C’est l’histoire d’une prof de gym qui film un coup d’état sans faire exprès. Tout a commencé avec la vidéo de Khing Hnin Wai, qui filme sa séance de gym en plein air à Naypyidaw, la capitale birmane. En arrière-plan, des véhicules militaires se dirigent vers le Parlement. C’était le 1er février, et elle filmait sans le savoir le coup d’Etat en Birmanie, qui allait conduire à la prise du pouvoir par l’armée et à l’arrestation d’Aung San Suu Kyi, la cheffe de l’Etat. Depuis, les manifestations s’intensifient. 

Petit résumé historique 

C’est l’histoire d’un pays, où Aung San Suu Kyi est des soleils et des pluies. La prix Nobel de la paix 1991 a un destin épique, parsemé des éclats de sa nation.  Née en 1945, elle a deux ans quand son père, le général indépendantiste Aung San est assassiné. 6 mois plus tard, le 4 janvier 1948, la Birmanie obtient son indépendance d’avec le Commonwealth. La Birmanie connaît une période de transition avant le premier coup d’État militaire en 1962. Pendant 26 ans, le général Ne Win tient le pays. 

En 1988, après un mouvement de protestation, un nouvelle junte militaire renverse l’ancienne. Des élections libres sont organisées en 1990, remportées par la Ligue Nationale pour la Démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi. Cette dernière est rapidement assignée à résidence, elle le reste entre 1990 et 2010. 

Pendant ce temps, le pouvoir est tenu par l’armée, en 2005, la capitale est transférée de Rangoun à Naypyidaw, jugée plus sûre, dans le centre du pays. En 2007, (Révolution de safran) de sérieuses manifestations s’érigent contre l’augmentation du prix des énergies. En 2008, le cyclone Nargis tue plus de 130 000 personnes en Birmanie et fait 1 million de sinistrés. Le nouveau président Thein Sein tente une libéralisation du pays, après la libération de la prix Nobel de la Paix.

Aung San Suu Kyi au Japon, le 9 octobre 2018. Crédits : Franck Robichon/Pool via Reuters.

Ces dix dernières années marquent surtout dans le pays une importante ségrégation envers la minorité musulmane. Ces persécutions mènent jusqu’à un génocide clair, qui a toujours été nié et minimisé par les différents gouvernements en Birmanie, y compris par Aung San Suu Kyi, dont le silence et la passivité ont résonné comme une complicité totale. 

En novembre 2015 et 2020, la LND, le parti de Aung San Suu Kyi remporte les élections législatives et dirige le pays. Comme elle n’est pas mariée à un birman, elle ne peut être présidente. Elle occupe une fonction comparable à celle de Premier Ministre. 

La situation depuis le 1er février 2021

C’est l’histoire d’un pari. Celui de gouverner avec les militaires. Ces derniers ont décidé de reprendre les rênes, le 1er février dernier, contestant les résultats des élections de novembre, accusant le parti de Aung San Suu Kyi de fraude. C’est l’histoire d’un pari perdu pour celle qui a laissé tomber en échange son aura de défenseuse des droits de l’Homme. En réalité, c’est les militaires qui ont voulu et pensé l’expulsion de plusieurs centaines de milliers de musulmans et le massacre d’une dizaine de milliers d’entre eux en 2017. La passivité de la dirigeante birmane étant une partie de l’accord de gouvernement. 

Le nouveau chef d’Etat, installé par l’armée, Min Aung Hlaing est un nationaliste ultra conservateur. Il porte largement la responsabilité du nettoyage ethnique des Rohingyas. Dès les premières heures, Aung San Suu Kyi et les membres de son parti ont été arrêtés. Elle est assignée à résidence, alors que dans les rues, les manifestants demandent massivement son retour.

Kyal Sin, 19 ans, (avec le tee-shirt Everything is all right) sous les tirs des autorités, quelques minutes avant sa mort, mercredi 3 mars à Mandalay.

Nous avons toutes les semaines relaté sur Première Pluie* la situation dans le pays, du coup d’état, des réseaux sociaux bloqués au rassemblement avec le signe à 3 doigts de Hunger Games. Depuis le 1er février, les manifestations s’intensifient chaque semaine, les birmans sont des centaines de milliers, voire millions à manifester partout dans le pays, à utiliser la désobéissance civile. La junte a perdu patience, avec les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc, puis les balles réelles. La journée de mercredi 3 mars a marqué un tournant, avec un bilan provisoire de 38 manifestants tués par les militaires. Pour le moment, on fait état depuis le coup d’état de 54 morts et 17000 personnes arrêtées. La communauté internationale, à l’exception de la Russie et de la Chine notamment, condamne la junte.

C’est l’histoire d’une jeune femme. Parmi les victimes, mercredi, Kyal Sin. Elle avait 19 ans. Elle a été tuée par les autorités, d’une balle dans la tête à Mandalay. Quelques minutes avant, une photo immortalise Kyal Sin, vêtue d’un tee-shirt où est inscrit “Everything is all right”. La photo et le slogan, devenus virales, en plus d’être bouleversants, résonnent comme des symboles. La jeunesse birmane promet aujourd’hui, jour des obsèques de Kyal Sin, de ramener la démocratie. Tout ira bien.

________________

Arthur Guillaumot // Photo de Une Manifestants à Mandalay, le 3 mars / STR x AFP.

*Dans Vous Avez Pu Le Manquer, tous les mardi.

+ La Birmanie comptait en 2018 54 millions d’habitants.