Francis Bacon, en toutes lettres. C’est la promesse de l’exposition qui lui est consacrée au centre Pompidou entre le 11 septembre de l’année passée et le 20 janvier, dépêchez-vous, de la nouvelle. Les œuvres sont celles des 20 dernières années de la vie du peintre britannique, mort en 1992. En toutes lettres, c’est aussi parce que l’exposition prend le pari de lire les peintures de Bacon par le prisme de la Littérature, fondamentale chez lui.


Dans ma chambre d’adolescent, il y a des visages difformes, arrachés à des magazines d’arts. Il y a des triptyques et des études pour une corrida. Ils s’affichaient là parce que je nourris une fascination de profane pour leur auteur, Francis Bacon. Un peintre né juste après le début du siècle dernier à Dublin, en 1909, et mort juste avant la fin du même siècle, à Madrid, en 1992. Son père est entraîneur de chevaux de course, sa mère est héritière d’une famille d’industriels. Il vit une enfance marquée par de l’asthme, qui signe le début du rejet paternel, et des maltraitances. Les choses s’aggravent encore,  Bacon est homosexuel, alors à 16 ans, il quitte le domicile familial. 

Pour vivre il est décorateur, mais il commence à peindre, des toiles très marquées par le surréalisme. À 25 ans il expose pour la première fois, mais c’est en 1945 avec son triptyque Trois études pour des figures au pied d’une crucifixion” qu’il connaît pour la première fois le scandale et le succès. D’ailleurs chez lui, scandale et succès s’associent souvent. Son travail commence à se vendre. 

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Francis Bacon, Selfportrait (1971) Huile sur toile 35,5 × 30,5 cm Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris Donation Louise et Michel Leiris, 1984

En 1957, il expose à Paris, et en 1962, la Tate Galery à Londres lui ouvre ses portes. C’est pendant cette période que le triptyque devient la signature de son travail.

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Francis Bacon – Trois études de figures au pied d’une crucifixion (1944) 95 × 73,5+73,5+73,5 cm Tate Britain Londres

Dès lors, ses oeuvres sont produites sous formes de séries. Elles témoignent de véritables obsessions artistiques, la crucifixion ou la corrida en tête.

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Francis Bacon le 26 octobre 1971 au Grand Palais, à Paris. Par André Morain

Bacon représente aussi ses amis, et particulièrement son compagnon, George Dyer. Bacon entretien avec ce dernier une liaison qui dure 8 ans et qui prend fin en octobre 1971 d’une façon tragique. Alors que la France consacre à Bacon une rétrospective au Grand Palais (seul Picasso y avait eu droit de son vivant) et qu’il est célébré par tous, Dyer se donne la mort dans une chambre d’hôtel. Pendant les 20 dernières années de sa vie, Bacon va porter ce drame. Deux ans après, il tente de l’exorciser en lui consacrant un tryptique : Mai-Juin 1973, juste en dessous :

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Francis Bacon Triptyque mai-juin 1973, 1973 Huile sur toile, chaque panneau 198 x 147.5 cm Collection privée © The Estate of Francis Bacon /All rights reserved / Adagp, Paris and DACS , London 2019

C’est justement des 20 dernières années du peintre britannique que traite l’exposition Bacon en toutes lettres, par le prisme de la Littérature, et notamment des lectures personnelles de l’artiste. Des oeuvres où on lit la douleur de l’absence de Dyer, la culpabilité, l’absence. Les Erinyes (les Furies), Alecto, Mégère et Tisiphone déesses grecques de la vengeance habitent son travail.

On lit dans cette exposition les obsessions de Bacon. Les formes. Les visages qui coulent. Les déformations par la douleur. J’existe donc je grimace. Mes muscles se tendent, je souffre, je suis. Je supplie, j’agonise, bref, je respire. 

Le parcours de l’exposition est jalonné par des chambres d’écoute, où on peut entendre des textes de Michel Leiris, Georges Bataille ou Nietzsche, entre autres. En ressortir et lire les toiles. On prend le temps, on essaie de comprendre ce qui nourrit le peintre.

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Oedipus and the Sphinx after Ingres 1983 / The Estate of Francis Bacon. All rights reserved. DACS/Artimage 2019. Photo: Prudence Cuming Associates Ltd Huile sur toile 198.00 x 147.50 cm

L’exposition Bacon en toutes lettres témoignent de la richesse de l’oeuvre du peintre. Elles disent à quel point le style est habité, précis, sombre parce que sensible et touché. Dans cette exposition on peut admirer des toiles qui ne voit jamais le public habituellement. Des toiles de collections privées, rares à pleurer. 

Je m’attendais à être touché et j’ai été boulversé. Je me suis souvenu de toutes les fois où j’essayais de lire la gueule de Dyer. À ma fascination pour Les études de corrida et les corps qui se trainent dans la douleur. Bouleversé par des toiles, c’est quand on entend plus rien et qu’on comprend qu’on a un peu vu quelque chose, là. Bacon en toutes lettres, c’est jusqu’au 20 janvier.

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Arthur Guillaumot