions brutales et spontanées. En 1917, lors de la bataille du Chemin des Dames, le peintre est blessé à la poitrine et laissé pour mort pendant un moment dans un cratère de bombe. Un souvenir aussi douloureux que déterminant. Sa série de dessins Massacres, imaginée entre 1930 et 1934, en témoigne. 

Massacre, encre de Chine sur papier, 1932 – 1934

Son œuvre est définitivement fondée dans la dénonciation de la barbarie humaine, dans chacun de ses travers et dans sa perversité. C’est aussi ce qui va passionner le peintre chez les psychanalystes. André Masson n’appartient pas à un pays : il s’exile sans cesse. Alors qu’il vit en Espagne, il soutient les anarchistes au moment de la guerre qui ébranle le pays et qui le contraint à quitter le pays. En 1940, revenu en France, alors que la France est occupée, il fuit dans le Cantal, avant de gagner les Etats-Unis l’année suivante où il retrouve Breton et Marcel Duchamp à New-York. En octobre 1945, il revient en France, se rapproche de Sartre et découvre la Provence sur une invitation de René Char. En 1947, il s’installe au Tholonet. Pour la première fois de sa vie, à cinquante ans, il goûte au calme, ce qui va radicalement changer sa pratique.

La métamorphose des amants, Huile sur toile, 1938

Ce qui est particulièrement intéressant dans la relation que nous évoquions entre André Breton et André Masson, c’est qu’elle consacre ce dernier comme l’anticonformiste qu’il est. De la même manière que Masson n’adhère jamais à la “nouvelle religion” de son compère suivant, Georges Bataille. Jamais vraiment cubiste, pas vraiment surréaliste, inventeur de méthodes, il échappe toujours aux classifications. Sa façon de pratiquer est largement dépendante de sa condition humaine. Ce qui explique sans doute la deuxième partie de sa vie, moins inventive dès lors qu’il semble trouver la paix et rompre avec l’exil. Cependant, toute sa vie, il aura nourri sa peinture de son insoumission permanente aux dogmes et aux codes, n’ayant jamais de chapelles et embrassant les ombres pour ce qu’elles sont : des traces. Il n’y a pas de monde achevé comme un mantra d’intranquilité, ce qui résume bien l’oeuvre d’André Masson. Et si finalement, la meilleure façon d’aborder son oeuvre était de la contempler à la lumière de la délimitation qui suit :

« La seule justification d’une œuvre d’art est de contribuer à l’élargissement de l’être humain, à la transmutation de toutes les valeurs, à la dénonciation de l’hypocrisie sociale, morale et religieuse et par conséquent à la dénonciation de la classe dominante, responsable de la guerre impérialiste et de la régression fasciste »

——

4 juin 1896 : Naissance  à Balagny, un village de l’Oise. Son père est représentant de papiers peints. La famille s’installe à Lille en 1903, puis à Bruxelles en 1905. 

1907 – 1912 : Formation à la peinture à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles.

1912 – 1914 : Masson s’installe à Paris et étudie à l’École nationale des Beaux-Arts. Il voyage en Suisse et en Toscane. 

1914 – 1917 : Le peintre s’engage dans l’infanterie. Il subit une grave blessure qui le laisse alité jusqu’à la fin de la guerre. 

Rue de Céret, Huile sur toile, 1919

1918 – 1922 : Masson séjourne près de Martigues, puis à Collioure où ont séjourné Matisse et Derain. En 1919, il s’installe à Céret dans les Pyrénées Orientales et rencontre le peintre Chaïm Soutine. Il se marie en 1920 avec Odette Cabalé. Ils ont une fille. La famille revient vivre à Paris. 

1922 – 1924 : Au 45 rue Blomet, le peintre est voisin de Joan Miró, qui va lui insuffler l’onirisme surnaturel. Masson reçoit dans son atelier ses amis les écrivains Max Jacob, Antonin Artaud, Michel Leiris, Louis Aragon, Robert Desnos, entre autres. Masson se lie avec le galeriste Simon de Kahnweiler, et expose dès 1924. Le peintre fréquente Juan Gris, et reçoit dans son atelier André Breton. 

1925 – 1928 : Séjour à Antibes où il traîne avec Pablo Picasso. En 1926, il peint la Métamorphose des amants, s’installe à Sanary-Sur-Mer et lance les dessins de sables. En 1927, il invente les dessins automatiques. L’année suivante, il s’initie à la gravure en Hollande. 

Les chevaux morts, Huile et sable sur toile, 1927

1929 : André Masson se sépare de son épouse, de son galeriste, et de Breton. Il se lie d’amitié avec Georges Bataille. 

1930 – 1934 : En 1931, Masson travaille avec Bataille sur le Dossier de l’œil pinéal, l’anus solaire, de ce l’écrivain. L’année qui suit, il fait des costumes et des décors pour un ballet. En 1933, sa série de dessins Massacres est exposée à New-York. En 1934, il s’installe en Catalogne. Il épouse Rose Maklès et découvre la tauromachie, qui va l’habiter. La même année, il participe au lancement de la revue Acéphale avec Bataille. 

Photographie d’André Masson par Lotar Eli, vers 1931

1936 – 1939 : La guerre d’Espagne éclate en 1936, Masson soutient les anarchistes. Il peint le Jet de sang. Il quitte le pays en 1937, revient en France et s’installe dans l’Eure. Il se rabiboche avec Breton et fait une tournée (Londres, 1936), (Paris, 1938), avec les surréalistes. À partir de 1938, il réalise des portraits virulents des différents dirigeants fascistes et accuse l’Eglise de complaisance. Jusqu’en 1939, il collabore avec Bataille. Il peint Gradiva

1940 – 1945 : La France est occupée. Rose Maklès étant juive, Masson fuit avec elle dans le Cantal, puis à Marseille en 1941, où ils embarquent pour New-York, en passant par la Martinique, où Masson rencontre Aimé Césaire. Le peintre vit à New York, où il retrouve André Breton et Marcel Duchamp, puis à New Preston où il fréquente notamment Alexander Calder. En 1943, il se brouille définitivement avec Breton. En 1945, il revient en France et rencontre Jean-Paul Sartre. 

1946 : À son retour en France, Masson vit d’abord à Lusignan, près de Poitiers. Il crée des décors pour le théâtre, notamment pour Hamlet et la P… respectueuse de Sartre. Il découvre la Provence sur une invitation de René Char, puis s’installe au Tholonet en 1947. Sa vie s’apaise et ses goûts changent, comme ses méthodes. 

1958 – 1970 : De nombreuses rétrospectives sont consacrées à André Masson, dans toute l’Europe. 

1960 : À l’occasion de la guerre d’Algérie, le peintre retrouve sa verve et son antimilitarisme reprend le dessus. Il signe le manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission. 

1965 : Sur une demande d’André Malraux, Masson peint le plafond du théâtre de l’Odéon.

1975 : Parution du Vagabond du surréalisme, série d’entretiens avec Gilbert Brownstone

1976 – 1977 : Rétrospective au MoMa à New York puis l’année suivante au Grand Palais à Paris. 

1979 : Après des ennuis de santé, Masson cesse de peindre et se consacre au dessin.  

1987 : André Masson meurt dans la nuit du 27 au 28 octobre 1987.

——

André Masson, il n’y a pas de monde achevé, au Centre Pompidou-Metz du 29 mars au 02 septembre 2024

Ouverture : tous les jours, sauf le mardi et le 1er mai — Horaires : du 1er novembre au 31 mars : 10h00 – 18h00 puis du 1er avril au 31 octobre : du lundi au jeudi de 10h00 – 18h00 et du vendredi au dimanche de 10h00 – 19h00. Lien vers la billetterieInformations sur l’exposition

Commissariat : Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz

__

Arthur Guillaumot

Peinture de Une : Gradiva, Huile sur toile, 1938