Dans le premier film coréalisé par Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, Adèle Exarchopoulos crève l’écran et laisse percer toute la mélancolie dont elle est capable, avec son jeu au plus près de la peau. Avec elle, on plonge dans le quotidien d’une hôtesse de la compagnie low-cost Wings pour en découvrir les dessous. Attention, décollage immédiat pour Rien à Foutre, sorti mercredi 9 mars en salle. 

Dans le recoin d’un aéroport, on fait la connaissance de Cassandre, jeune hôtesse de l’air solitaire et vagabonde. On reconnaît tout de suite le visage d’Adèle Exarchopoulos, actrice notamment révélée par Abdellatif Kechiche et qui était nommée au César de la meilleure actrice dans un second rôle pour son apparition dans le dernier Dupieux. L’actrice revient ici avec une tout autre palette de jeu. On connaît sa fougue et son bouillonnement, mais dès qu’elle passe les portes de son avion, elle arbore un sourire faux et ne laisse transparaître aucune forme de fragilité ou d’émotion. Elle représente bien le milieu des hôtesses de l’air. Le mot d’ordre, c’est d’être irréprochable, souriante, féminine afin de vendre le maximum de produits à l’intérieur de l’avion. À noter que les acteurs et actrices jouant les membres de la compagnie sont pour la majorité non professionnels et officient en tant qu’hôtesses. Un parti pris intéressant pour un film qui va chercher le naturel et le regard quasi-documentaire. 

Le film raconte une vie marquée par le mouvement. On passe de destinations en destinations, de pays en pays. Rare de voir un plan sans travelling dans le film ; la réalisation souligne ce quotidien en constante action. Cassandre semble n’avoir aucune attache. Elle a tendance à fuir sa maison natale, son seul point d’ancrage. Sentimentalement parlant, elle enchaîne les conquêtes sur Tinder où son profil, qui affiche “Carpe Diem”, révèle une vie au jour le jour. Mais finalement ce changement constant crée une forme de cycle. Se crée un mélange étonnant entre routine et changement. 

Une réalisation qui fait des choix très intéressants. Elle joue constamment sur le contraste. Le contraste le plus frappant, c’est celui entre une vie professionnelle complètement cadrée et une vie personnelle libre et non brimée. Dans le cadre professionnel, la réalisation est rigoureuse : les réalisateurs implantent la symétrie, l’ordre, la régularité. Au contraire, dans la vie personnelle, les codes sont abattus par une réalisation plus foutraque. Les décors sont déconstruits, certains plans paraissent être pris au flash de téléphone, tant l’éclairage unique de la scène vient pâlir le visage des acteurs. 

Une réalisation, qui donc parfois, n’en a rien à foutre. Comment oublier ce titre subversif et provoquant, mais sacrément bien choisi. La réalisation, c’est vrai, n’en a rien à foutre de sous ou sur éclairer ses personnages, ou encore de laisser à peine entendre leur voix camouflée par la musique des boites de nuit. La réalisation vient même parfois dégrader l’image en laissant les personnages dans le noir et en assumant d’implanter du bruit (ce grain qui apparaît sur l’image quand elle est sous-exposée). Mais finalement, cette apparence j’men foutiste recèle toute la richesse d’une réalisation qui vient briser ses propres codes. Elle accompagne l’état d’esprit de Cassandre, qui est assez rebelle. Elle n’a pas envie de se conformer à certains codes de son métier, qui lui paraissent insensé. 

Et pourtant, le “rien à foutre”, c’est aussi toute l’expression d’un milieu qui demande à Cassandre de ne pas exprimer d’émotion et ne pas se laisser submerger. En témoigne long plan sur fond blanc où le personnage finit par rire nerveusement avant que celle qu’on imagine être sa supérieure hiérarchique la reprenne en lui disant qu’elle ne peut pas rire comme ça. Ainsi, on joue aussi un autre sens du rien à foutre, celui du fade, du manque d’émotion et de sentiments. Et pourtant, Cassandre s’autorise quelques fois à ressentir des sentiments, notamment dans la deuxième partie du film où elle retrouve sa famille et ses amis. Ce sont ceux-ci qui viennent briser le cadre, et autoriser la réalisation à aller chercher d’autres angles de vue : la plongée ou la contre-plongée par exemple, là où la caméra est constamment dans l’axe. 

Vous l’aurez compris, le premier film de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, c’est loin d’être le crash. Alors on vous conseille de pousser les portes du Caméo Commanderie à Nancy ou de l’Eldorado à Dijon.

Paul Dufour