À travers un style avant-gardiste fabuleusement novateur, Martin Margiela a marqué les esprits par une mode déconstructiviste réalisée dans l’anonymat. Toutefois, le créateur invisible a réussi à transcender les codes de la mode européenne notamment en étant pionnier en matière d’upcycling.

Né en Belgique en 1957 et diplômé à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers en 1980, Martin Margiela est souvent rattaché par erreur au groupe des Six d’Anvers. Six étudiants aux noms imprononçables, qui, après avoir obtenu leur diplôme, sont nommés ainsi par la presse lors du « British Design show » de 1988 à Londres. Instigateurs d’une mode contemporaine, inspirée de la seconde vague de créateurs japonais, ces stylistes sont en avance sur leur temps.

Martin Margiela travaillera seulement quatre ans pour Jean-Paul Gaultier avant de lancer sa propre maison à son nom en 1988. Maison qui deviendra Maison Martin Margiela pour tenir compte de l’esprit de « collectif de mode ». Puis en 1991, il sera le premier lauréat de l’ANDAM : l’association nationale pour le développement des arts et de la mode qui a pour but de repérer les talents émergents et de leur donner les moyens de se développer.

Comme évoqué précédemment lors de l’article au sujet de Marine Serre, Martin Margiela est un des premiers créateurs à se servir de divers matériaux ou de tissus qui ne seraient pas destinés à la création de mode.

Le pull chaussettes. Meilleure façon de garder les paires ensemble.

En pratiquant l’upcycling, concept mêlant « amélioration » et « recyclage », il établit ce fameux pull chaussettes, à partir de 8 paires de chaussettes américaines trouvées dans un surplus militaire. Margiela étudie le placement des chaussettes afin que les talons correspondent aux parties rondes du buste : la poitrine, les coudes et les épaules.

Néanmoins, ce processus de récupération surpasse artistiquement le simple concept d’upcycling. Le créateur établit davantage un processus de détournement insolite. Un dialogue entre le passé et le présent est mené, où les traditions sont bousculées, son but étant de réinventer les codes.

De surcroît, les coutures des vêtements sont régulièrement apparentes et les formes pas toujours symétriques, Martin Margiela est un fervent partisan d’une mode déconstructiviste.

Tout d’abord une pratique d’analyse de texte utilisée par Martin Heidegger puis théorisée par Jacques Derrida, ce concept deviendra un mouvement artistique d’architecture qui sera adopté par la mode et surtout la mode qualifiée d’anti-conformiste.

Quoi de mieux qu’un haut avec des coutures à base de scotch pour illustrer ce phénomène. Lors de la représentation de sa collection printemps-été 1989, Margiela y ajouta un côté performatif en faisant défiler ses mannequins sur un drap blanc avec de la peinture rouge sous les semelles de leurs bottines Tabi, modèle emblématique de la maison. Ainsi, avec ce tissu et quelques bandes de scotch en guise de couture, il conçoit ce haut. Cette pièce sera présentée sur le premier look du prochain défilé.

Vous vous demandez sûrement à quoi ressemble Martin Margiela, mais ce dernier a toujours souhaité garder son anonymat. Une légende raconte qu’il assiste à chacun de ses défilés grimé et déguisé afin que personne ne puisse le reconnaître. Ceci étant dit, un black-out reste quasiment total sur son image et son identité.

Bien que tout au long de sa carrière ses interviews étaient réalisées uniquement par fax, une décennie après avoir quitté la maison, il accepte enfin de prendre la parole lors d’un reportage à son effigie : Martin Margiela : In His Own Words. Ce documentaire, uniquement disponible dans certains États, retrace au-travers de ses collections, comment il a su développer sa mode, des racines de sa vocation à sa consécration tout en se protégeant des spotlights.

Son visage, toujours invisible, l’est autant que ceux des mannequins qui défilent pour la maison. Leurs visages sont couverts au court des défilés 1995 et 1996 et le concept sera réutilisé quelques années plus tard. Parfois seuls les yeux sont masqués, notamment avec la paire de lunettes emblématique Incognito. Ce processus laisse donc un tas d’interprétations aux spectateurs qui ne s’identifiera pas de la même manière aux looks que lors de défilés classiques.

Il en va de même sur le vêtement en soi. On notera l’absence de logo. L’étiquette au dos de chaque vêtement est blanche. Le blanc étant la couleur fétiche de la maison, chaque employé est vêtu d’une blouse blanche en guise d’uniforme qui permet la neutralité identitaire.

De par sa vision de la mode hors du commun, Martin Margiela a joué un rôle considérable dans l’avant-garde de l’industrie. Son travail a inspiré d’innombrables créateurs comme Raf Simons qui affirme avoir trouvé sa vocation en assistant à un défilé Margiela. Depuis 2014, John Galliano prend la relève. Il est à la tête de la division féminine en tant que premier directeur artistique depuis le départ de Martin Margiela en 2009. La maison nous réserve donc encore bon nombre de surprises.

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Laure Gaurois

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