Entre la lune et le soleil, il y a sûrement un espace, entre Modigliani et un graffiti à l’aveugle : aussi. Bonnie Banane s’y aventure, et croise aux larges des surprises, explore le sacré, invente des disciplines. Son premier album, Sexy Planet, est un refuge pour le bizarre, pour les mots inusités, et pour les sensations qui rayonnent. Grande Discussion.

Sexy Planet, le premier album de Bonnie Banane, est sorti le 13 novembre dernier. Vous pouvez l’écouter ici.

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Ton premier album, Sexy Planet, est sorti il y a quelques mois maintenant, comme tu le vois vivre ? 

Franchement, je suis contente qu’il soit sorti. Je l’ai beaucoup écouté, donc je suis contente qu’il passe dans d’autres mains. Quand tu sors un disque, tu as envie que ça te décharge. Je voulais que les gens fassent leur propre vie avec. Je me suis toujours dit que faire de la musique c’est faire une sorte de bande originale de la vie des gens. Je sais que moi, j’ai des disques qui sont la bande-originale de ma vie. C’est comme ça que j’espère que ce disque vivra, en faisant partie de la vie des gens. 

Tu penses qu’il va bien traverser le temps ? 

C’est la photographie de ma vie pendant quelques années, c’est ce que j’ai pu faire à ce moment-là. Donc moi, je ne sais pas du tout. Il m’échappe maintenant, et j’ai déjà envie de continuer même si ça a été exigeant. 

Quand tu sors un disque, tu as envie que ça te décharge.

Parce que c’est un premier album, il fallait que la période de maturation, et la période qu’il raconte s’étendent sur quelques années ? 

Pour moi ça reste la photographie d’instants précis. Même si pile trois années se sont écoulées entre le moment où j’ai commencé à faire ce disque et celui où il est sorti. Ce qui a été long, dans la fabrication de ce disque, c’est la période de recherche. C’est une partie de ma vie, de ce que j’avais à dire à ce moment-là.

Et puis c’est même le principe d’un premier album, tu as beaucoup d’années derrière toi, à compiler, que quand tu es dans la poursuite d’une œuvre. 

Peut-être. J’espère que le deuxième prendra moins de temps. Si j’en fais un deuxième. Trois ans en fait, c’est un peu un temps moyen. J’ai appris qu’un album de Beck avait été fait en 7 ans. Chacun fait à son rythme. Et puis, je pouvais attendre, pour le sortir après le Covid. Mais non, je voulais qu’il sorte dans ce moment. Je ne voulais pas attendre. 

Photo : Pierre-Ange Carlotti

Et c’est le défi éternel d’aimer, de restaurer, un projet artistique fait à un moment précis, avec la matière d’un moment précis, et qui sort dans un tout autre état d’esprit. 

Oui ! Et ça, c’est surtout le grand défi du live. Tu fais des chansons que tu as créées des années auparavant. On verra ça quand il y aura des lives…

Tu auras tout le temps l’impression confortable ou inconfortable de porter des vieux habits. 

Oui, et le défi c’est de se les réapproprier. 

Est-ce que la surprise, artistiquement, c’est un état qui t’intéresse ? 

J’adore. C’est le truc que je trouve primordial. C’est très difficile, mais c’est l’une des choses qui me motive pour continuer. La première fois que j’ai sorti un son, c’était en 2012, et ça a surpris mon entourage. Personne ne savait que je faisais ça. Et j’ai vraiment adoré ce sentiment. J’ai aimé que les gens ne soupçonnent pas que je faisais ça. J’avoue que parfois, j’aimerais y revenir. 

Reconvoquer l’énergie de la première fois, de la surprise originelle, de l’émerveillement ? 

Oui ! Mais c’est extrêmement dur de retrouver cet état, sans attache, sans préoccupation, sans pression. C’est pour ça qu’en général, j’aime les premières œuvres des artistes. Parce que je trouve qu’il y a quelque chose de frais, d’immédiat, d’unique. Ensuite généralement, c’est moins spontané. Pour moi, mon premier son, c’est le meilleur que j’ai jamais fait. Et c’est pas le mieux mixé, pas le mieux clippé. Mais c’est le plus naïf, le plus neuf. 

D’où l’idée de laisser du temps entre les disques pour revivre des premières fois ?  

Oui mais tu es découvert. Il reste peu de premières fois et les plus belles sont impossibles à revivre. C’est comme quand tu perds ta virginité. Tu peux avoir des simulacres de sensations, mais si tu gardes ta mémoire, tu sais que c’est juste des renouvellements, des nouveautés, des nouvelles phases. Mais ce n’est pas la première fois. 

Photo : Pierre-Ange Carlotti

Alors est-ce que tu pourrais aller vers de nouvelles disciplines, pour revivre l’énergie des premières fois, comme si tu étais Michael Jordan et que tu commençais le baseball ? 

Oui grave ! J’y pense souvent. Je suis hyper intéressée par l’idée des nouvelles vies, refaire sa vie. C’est un truc qui me donne envie de vivre. Je peux toujours refaire ma vie, partir, me refaire. C’est un truc que je me suis toujours dit depuis que je suis toute petite. Quoiqu’il arrive, je peux toujours tout quitter, tout refaire. Changer de nom. Un peu comme un espion tu vois ? Comme dans le Bureau des Légendes. 

Oui ! Je pense pareil. Justement on peut tenter des trucs de fou ici, parce que si jamais ça capote, on peut partir ouvrir une crêperie en Argentine. 

Exactement. Ouah, je pourrais tellement faire ça. Mais pas en Argentine. Tiens, où est-ce que je pourrais ouvrir une crêperie ? Au Brésil. 

Qu’est-ce que tu avais à cœur de placer sur cet album ? Tu sais comme des cailloux sacrés ramassés avec le temps, que tu avais dans les poches et que tu savais que tu allais utiliser à ce moment-là. 

Un mot, des mots. Il y avait des phrases que j’avais vraiment envie de mettre. Il y a une phrase qui me tient vraiment à cœur dans ce disque, tout à la fin, dans la chanson Quelle osmose! où je dis “C’est pas le temps qui passe, c’est la lumière qui change”. Elle m’est venue un jour où je regardais un film. Je ne sais pas d’où elle vient. Mais c’est une phrase importante pour moi, et il fallait que je le dise. 

Après, mon album est plein de mots que j’avais envie de faire exister. Comme Béguin, comme Bluff. Dans Deuil, aussi, je dis “Il y a du relief seulement grâce au creux”. Ça aussi pour moi c’était important de le dire. “Tu m’excites quand tu me respectes / Quand tu t’appliques bébé, quand tu m’inspectes / Quand tu m’expliques qu’il faut pas qu’on s’inquiète”. Je suis fière de ces phrases-là, de ces idées-là. 

Mon album est plein de mots que j’avais envie de faire exister.

Je sentais que tu avais des mots fétiches. 

C’est un peu comme ça que j’écris. Je mets des mots que je n’entends pas assez, que j’ai envie de faire exister. J’ai envie de faire rimer des choses qui ne sont pas censées rimer. 

J’ai commencé à écrire ce disque pendant une période de deuil. Et le deuil, c’est important dans ma construction personnelle. Je tenais vraiment à rendre hommage au concept du deuil. “Deuxième chance, troisième oeil, sixième sens, septième seuil. Deuil. » J’ai commencé à conceptualiser le deuil il y a longtemps et ça m’est revenu. J’avais oublié. C’est ça l’écriture, tu penses, tu oublies, tu stockes, tu ressors et ça matche. C’est assez fou, il y  a une part de magie. Tu as des paroles en toi, qui sont stockées en toi, inscrites, et qui ressortent comme par magie au bon moment. Ce disque s’est vachement fait comme ça.

À l’intuition et à l’instinct ? 

Beaucoup beaucoup oui. 

Photo : Pierre-Ange Carlotti

En quoi tu crois ? 

En Dieu. 

Je crois en Dieu mais je ne me fie pas aux textes sacrés. Tu vois, je n’ai pas de religion. À part peut-être la Nature, parce que pour moi, c’est ça Dieu. Je ne me considère pas comme une chanteuse. Très humblement, je me considère plutôt du côté de la poésie. Et la poésie, c’est la Nature, la contemplation de la Nature. Pour moi c’est ça le rapport au divin et son observation, sa matière. C’est ce qui est primordial et qui m’intéresse. 

Et le chant c’est une façon aboutie de rendre le vivant sacré ? 

Oui, c’est une façon de rendre les choses jolies. Et éternelles aussi. Les chansons resteront après notre mort. C’est comme imprimer un livre. En plus la voix est un instrument mystique, invisible.

Le chant c’est aussi une manière pour moi de mieux m’exprimer. J’ai tendance à parler très vite. Je ne m’exprime pas bien, mais en chant, je peux m’appliquer sur l’articulation. Et ça permet d’être synthétique, sinon tu vois, je divague. 

Moi j’adore. Mais je vois l’intérêt du cadre, pour aller à l’essentiel et au plus pur. 

Exactement. Sur ce disque j’ai essayé d’aller au plus pur. C’est ce qui m’intéresse de laisser. Ma synthèse. Mon humble synthèse. Moi je ne sais pas trop ce que je fous là. Je ne vois pas où je vais si je ne fais pas ça. En tout cas pour l’instant. 

Tu te sers de cet espace pour te comprendre aussi j’imagine, c’est comme ça que ça a commencé ? 

C’est assez nul, comme façon de commencer, je ne sais pas si c’est intéressant. C’est un accident. C’est arrivé parce que j’étais seule, très seule, et j’étais très bien. Je vivais très bien la solitude. J’avais Garageband. J’avais un clavier. Et j’ai commencé à composer en même temps que je chantais. Je n’avais jamais chanté aussi clairement, ni avec une telle intention. C’est venu naturellement. Je ne me suis pas posé de questions. Ça sortait. Et ça faisait du bien. J’avais un sentiment de satisfaction quand je chantais. J’ai sorti mes premiers trucs. Et j’ai continué. Tout simplement. C’était pas très conscient. J’ai compris en le faisant que j’aimais ça. Alors j’ai continué, en ayant plus les choses en conscience. 

Ce que je comprends de la création artistique, c’est que c’est surtout un geste.

C’était une façon de t’adresser aux autres ? Tu disais que tu avais parfois du mal à communiquer. 

Même pas, je ne m’adressais pas aux autres. Je m’adressais au Tout. Je m’adressais à l’univers. Je ne m’adressais pas du tout aux autres. C’était un élan, un geste. Ce que je comprends de la création artistique, c’est que c’est surtout un geste. Tu pourrais résumer tout ça, une peinture, une chanson, ce que tu veux, comme un geste vers l’extérieur. Si on était en danse, on pourrait résumer ça au fait de mettre son bras vers l’avant. 

Tu vois, il y a des artistes qui font énormément d’œuvres et qui les gardent pour eux. Sur leur disque dur, chez eux, parce qu’ils ont peur de le mettre à l’extérieur. Ils ne veulent pas de ce contact-là. C’est ce qui me rend le plus triste. Ce gâchis. Les artistes qui n’ont pas la générosité de sortir leur truc, même si ce n’est pas parfait. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

C’est l’odeur. L’odeur de la pluie. J’aime l’odeur de la pluie en Asie. Elle a une super odeur. Et la pluie, j’ai parfois l’impression que c’est un écho. En termes d’odeur. Comme si l’odeur a un écho. La pluie arrive sur des surfaces de préférence végétales et là l’odeur est incroyable. Comme un écho d’odeurs, j’adore. 

Pour moi, la première pluie, c’est ce qui te lave. Après, quand tu es dans la ville, que tu attends le bus et qu’il pleut… bon, la haine. Mais la première pluie, ça a un côté frais, un côté mousson, un côté Asie du Sud Est. Ça évoque du positif. Le premier jet aussi. C’est ce qu’il y a de meilleur le premier jet. 

Il faut toujours être à jeun, pour le premier jet d’urine, quand on va au laboratoire d’analyses, sinon, ça ne marche pas. 

La suite de cette discussion est disponible ici.

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Arthur Guillaumot

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Photos : Pierre-Ange Carlotti