Dans sa palette musicale, il y a les plus belles couleurs d’avant le jour et d’avant la nuit. Il a la science de faire sonner les verbes hauts. Pour la première fois, sur son second ep, La Lumière du noir, Lombre allie sa soif de vivre et sa curiosité, en quête de lui-même. En résultent des morceaux qui sont des matières, comme les tableaux de Turner. Discussion, le jour de la sortie.

Qu’est-ce que tu as fait pour la première fois sur ce nouvel ep, La lumière du noir ? Qu’est-ce que tu as tenté ?

Pour la première fois de ma vie, j’ai tenté d’être le plus proche de celui que je suis intimement. Sur le premier ep, j’ai fait un cv de ce que j’avais envie de faire, de présenter les choses. Mais sur ce deuxième ep, c’est la première fois de ma vie que je travaille pour arriver à un truc qui me ressemble au plus proche. Ça m’a pris du temps. J’ai changé d’entourage professionnel. Je sentais qu’il fallait que je sois le plus sincère possible pour ne pas avoir de regrets. 

Et c’était sans doute plus simple de le faire, comme tu le dis, après un premier projet qui servait de présentation. 

Ce premier projet m’a beaucoup aidé. Grâce à lui j’ai gagné pas mal de récompenses, dans des prix, dans des tremplins régionaux ou nationaux. Il y a eu plein de choses très positives. Mais rapidement, j’ai eu du mal à défendre ce premier projet sur scène. Je sentais que c’était une première ébauche, mais que je n’avais pas encore trouvé mon identité artistique. Je ne savais pas encore où je voulais vraiment aller, et j’ai pas mal été frustré par ça. À ce moment là, déjà, j’ai compris que je ne voulais plus d’un projet que je ne puisse plus assumer 6 mois après. Quitte à ce que ça prenne du temps. La lumière du noir, c’est deux ans et demi de travail. 

J’ai compris que je ne voulais plus d’un projet que je ne puisse plus assumer 6 mois après.

Deux ans et demi de travail, pour un ep, on ne va pas se mentir, c’est conséquent. Qu’est-ce qui t’a demandé du temps ? 

Déjà, il a fallu que les choses maturent. Et puis moi, je ne suis pas musicien, donc, j’ai été ralenti dans ma course. Il fallait que je m’entoure de gens. Je sais ce que je veux, et je sais le dire aux musiciens, mais ça prend plus de temps. Les textes existent depuis le début pour la plupart. J’ai essayé de ne pas les retoucher pour garder cette authenticité, je voulais qu’il restent bruts. Les structures changent, c’est tout. Donc le plus long, c’était l’instrumental, et de trouver les bonnes personnes pour réaliser le projet. C’est ce qui change le plus par rapport à l’époque où j’écrivais dans ma chambre d’étudiant, avec mes potes à Castres. 

Kevin Spafadora

Donc avec ce projet, tu as gagné des méthodes et des certitudes ? 

Oui clairement. J’ai la chance de bosser avec Clément Libes. Un jeune réalisateur de génie. Il était dans un groupe qui s’appelait Kid Wise, que j’admire beaucoup et qui m’a influencé. Là il a réalisé les deux derniers albums de BigFlo & Oli. Il bosse avec Söpico ou sur le projet musical de Kyan Khojandi, tout en ayant travaillé avec Christophe ou Cali. Il a fait plein de choses. Il nourrit plein d’influences différentes. Et moi j’avais besoin de trouver quelqu’un qui soit influencé par plein de choses, comme moi, et qui parvienne à le mettre en place. Et en même temps qu’il apporte une ligne fixe. Grâce à lui j’ai trouvé de l’équilibre. Il y a eu beaucoup de travail par rapport à la matière initiale. On a travaillé sur la cohérence. On a posé des vraies bases. Maintenant, je suis fier de dire que Lombre, c’est ça. 

Donc il y a du coup de foudre ? 

Oui. Si vous le croisez un jour il va vous dire que je l’ai harcelé. 

Tu es arrivé auprès de lui avec tes textes, et des maquettes ? 

Je suis arrivé à lui avec des choses déjà plus ou moins abouties. J’avais bossé avec un ou deux réal pour essayer des choses. Mais ça ne prenait pas. J’avais même terminé un ep. Et au moment de le publier, j’ai appelé mon manager en lui disant que je ne voulais pas le sortir, que je pouvais aller plus loin. Ça a été dur. Il y avait eu déjà beaucoup de travail. Une vraie remise en question. Mais je voulais aller plus loin. Alors j’ai tanné Clément. C’était un goal artistique, mais je pensais que ça arriverait plus tard. Il a accepté qu’on fasse un premier morceau. C’était Quand la ville dort encore. Et on était tous les deux très contents de la direction artistique. À partir de ce moment, il y a eu le feeling. Je lui fais totalement confiance. 

Tu as anticipé ma question sur l’intuition en écriture, alors je me demande plutôt, à quel moment tu sens que tu vas écrire un texte ? 

Je ne me mets jamais de créneaux d’écriture. Je n’écris pas tous les jours. Parfois ça dure des mois. Et puis enfin, j’écris trois textes en une semaine. C’est très spontané. Je ressens ces moments très précis. Il faut que ça sorte. J’ai envie de garder ça, parce que ça participe à l’authenticité. J’essaie de montrer dans la forme que j’ai voulu garder le fond le plus loin possible. Donc j’écris uniquement quand je suis inspiré, je ne me force jamais. 

À quel moment tu te sens différent dans la musique que tu fais ? 

C’est compliqué. Au fond je sais. Je suis sur de moi parce que je sais que ce que je fais c’est sincère. Je pense avoir trouvé une recette qui n’a pas été exploitée. J’ai travaillé pour ça. J’ai pris du temps. Je me suis beaucoup remis en question, comme je le disais. Je voulais faire une proposition, très humblement. Je préfère faire un projet clivant qu’un projet qui laisse juste indifférent. 

Kevin Spafadora

On parlait d’assumer un projet longtemps après sa sortie tout à l’heure, c’est aussi plus facile d’assumer un projet sur le long terme où on a tenté véritablement quelque chose non ?

Carrément. Même dans les maquettes que je fais pour la suite, j’ai à coeur de tenter des choses. Celles et ceux qui vont écouter cet ep seront surpris.es de ce qui va arriver après. Par exemple il y a des trucs hyper dansants. Avoir un projet pour faire tout le temps la même chose, ce n’est pas épanouissant. Ni pour l’artiste, ni pour le public. Il y a plein d’artistes qui se noient là dedans. Moi je ne prétends pas révolutionner la musique, mais je suis plus dans une démarche de fond. La musique, c’est un art qu’il faut respecter. Il faut tenter des choses. Là je participais au Crossroads Festival, qui se déroulait en live stream cette année et qui met la lumière sur des artistes émergents. J’ai suivi les autres artistes, et là, il y a avait des propositions. J’ai découvert YN. Tu aimes ou tu aimes pas, mais artistiquement, il se passe quelque chose.

J’ai provoqué la chance.

Justement, quels projets te parlent récemment ?  

Si je dois citer deux groupes qui m’ont touché cette année… Glauque, pour commencer. J’aime la démarche, je suis touché par le fond, par leur interprétation. Et Terrenoire, leur album, Les Forces Contraires qui vient de sortir est un grand album, autant au niveau de la réalisation, qu’au niveau artistique ou sur le fond. Je me suis pris une grosse claque. J’ai envie d’écouter le dernier Grand Corps Malade aussi, parce qu’il propose toujours des choses différentes et qu’il y a une vraie démarche. J’écoute aussi beaucoup Ben Mazué. C’est aussi quelqu’un qui m’a influencé, avec sa finesse et sa sincérité. Fauve aussi a joué un tournant dans ma vie, et dans ma façon de percevoir l’art et l’écriture. Leur démarche collective était aussi inspirante. Je tiens d’eux mon envie de créer un lien très fort avec le public, pour mettre en lumière des noirceurs qu’on a tous. 

Kevin Spafadora

Ça participait à l’importance de créer une identité forte sur le projet ? 

Oui franchement oui. J’ai commencé à écrire il y a plus de 10 ans. Longtemps j’ai copié les flows raps d’artistes que j’aimais. Je m’exerçais. Mais à un moment donné, j’ai eu besoin et envie de faire ma propre musique. C’était le croisement de mes influences mais ça devait être unique. 

Tu t’es senti devenir adulte ces dernières années, avec la musique ? 

Clairement oui. La vie est plus forte que toi. Elle avance. Et l’avancée de la vie suit l’avancée du projet. Tu perds un peu de ta fougue, mais tu grandis avec ton projet. Je trouve ça beau. Quand j’écoute mes textes d’avance, je sens que c’est maladroit, et sincère. C’est une fierté d’être là où je suis. Quand j’ai commencé à écrire, c’était pas dans un bon moment de ma vie. Mes parents venaient de divorcer par exemple. Je ne le savais pas mais l’écriture allait être un exutoire, et 10 ans plus tard j’en vis. Je jubile de la malice des années. Je suis fier aussi des moments de vie que ce projet me permet de créer. Je me réjouis de tout ce que je peux faire. J’ai eu de la chance, mais j’ai provoqué la chance. Quand j’étais à Castres, j’ai fait la scène ouverte de la salle de concert avec deux morceaux pour que la programmatrice me repère. Six moi plus tard, je faisais la première partie de Georgio. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

J’aime l’idée de “Première”, pour l’authenticité et la sincérité des premières fois. Je crois que ça ne m’évoque pas de la tristesse. Pour moi c’est un moment à saisir. Une déferlante. Derrière ce nom, il y a l’envie, ça se sent.

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Interview : Arthur Guillaumot / Photos : Kevin Spafadora