Couverture : Pierrick Villette

Portrait extrait du podcast L’averse, disponible sur les plateformes de streaming


Ludovic Rioux est Secrétaire général du Syndicat CGT Ubereats Deliveroo de Lyon, et c’est en pleine livraison, depuis son vélo, qu’il nous appelle pour nous parler des conditions de travail des livreurs, un métier qu’il exerce depuis 2018. Pour lui, c’est un job alimentaire et à première vue, la mission ne semble pas très contraignante.

“Le métier reste quand même agréable pour beaucoup parce que la livraison à vélo ou à scooter, c’est un métier où l’on est en extérieur, on tourne un peu. C’est agréable.”

Mais le métier de livreur cache une toute autre vérité : ces travailleurs sont complètement dépendants des plateformes qui fixent à elles seules les conditions d’exercice de l’activité, entraînant pour les livreurs une instabilité financière et une insécurité au travail.

“On travaille en vélo ou à scooter. On livre des commandes, on est payés à la tâche. On a le statut d’auto-entrepreneur imposé, on ne peut pas travailler autrement sur ces plateformes de livraisons. On a pas de moyens syndicaux non plus. On voudrait également pouvoir faire respecter un certain nombre de droits en termes de salaire minimum par exemple…

Les conditions de travail, ce n’est pas qu’elles soient bonnes ou mauvaises, c’est qu’elles se dégradent.”

Photo : Victoria Philippe

Depuis l’arrivée de la pandémie, les recettes générées par les livraisons ont augmenté de 125% au niveau mondial. Un résultat très attrayant pour des plateformes comme Ubereats ou Deliveroo mais beaucoup moins pour les livreurs, car plus de commandes dit aussi plus de livreurs actifs, donc pas de réel changement. Mais encore, les livreurs se retrouvent sans aucune protection de la part de leurs employeurs face au risque de contamination du Covid-19.

“Effectivement, on tire des constats qui sont les mêmes que tous les autres salariés sur la question des conditions de travail, et également de la santé et de la sécurité au travail. C’est évidemment qu’en cas de contamination au covid-19, on est beaucoup moins couverts par le régime général de la sécurité sociale, d’autant plus que l’employeur n’assume pas de responsabilité vis à vis de cela. Il ne paye pas de cotisation, ce qui veut dire que tout doit partir de nos poches, y compris l’indemnisation qu’on va toucher de la sécurité sociale.”

C’est depuis l’arrivée des services de livraison de plats cuisinés en France, il y a environ cinq ans, que la dégradation des conditions de travail des livreurs a commencé. Certains livreurs ont vu leur salaire diminuer de 10 ou 20% en un an, et d’autres trouvent leur compte bloqué sans réelle raison. Alors, depuis trois mois, les livreurs manifestent.

« En à peine trois ans, on est passés de zéro syndicat à six avec plusieurs sections et d’autres qui sont en cours de constitution. Avec des livreurs qui sont de plus en plus conscients de leurs conditions de travail et de comment est-ce que l’on pourrait régler cela, et également une volonté de lutter et de s’organiser qui apparaît dans tout un tas de villes. Si on parle des trois derniers mois, il y a eu des grèves à Lyon, Besançon, Saint-Etienne, Strasbourg, Mulhouse, Nancy, Lille, Brest, Rennes, Aix-en-Provence, Bordeaux, Toulouse, etc, et cela fait quand même un certain nombre.”

Sur le court terme, les livreurs luttent pour une augmentation des rémunérations, l’interdiction des blocages de comptes sans réel motif et la régularisation des livreurs sans papiers, qui à cause du statut d’auto-entrepreneurs, ne peuvent pas bénéficier d’une régularisation.

“La CGT a pu obtenir un pari dans la régularisation d’une centaine de livreurs de Frichti, qui étaient auto-entrepreneurs, donc une première. Mais pour nous aujourd’hui, il s’agit de faire valoir ce qui devrait être la norme : l’idée que des travailleurs qui vivent en France ont le droit d’être régularisés. Et nous, c’est également ce pourquoi on se bat, compte tenu du fait que le nombre de livreurs sans papiers a augmenté dans les dernières années.”

Les dirigeants d’Ubereats et de Deliveroo font les sourds face aux demandes des livreurs, suggérant une augmentation des partenariats avec des restaurants au lieu de proposer une augmentation des salaires. Pour autant, Ludovic semble convaincu de l’avancée de leur lutte.

“Aujourd’hui, ces aspirations-là, elles sont en train de conduire à des débouchées légitimes qui sont le fait de se faire entendre. Et effectivement, on sait très bien que ce n’est pas le gouvernement qui va du jour au lendemain ouvrir les yeux parce qu’il connaît très bien la situation…

Par contre, on peut le forcer à prendre des décisions qui sont les bonnes. Donc on ne désespère pas du tout, bien au contraire.”

Photo : Maxime Jegat

Merci à Ludovic Rioux pour cet échange. Lorsque nous enregistrons cet échange, une nouvelle journée de grève est prévue dimanche 10 janvier 2021, pour la 8ème semaine consécutive.


Pauline Gauer