Benoît Hamon mène toujours des campagnes enthousiasmantes. Quelles idées retenez vous de la campagne présidentielle ? Le revenu universel ? La taxe sur les robots ? Ce sont celles de son programme. Candidat malheureux est un terme nul. Défait souvent, mais constamment dans la proposition, discussion avec celui qui fait le pari de parler à l’intelligence collective. 

(Avertissement : Interview réalisée en novembre 2018, dans le cadre de la campagne des élections européennes de 2019, avec Génération.s, le mouvement qu’il a contribué à fonder après avoir quitté le PS en 2017. Certains propos peuvent paraître datés.)  

Benoît Hamon, vous parlez à la jeunesse, vous bénéficiez d’une très bonne image auprès d’elle, comment l’investir, cette génération ? 

C’est pas tellement la question de comment l’investir moi. C’est plutôt comment la jeunesse, qui est plutôt favorable à la question du revenu universel, dans ce que j’en perçois s’empare des sujets. 

Quand je me déplace, dans les facs, dans les écoles, c’est le point sur lequel on me dit de ne pas lâcher. C’est le revenu universel. La question, c’est comment cette génération là sera actrice du changement. Comment elle fait sa propre expérience du travail ? Aujourd’hui, beaucoup de jeunes entrent sur le marché du travail avec des contrats précaires. Il y entrent sans être salariés, avec l’ubérisation du travail. Ils ont une expérience du travail qui est très différente de celle qu’avaient leurs parents ou leurs grand-parents. 

La question c’est, demain la protection sociale ressemblera-t-elle à ce que leurs parents et leurs grand parents veulent en fonction de leur expérience ou à ce qu’eux veulent en fonction de ce qu’est l’évolution du travail ? 

Moi ce que je défends, c’est qu’il faut s’appuyer sur cette génération là pour à la fois changer le financement de la sécurité sociale, mais aussi transformer le rapport qu’on a au travail. Je fais passer le même passage partout où je m’exprime : On est à un moment charnière dans l’évolution de notre société. Cette génération est porteuse d’une vision de l’avenir qui à mon avis est très différente des précédentes, parce qu’elle vit les grandes ruptures et les grandes transitions. 

Est-ce qu’elle reste à la périphérie de notre démocratie, dans un rôle passif, ou est-ce qu’elle prend ses responsabilités ? 

“Il faut que cette génération, pousse la société à faire un immense effort d’émancipation sur la question du travail et des protections collectives.”

Ma conviction c’est que là où la génération de 68 a eu un rôle décisif sur la question des libertés individuelles, il faut que cette génération, qui a la même responsabilité que celle de 68, pousse la société à faire le même effort d’émancipation sur la question du travail et des protections collectives. C’est ce que je crois. Après, moi, je ne suis pas à leur place. Je suis un papi. 

Benoît Hamon, s’il y a une chose que personne ne peut vous enlever, c’est que vous êtes un candidat des idées, entre beaucoup de candidatures de personnages, est-ce qu’on est dans un moment des idées, selon vous ? 

Je trouve qu’en tout cas on revient à un moment des idées. Le paysage intellectuel est dominé depuis maintenant une décennie par des intellectuels venus de la gauche, voire de l’extrême gauche, et d’autres qui sont depuis toujours à droite, mais qui se radicalisent sur la question identitaire. Anti-Islam, identitaire, nationale. Aujourd’hui, c’est à pleurer de rire quand un Zemmour dénonce la question identitaire. Il est la pensée dominante. 

Ce dont je me réjouis, c’est qu’aujourd’hui, des intellectuels, de gauche et d’une nouvelle génération proposent une nouvelle vision sur les questions économiques, sur les question des libertés individuelles et publiques, sur les questions des migrations, sur les questions écologiques. C’est positif. Moi je me suis beaucoup nourri de ces idées là au moment de ma campagne présidentielle. 

“Il faut qu’on parle à l’intelligence collective.”

Et vous avez travaillé directement avec eux, à l’époque. Raphaël Glucksmann, Claire Nouvian…

Oui Claire Nouvian sur les questions écologiques, Thomas Porcher sur les questions économiques, il y avait aussi Thomas Piketty, Julia Cagé. Il y en avait plein d’autres. C’est vrai qu’on avait une campagne qui était hospitalière aux idées. Bon, on ne peut pas dire que ça nous a beaucoup réussi… Mais je ne renonce pas pour autant. Je crois qu’il y a quelques chose incroyablement infantilisant à proposer à la nation son seul génie personnel. “J’ai eu les bonnes idées avant tout le monde, donnez moi les clés pour des jours meilleurs”. Je trouve ça très impudique. Bon il y a des caractères qui sont plus impudiques que d’autres, mais c’est surtout que c’est très immature. 

Je crois beaucoup, et je continuerai de creuser ce sillon là. Il faut qu’on parle à l’intelligence collective. 

Je le dis à un moment où on vit l’exact contraire. On est à un moment de convulsion de la société française. Les mouvements collectifs qui s’organisent sont plutôt des mouvements de démolition que de construction. Mais il me semble que sur cet humus à, il faut que nous on féconde la société française et qu’on fasse éclore 1000 fleurs. C’est ce qu’on fait. 

“Avec Génération.s, on propose un chemin.” 

Malgré ces idées, il y a eu la désillusion de l’élection présidentielle, puis celle des législatives, qu’est ce qui vous pousse à continuer, c’est les idées ? 

Qu’est ce qui me pousse ? Je ne vais pas dire que j’ai raison, qu’on a raison et que les autres ont tort. Mais je crois profondément que c’est ce chemin là qu’il faut proposer. J’espère que les gens reconnaîtront dans Génération.s un mouvement d’un type nouveau, c’est que nous on ne dit pas qu’on a la vérité. On ne dit pas que ce qu’on propose est la vérité, on dit que c’est un chemin. Vous prenez, vous prenez pas, c’est la démocratie. Nos adversaires proposent un autre chemin. Ceux qui proposent une augmentation des salaires à la place du revenu universel, c’est un autre chemin. Moi je ne dis pas que le revenu universel c’est la vérité. On est en train de faire basculer le répertoire politique qui est dangereux, dès lors qu’il est celui de la Vérité et du Mensonge. Ce n’est plus la démocratie. Celui qui ment, ce n’est pas la même chose que celui avec qui je ne suis pas d’accord. C’est le Bien et le Mal, le Mensonge et la Vérité. 

Je pense qu’on a besoin de gens qui tiennent ce cap et ce gouvernail là malgré les tempêtes. C’est pour ça que je reste. Sinon je m’arrêterai. Au jour le jour, le poids de la défaite, je l’ai dans les yeux des gens. Je prends les transports en commun donc j’ai les sarcasmes qui vont avec. Je pourrai très bien m’arrêter et faire du business. Ou aller voir Emmanuel Macron et lui demander de me faire ambassadeur… (rires)

C’est simple en fait. 

Nan mais c’est simple. C’est d’une simplicité absolue. Vivre tranquillement. Mettre mes filles dans une école privée… Mais bon, je ne vois pas les choses comme ça. Je pense que mes propres parents auraient honte de moi si je faisais ça. Et je pense qu’après, à la fin, mes filles me demanderaient pourquoi j’ai arrêté.


Interview réalisée par Arthur Guillaumot, à la mi-Novembre 2018 et initialement diffusée pendant un numéro de Première Fréquence, notre émission de radio de l’époque. 

Pour aller plus loin avec Benoît Hamon :