Benjamin Epps, c’est Flaubert à New-York. Des p rases comme des fournées de vies réelles, pures et précises. Dans la tradition d’une langue qui claque au vent et emploie autant l’argot que les mots d’en haut, Benjamin Epps envoie des flows cultes, ceux qui jamais ne sombrent. C’est New York qui croise Libreville, la traîne qui pactise avec la foule, et la paix qui traîne avec la fougue.

Première question, t’as hâte comment de la reprise de la NBA ? 

Au point de regarder les matchs de pré-saison. J’ai regardé le Nets-Lakers, comme toi. 

C’est bien pour après les concerts non ? 

Oui, on finit tard, donc on peut se poser. Et puis c’est un truc de potes. Mon équipe c’est que des basketteurs. Tu joues ici toi ? 

Je joue partout ! 

Trop bien, justement tu sais que j’ai étudié 2 ans à Nancy ? 

Mais nan ?! (Dans ma tête j’étais vraiment genre : “mais nan ?!”, je ne connaissais pas l’info.)

J’ai été à la fac de Lettres de Nancy. J’ai vécu ici 2 ans. J’ai fait ma L3 de socio, mon M1 de socio… C’est une longue histoire. Très bonne fac, la ville est dynamique, c’est cool. Mais j’ai pas tellement traîné, j’habitais vers Achille Lévy, en Cité U. J’avais la tête dans les études. 

Alors bienvenue presqu’à domicile, et avec une autre façon de voir la ville. 

C’est vrai que je découvre la ville d’une autre façon. À l’époque, je n’avais jamais pu voir de concerts. 

Comment tu vis tout ce qui s’est passé ces derniers mois, tout s’est accéléré, en gros, de la sortie de Fantôme avec chauffeur, jusqu’à cette grande tournée ? 

C’est vrai que ça s’est accéléré. Tu sais, quand tu es dedans, tu ne le vis pas forcément. Les autres le vivent à ta place. Toi tu montes dans le train, tu rejoins l’équipe, tu vas à l’hôtel, tu prépares ton show, tu fais le show et tu repars, tu dors, tu reprends le train pour rentrer. 

C’est une mécanique, comme étudier ? 

D’une certaine façon oui ! Donc les autres le vivent, mais toi tu ne le vis sûrement pas, parce que tu as la tête dedans. J’ai un peu de mal à cerner l’écho que tout ce que je suis en train de faire peut avoir. Le seul baromètre que j’ai, c’est les concerts, c’est la tournée. Ça me permet de voir les gens qui écoutent ma musique. 

Pour moi, c’est comme un rêve éveillé. Parfois, je dors, et quand je me réveille je vais sur internet pour vérifier si c’est pour de vrai.

Et ça fait du bien ? 

Oui, franchement. Ça fait tellement longtemps que je rappe. Pour moi, c’est comme un rêve éveillé. Parfois, je dors, et quand je me réveille je vais sur internet pour vérifier si c’est pour de vrai. Tellement c’est allé vite. Mon premier projet a même pas un an. Et j’ai la chance d’être partout, en télé, en radio, je tourne. Je pense qu’il me faut un mois loin de tout pour que ça retombe bien. 

Le fait que ça soit arrivé vite, cette peur que ça ne soit pas réel, ça te pousse à tout faire, à aller partout, à en faire plus ? 

Ce n’est pas quelque chose que je me dis quand je fais de la musique. J’ai toujours senti que ça allait arriver. Pas comme c’est arrivé, mais j’ai toujours senti que quelque chose allait se passer. J’ai un peu l’impression que c’est un juste retour des choses. Mais en même temps, j’essaie de ne pas rester dans mon confort, et de continuer à lire, à écrire, à chercher, pour continuer à avoir faim. Comme quand personne ne me connaissait. 

Oui, parce que ta façon de rapper, ta diction, ton flow, on sent que c’est un truc de mec qui a la dalle, et qui a mâché les mots et écrit des dizaines de centaines de textes. C’est une histoire de discipline ? 

C’est exactement ça. La vie c’est un challenge permanent. Même jusque dans les relations. Au début vous allez au cinéma, puis vous restez à la maison pour regarder Netflix. Il faut entretenir la flamme. Question d’énergie qu’on choisit de déployer dans un projet, une relation, un geste. Je fais de la musique comme ça. Si un soir je trouve ce que j’ai fait moins bien, j’analyse et j’ai envie de recommencer. Mais ce n’est pas facile, il y a des vies en dehors de la musique, on a des parents, des amis. 

Et puis malgré tout, ce que tu vis, et que tu voulais atteindre, il faut quand même le vivre un peu ! 

Mais oui ! Sinon, ça ne servait à rien de faire autant d’efforts. Drake disait que justement, quand on est jeunes rappeurs, il faut savourer ces moments-là, où ça monte, où il y a les premiers engouements. On ne revit jamais ça. Quand tu es installé, ce n’est plus pareil. 

J’ai toujours senti que ça allait arriver.

Comme un joueur de NBA pendant sa saison rookie ! 

Oui, voilà ! C’est juste une fois. J’essaie de le vivre et de profiter de cette liberté, pour tenter des choses et trouver un juste équilibre. 

Surtout quand ça n’a pas été facile. J’imagine qu’on doit souvent te dire “Ah tu dois être heureux maintenant”. Comme si ça allait aussi vite que ça. 

Comment tu sais ? Tu mets le doigt sur un vrai truc là. Quand tu désires le plus quelque chose et que ça t’arrive, je ne pense pas que tu sois heureux. Finalement, tu es plus ou moins dans une forme d’autosatisfaction. Un truc avec toi-même. 

Et tu dis que tu savais que ça allait arriver en plus ! 

C’est pour ça oui. Il y a quelques jours, j’étais à la maison, j’écoutais des morceaux que j’ai écrits avant que ça ne prenne et que personne n’a jamais entendu. Et je me suis dit “Purée, mais qu’est-ce que j’écrivais bien !”. Tu vois j’arrive à me dire ça. Et limite, et c’est génial, je trouve que si je mettais l’énergie que j’avais à ce moment-là, quand personne ne me connaissait et que j’avais plus la dalle que jamais, mes projets seraient 10 fois meilleurs. 

Et tu ne pourras jamais y retourner, d’un côté c’est beau. 

Voilà, je trouve ça beau aussi, et c’est pour ça qu’il faut entretenir la flamme de la base. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

La première pluie, c’est ce qui déclenche tout. C’est ce que par quoi soudainement arrive quelque chose, qu’on sait, qu’on connaît, mais qu’on ne ressent pas temps qu’elle n’est pas là. On connaît tous la sensation de l’hiver, du froid, mais on ne peut pas la ressentir en été. Tu ne la ressens que quand le mois d’octobre arrive. Et quand elle est là, tu respires et tu sais qu’elle est là.

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Arthur Guillaumot / Photo de Une : Nathan Roux

Interview réalisée dans le cadre de Nancy Jazz Pulsations 2021, à L’Autre Canal, à Nancy.

Fantôme avec chauffeur est sorti en avril dernier, entièrement produit avec Le Chroniqueur Sale.