La grâce de Janie est moderne et surannée à la fois. Elle cisèle un univers unique, où les couleurs sont un peu mieux, où sa voix va un peu plus loin, où ses mots sont un peu plus doux. L’élégance de sa voix drape la merveille de ses sentiments, sur une musique qui scintille. Petite Blonde, le premier ep de Janie vient de paraître. Discussion.

Petite Blonde est sorti le 30 octobre. Vous pouvez l’écouter ici.

Relisez ici notre première conversation avec Janie, au printemps.

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Comment tu as pris l’annonce que la sortie de ton premier ep allait correspondre avec la date du nouveau confinement ? 

Franchement, je le prends en riant un peu nerveusement. Je te jure, quand le Président a annoncé : jeudi minuit. Je me suis dit “ça ne va pas le faire du tout”. C’est un petit peu un sketch, parce que la sortie de cet ep a déjà été décalée. Là, tout semblait favorable, et là, la sortie marque le moment du reconfinement. 

Mais bon, écoute, les gens sont là, ils pourront écouter de la musique et on peut quand-même faire des tournages… C’est déjà ça, même si c’est l’inconnu. 

De quoi ils nous séparent ces quelques mois qui sont passés depuis la sortie de La Bibiz, qui est sortie en période de confinement, déjà. Il y a eu cette série de 4 morceaux d’été notamment. 

Je crois que les gens ont eu plus le temps de rentrer dans mon univers. C’était important de donner des rendez-vous, avec des pianos-voix, qui constituent quand-même l’essence de ma composition. Il y a cette idée d’honnêteté, un truc pur. Donc je pense que ça a été plus doux, je pense que les gens me connaissent mieux maintenant, que si j’avais sorti mon ep en mars. 

C’était aussi une façon de les préparer au degré d’intimité de Petite Blonde ? 

Complètement. Il y a des titres de cet été qui sont assez intimes, même si pas totalement, à part Nino ou Rose. Je préparais un peu le terrain, notamment pour une chanson comme Après Toi, où les gens vont comprendre de qui je parle. Oui c’était ça.

Ce premier ep, c’est un bilan de tes jeunes années, je pense à une chanson comme Gremai, c’était une nécessité pour toi, d’y revenir ? 

Oui, c’est absolument ça. À part Petite Blonde, qui revient plus sur la période où j’étais petite. Mais sinon, c’est le bilan de mes 19 ans à mes 25 ans. C’est complètement ça. 

Si on était en littérature, on dirait que c’est un ep d’apprentissage en fait. 

Oh oui, très bien vu, c’est un ep d’apprentissage. 

Qu’est-ce que ça a été pour toi, cette période de 19 à 25 ans, cette période d’apprentissage ? 

Bah en vrai, c’était pas la période la plus joyeuse de toute ma vie. 

On le ressent, fort. 

C’est pas l’ep le plus joyeux de l’univers n’est-ce pas ? 

Je ne sais pas. Je ne m’attendais pas à ça. J’ai toujours été bien dans ma vie, à part à l’école. Mes parents sont séparés mais s’aimaient toujours. Il y a toujours eu de l’amour. Et pas vraiment de trucs dur. Et à mes 19 ans, il y a eu un cap. Tout s’est enchaîné, grave. J’ai beaucoup souffert, et j’ai eu besoin de sortir tout ça, parce que je ne parle pas beaucoup, dans la vie de tous les jours et sur les réseaux. La musique, ça a été la seule façon de dire les choses. 

La musique, ça a été la seule façon de dire les choses. 

Préparer cet ep, le faire, sentir revenir les émotions, et leur donner des espaces, ça t’a fait du bien ?

Ça a été plusieurs étapes. Ces chansons me font du bien, même si c’est parfois dur de les écrire, parce que je lâche un truc. C’est vrai que je me suis reconnectée à des émotions vécues. Ce n’est pas pareil quand les émotions sont passées, on s’en approche mieux. Et cet exercice, c’était comme faire du sport en étant angoissée, à la fin, je me suis sentie vidée. J’avais tout lâché. 

Photo : Charlotte Steppé

Ce qui est dur, c’est la deuxième partie. Sortir les chansons, et que les autres les écoutent. Parce que là, ça ne t’appartient plus. Pour quelqu’un comme moi, qui retient tout, c’est très vulnérabilisant. Et ça fait bizarre, quand les gens comprennent, notamment ce que tu as vécu. Et c’est assez dur. Parce que le vécu, les histoires, c’est une forme de protection. Tu parais fort, tu parais bien… Mais là, ce n’est plus le cas. Je ne mens plus, je n’ai plus de subterfuges.

Je pense que sortir cet ep, c’est encore une étape. Une étape après laquelle je serai plus à l’aise. 

Oui on sent que Petite Blonde c’est une étape. Je comprends ce que tu veux dire dans le moment de livrer les chansons. Est-ce que ça peut être troublant parfois de voir les gens s’approprier et se reconnaître dans les chansons ? 

Oui de ouf ! C’est ce qui fait aussi que c’est chargé émotionnellement. Je suis quelqu’un d’hypersensible. Forcément, quand je reçois des messages de gens qui me partagent leurs expériences, leurs histoires, je prends tout. C’est l’avantage et l’inconvénient d’écrire des chansons qui parlent aux gens. Les gens m’écrivent, et ce qui est dur, c’est de se sentir parfois impuissant face à leurs douleurs, leurs histoires. Tu voudrais les aider, trouver les bons mots. Souvent je comprends tellement ce qu’ils traversent, j’ai juste envie que ça aille mieux pour eux. Je ne peux pas faire grand, si ce n’est faire du bien avec la musique, leur souffler qu’ils ne sont pas seuls. 

Oui c’est troublant. Mais c’est un bonheur aussi de savoir que les gens se reconnaissaient, que ça leur parle, c’est puissant. C’est pour ça qu’on fait de la musique. 

Mais recevoir des cartes postales des détresses, ça veut aussi dire que tu réussis ce pari de la musique pour les aider à extérioriser. 

Oui. Sans doute. Je me le dis. Et c’est aussi pour moi une façon de comprendre que je ne suis pas seule non plus. C’est troublant des deux côtés. 

Est-ce qu’il te reste des obsessions en musique, des thèmes, des idées, des mots qui reviennent et s’imposent ? 

Pour le moment, c’est plus par rapport à des choses précises qui me sont arrivées ou que j’ai envie de dire. C’est vrai que je n’arrive à écrire sur un truc abstrait. Il faut qu’il y ait quelque chose à la base, que je ressente. Je ne parviens pas à être dans l’imagination. Pour l’instant, je n’ai pas du tout accès à ça. Donc ça dépend de ce que je vis, des fréquences, des émotions. Si je ne vis rien, je ne peux presque rien dire. Mais bon, c’est déjà une source inépuisable. 

Bon, là j’ai sorti quand-même pas mal de trucs patates. (Rires)

Tu es en train de me dire que tu vas avoir besoin de revivre des choses douloureuses pour refaire de la musique ?! (Rires)

Ouais c’est ça ! Nan, arrête. J’espère ne plus rien vivre d’aussi douloureux. Mais tu vois, je pense que le fait de libérer cet ep, ces choses, ça va faire comme table-rase des émotions. Je vais pouvoir me remplir d’autre chose pour retrouver de l’inspiration. Et en vrai, j’ai déjà commencé à écrire des choses dont je suis trop contente. Mais oui je crois que la sortie de cet ep est une étape dans ma life. 

Je pense que le fait de libérer cet ep, ces choses, ça va faire comme table-rase des émotions. Je vais pouvoir me remplir d’autre chose pour retrouver de l’inspiration.

Comment est-ce que tu travailles, est-ce que tu fais confiance à tes intuitions ou alors est-ce que tu reviens beaucoup sur ton travail ? 

Franchement, je ne retravaille jamais les mélodies. Pour le moment, ça vient comme ça. En revanche, je reviens sur certains textes, qui sont parfois difficiles à écrire. Mais ça m’arrive aussi d’écrire et ne plus rien toucher. Ça dépend des périodes. 

Photo : Charlotte Steppé

Qu’est-ce que tu es heureuse et fière d’avoir tenté pour la première fois sur cet ep ? 

C’est plus un ressenti global. J’ai vraiment fait ce que je voulais. De moi à aux gens, il n’y a eu aucun filtre, aucun calcul. Je ne me suis pas bridée, j’ai mis ce que je voulais, ce qui me traversait. Solo de guitare, accordéon… Je suis heureuse d’être restée fidèle à mes sentiments premiers. 

Est-ce que tu as eu l’impression d’avoir rendu justice à la Petite Blonde, d’avoir fait la musique que la petite blonde voulait écouter ?

Bah grave ! Franchement, de ouf. C’est tellement beau quand tu arrives à un moment de ta vie où tu te dis “Ok, là je suis sure de qui je suis, de ce que je fais.” Ça n’empêche pas d’avoir des doutes, mais ça résonne. Quand tu es enfant et ado, tu te cherches énormément, même si ça continue quand-même toute la vie. Et quand tu as trouvé un truc où tu te reconnais à 100%, où tu ressens de la fierté, où tu sens que tu es juste tout le temps, ça fait du bien. 

Il y a pour la première fois, un duo sur cet ep, avec Foé, quel travail c’était de mettre une voix masculine à côté de la tienne ? 

Encore une fois, ça s’est passé de façon très naturelle. Moi je suis absolument fan de son talent. Je l’écoute depuis très longtemps, notamment parce qu’on travaille avec le même réal et que c’est devenu un pote. Sa musique est fabuleuse. Un jour, alors qu’il est très pudique, il est allé voir Valentin Marso, notre réal, en lui demandant s’il pensait que ça serait possible qu’on fasse une chanson ensemble. Ils m’ont appelé tout de suite. Pour moi ça a été une évidence. Je sais qu’il aime aussi ce que je fais, et que nos univers se rejoignent. 

Oui, la grâce voulait que vos voix se mêlent parfaitement. 

Oui de ouf ! Sa voix hyper grave avec la mienne très aiguë, ça avait du sens. On a décidé de faire ça deux semaines avant le premier confinement. On l’a fait pendant le confinement, sans savoir ce que ça donnerait, ni où elle irait. C’est marrant parce que la chanson parle d’amour virtuel, finalement ça tombe bien que ça soit encore le confinement, les gens vont bien se projeter dans la chanson. (Rires)

Mais voilà, on échangeait, on s’appelait, on écrivait à distance, en quelques jours on a fait une maquette, avant de se retrouver en studio plus tard. Je pense que quand il y a un tel coup de coeur artistique réciproque entre deux artistes, tout ce qui est fait, coule naturellement. C’est beau et c’est comme ça. 

Je suis heureuse d’être restée fidèle à mes sentiments premiers

Qu’est-ce qui nourrit ton esthétique ?

Un peu tout. Je crois que ce qui me nourrit beaucoup, c’est ce que j’ai vu et vécu quand j’étais enfant. C’est à dire cette influence de la variété française. Les bals, les guinguettes…

Oui, j’ai l’impression que le lieu où tu as grandi compte beaucoup dans ton imaginaire. 

Complètement. Parce que c’est quelque chose dont j’ai du faire le deuil très vite. Donc c’est quelque chose qui dans mes souvenirs et dans mon imaginaire ressort très fort. Surtout parce que pendant longtemps, je crois que je n’ai pas reconnu ce que j’étais et dans quel univers j’ai grandi. Parce qu’on se cherche, parce qu’on fait autre chose, parce que c’est forcément le truc du moment. J’avais beau vouloir écouter du rap comme mes copines, honnêtement, je n’y arrivais pas. Et pourtant, j’en mettais dans mon mp3, subterfuge. Plus tard, j’ai accepté de comprendre que j’avais grandi dans des salles des fêtes, avec des lotos, des bals. Cet univers, je l’ai en moi. Mon esthétique recoupe tout ça. 

Photo : Charlotte Steppé

Et l’histoire retiendra que sur ton premier ep, il y avait de l’accordéon ! 

Ah mais ça, franchement, j’aimerai bien qu’on me sorte des musiques récentes avec de l’accordéon ! Je ne sais pas si ça va fonctionner, mais c’est comme ça. 

Ah mais si parce que justement, il y a quelque chose de l’émerveillement de l’enfance avec cet instrument. 

Oui, je crois aussi. Je n’y avais pas pensé mais c’est vrai qu’il y a de ça. 

chanson issue la série de 4 pianos voix, série parue cet été.

Qu’est-ce qui t’émerveille, qu’est-ce qui réveille l’âme d’enfant chez toi justement ?

Je crois que c’est la vraie vie. C’est elle qui me ramène à l’enfance. C’est le moments simples. C’est voir des gens heureux danser, boire du vin à des guinguettes, passer des vrais moments. Je crois que ça m’émerveillera toujours. 

C’est une belle réponse ça. Qu’est-ce que tu t’imaginais faire, après les études ? 

Ecoute, je suis allée en fac de psycho, un an, à Rennes. La première semaine, j’ai mis un écriteau dans la cuisine commune. J’avais écris “On ferait pas un petit apéro pour se rencontrer ?”. Donc en fait ça a très mal commencé. Donc tout le couloir de la cité universitaire est venu. On est tous devenus très copains, et on a surtout fait la fête pendant un an. 

La vraie vie m’émerveille. Les moments simples, les gens qui dansent heureux, boire du vin à des guinguettes, passer des vrais moments.

C’est le côté guinguette ça ! 

Mais oui, c’est ça. Après mon papa, dont je parle dans Mon Idole, est tombé malade. Alors, j’ai arrêté les études et rentrer. J’ai arrêté sans avoir trop d’idées dans la tête de ce que j’allais faire. La musique était présente, mais je ne pensais pas du tout à en faire mon métier. Je ne me représentais pas en chanteuse, mais c’est venu, je suis montée à Paris et voilà. 

Le hasard heureux, et puis comme tu as passé une belle année d’apéritif tu as un bon souvenir des cours. 

Oui oui oui… Mais je t’assure, j’allais quand-même en parce que ça me passionnait. Moi j’étais quelqu’un de très scolaire, mais dans le système scolaire. La fac… Quand tu y arrives à 17 ans, tu ne comprends pas bien ce qu’il faut faire. Tu te dis, “nan mais attends, il y a des gens trop cools, je suis loin de chez moi, je ne peux pas travailler là”. 

photo : Alexandre Ean

Comment tu réagis à ce moment spécial, cette rentrée, le couvre-feu, et maintenant le confinement ? 

Je trouve qu’il y a un problème avec ce gouvernement qui nous enferme et nous prive de tout, pour des raisons sanitaires un peu obscures. La crise est là, grave, bien sur, mais instaurer dans les esprits qu’on est en temps de guerre, je ne trouve pas ça bon. C’est grave, si on se pose deux secondes pour constater. Je pense surtout à la Culture, absente du discours du Président. Bon, je pense que tu sais très bien ce que j’en pense. 

Ah bah oui. Je crois qu’on sait que là on fait des métiers qui passent pour inutiles ma chère. Comment tu vas l’occuper alors ce reconfinement ? 

Déjà, je vais essayer de faire vivre cet ep correctement. Et puis, comme je l’ai fait pendant le premier confinement, je vais écrire des chansons. Si je ne suis pas content d’être à nouveau confinée, je suis quand-même contente d’avoir du temps pour écrire des chansons. Mais bon, il faut que le reste suive, que je n’écrive pas des chansons au vent. 

chanson issue la série de 4 pianos voix, série parue cet été.

Et puis c’est bien d’avoir un réalisateur à domicile, pour travailler non ? 

Ah bah complètement. Hier, à l’annonce, il m’a dit “Bon, bah on va faire ton album.” (Rires)

Ah bah voilà, finalement ça va devenir ton rythme de travail, les confinements. 

Mais oui ! Je retire ce que je disais. Finalement, reconfinez-moi tous les six mois ! (Rires)

Photo : Alexandre Ean

Bon, c’est l’heure de te poser la grande question pour la deuxième fois. Janie, qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

Mais tu sais quoi ? J’y ai pensé avant-hier. Et même pas parce qu’on allait s’appeler. Parce que c’est une très jolie chans… euh, nom ! Il m’a beaucoup marqué.

Ah ça me fait vraiment plaisir, mais fais en une chanson oui ! 

Mais c’est une idée figure toi. Et je prends toutes les réponses de tes invités ! (Rires)

Ah mais avec plaisir, et je ne dirai rien à personne. 

En fait, avant-hier, je pensais à l’odeur des clémentines. Parce qu’en fait, les premières pluies, c’est aussi un peu l’automne. Alors l’automne, c’est les feuilles bien-sûr. Mais pour moi, c’est l’odeur des clémentines. 

Ah mais tu me fais plaisir avec cette réponse. C’est vraiment une institution et 90% de notre budget chez Première Pluie. (Rires)

Han, génial. Mais franchement, quel bonheur quand tu ouvres une clémentine pour la première fois de la saison, qu’il fait froid, qu’il pleut, et que tu as ta clémentine, rassurante, qui fait du bien, pendant ces longs mois où on peut se réjouir de peu de choses.

Bon, là maintenant, je t’imagine en train de compter les minutes avant la sortie et avant la saison officielle des clémentines. 

Oh oui. Tu vois, j’ai beau commencé à avoir l’habitude de sortir des chansons, là il y quand-même quelque chose en plus, quelque chose de symbolique.

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Discussion : Arthur Guillaumot / Photo : Alexandre Ean

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