Il y a quelque chose qui crépite, ça fait penser à la pression des doigts sur la peau, à une course dans la ville l’été, la moiteur de l’air qui serre la gorge et qui pourrait empêcher la sortie des jolis mots, mais non, les jolis mots passent la porte sacrée de la bouche, les rangées, remparts vers l’éternité des dents, et puis les lèvres, ça y est, c’est le monde : frénétique et saccadé, le monde comme une course-poursuite où il faudrait un minimum s’appeler Phileas Fogg. On viendrait interroger les amours comme sur Dis moi qu’t’y penses ou bien draguer les moments de grâce avec Épouser la nuit. C’est cet album Tempéraments. Rencontre avec Malik Djoudi. 

Il sort cet album archi-réussi, d’une précision rare dans le chemin vers le cœur. La musique y est battement, saccade, respiration qui s’accélère. Les mots y sont poèmes beats, chantés hauts, au moins aussi que la vaste nuit. Le bleu est immense, pétrole et aquatique. Discussion.


Arthur : Dans quel état tu étais pour créer cet album ?

Malik Djoudi : Dans un très bon état. Parce que je venais de sortir le premier album quand j’ai commencé à composer Tempéraments et j’attendais pas un accueil comme ça. (Pour son premier album, Un, paru en avril 2017, ndlr). J’ai fait ça dans mon salon tu vois, de le sortir, que Sous Garantie soit autant diffusé, ça m’a fait très plaisir. Je n’attendais pas un tel accueil. ça m’a donné des ailes.

Arthur : De quoi ce deuxième album, Tempéraments, est-il la première fois ?

Malik Djoudi : Ah ! La première fois, peut-être, de l’insouciance.

Arthur : Les déplacements, les mouvements, sont au coeur de cet album, ce n’est pas anodin de le conclure par une chanson comme Train de Nuit, est ce que tu as cherché à fuir, ou à retrouver quelque chose, au fond ?

Malik Djoudi : Non, jamais fuir. J’affronte toujours. Tu sais, rechercher l’insouciance. La paix intérieure. Le lâcher-prise.

Une recherche de l’insouciance 

Arthur : On pourrait croire que c’est facile mais c’est une vraie recherche, ça a été difficile de la trouver l’insouciance ?

Malik Djoudi : Est-ce que je l’ai trouvé ? Je ne sais pas. C’est une quête de l’insouciance. Comme quand on est enfant. C’est marrant parce que quand on fait de la musique, quand on la joue, moi j’ai cette insouciance là. Parce que c’est des moments présents. Quand je compose, oui, il y a l’insouciance.

Arthur : Est-ce que tu y pensais au moment de le composer cet album ?

Malik Djoudi : Le premier, non. Je n’y pensais. Après le deuxième, j’y pensais parce que j’étais en pleine tournée et je faisais pas mal de concerts à ce moment-là. Le public me rendait ça. Et je pensais au live.

Arthur : Qu’est ce qui t’a habité, qu’est ce qui t’a obsédé pendant la création de cet album ? On le sent poétique, c’est ce que tu lisais par exemple ?

Malik Djoudi : Ah, je me souviens, par exemple j’ai lu Les Clochards Célestes

Arthur : Ah ouais, Jack Kerouac, c’est sacré. Il y a quelque chose de la route, des trains de nuit dans cet album.

Malik Djoudi : Exactement. ça m’a accompagné tout au long de cet album. Pas mal de choses sur le moment présent aussi. Beaucoup de musique.

« On est allé s’immerger à Margate avec l’ingé son de Metronomy, des beaux moments »

Arthur : Il a été enregistré en Grande-Bretagne ?

Malik Djoudi : Non ! Il a été enregistré chez moi et mixé en Angleterre.

Arthur : Qu’est ce que tu es allé chercher en Angleterre pour le mixage ?

Malik Djoudi : J’aime beaucoup la culture anglo-saxonne. J’ai recherché un son particulier. J’aime beaucoup le son de Metronomy. Je me suis renseigné pour savoir qui était l’ingénieur du son de Metronomy. Je l’ai trouvé au sud de l’Angleterre, à Margate. Une espèce de cité balnéaire un peu abandonnée. On est allé s’immerger là-bas pendant un mois et demi. Avec un ami à moi, Amaury Ranger, qui joue dans Frànçois & the Atlas Mountains. Très beaux moments.

Arthur : J’ai entendu dire que si tu chantais aussi haut, c’est parce que certaines chansons avaient été d’abord destinées à être chantées par des femmes, c’est vrai ?

Malik Djoudi : Oui ! C’est vrai. J’avais composé pour une femme des morceaux, mais il y a un petit moment, il y a 10-15 ans.

Arthur : Ça a marqué ton style ? 

Malik Djoudi : Oui. Ça a marqué mon style. Et puis, ça m’a affirmé, dans le sens que je pouvais m’accaparer cette voix. C’est une chose qui aujourd’hui est en moi. Peut-être avant je pouvais avoir un peu honte de chanter comme ça. Enfin, pas honte, mais me dire que ce n’était pas moi. Mais en fait c’est moi, cette voix. J’aime beaucoup cette voix.

Arthur : Ça a été une recherche alors j’imagine ?

Malik Djoudi : Complètement.

La sensibilité, haute féminité  

Arthur : D’ailleurs, c’est aussi un écho de féminité, quelle est ta part de féminité ?

Malik Djoudi : J’ai été beaucoup élevé par des femmes. Je travaille avec beaucoup de femmes. Ma part de féminité, je pense avoir une certaine sensibilité. Être hypersensible. Je suis un homme, j’aime les femmes. Mais, tu sais, je pourrais être dégenré. Je sens en moi une part féminine.

Arthur : ça t’intéresse cette idée d’androgyne, au niveau de la voix en tout cas ?

Malik Djoudi : Hm, oui. Je n’y fais pas attention.

Arthur : C’est plutôt quelque chose d’universel ?

Malik Djoudi : Oui, complètement. Après, tu sais, pour moi, l’homme et la femme sont exactement égaux. Mais je sens cette part féminine chez moi. J’en suis très content. C’est comme si c’était une part de yin et une part de yang.

Arthur : On parle beaucoup de pop-élégante pour définir ta musique, justement, je voulais voir ta définition de l’élégance.

Malik Djoudi : La sobriété. La simplicité. Le respect. Et l’humilité.

Arthur : On a une question rituelle pour terminer les interviews : Qu’est ce que t’évoque la Première Pluie ?

Malik Djoudi : Le big-bang. La naissance. La naissance ou la renaissance.

Arthur : Revenir au tout début, ou se réinventer ?

Malik Djoudi : J’aimerai bien qu’il y ait une renaissance.

Arthur : Ah oui ? 

Malik Djoudi : Tout simplement j’aimerai bien qu’il y ait une renaissance dans nos sociétés. Qu’il y ait une conscience des gens qui nous gouvernent.


Tempéraments, le deuxième album de Malik Djoudi est sorti le 22 mars (Cinq 7 / Wagram Music) 

Vous pouvez l’écouter ici :

Interview réalisée dans le cadre du festival OffKultur à Nancy, L’Autre Canal, soirée Muddy Monk / Malik Djoudi le jeudi 4 Avril, merci à L’Autre Canal pour l’accueil. 


Texte et interview, Arthur Guillaumot

Photo de couverture, Marcel Hartmann/bandits vision