Entre les rêves et le réveil, précisément, P.R2B explore des espaces, elle entreprend les images. Les morceaux de son premier ep sont des épisodes oniriques, minutieusement articulés, découpés comme des plans, où les sensations frottent contre les sonorités. Un travail en équilibre sur des nuages. Grande discussion.

Rayons Gamma, le premier album de P.r2B est sorti le 22 octobre 2021, vous pouvez l’écouter ici.

Qu’est-ce que tu as tenté sur ce premier, pour en être fière ? 

Déjà, cet ep est issu d’un travail plus grand. Avec Tristan Salvati, avec qui j’ai co-réalisé l’album, on a travaillé pendant un mois et enregistré plus d’une quinzaine de morceaux ensemble. Moi ça faisait un petit peu de temps que j’étoffais mon répertoire. L’idée c’était donc de travailler un univers complet. Moi ça me semble toujours court, en 5-6 titres d’avoir l’essence d’un univers entier.

Comme des choses étaient déjà sortis, l’ep c’était une concentration de cet univers. Comme une esquisse pour entrouvrir une porte. Comme une extraction de parfums, de contrastes.

On a pris la décision de se lancer dans le cheminement vers un album. Comme des choses étaient déjà sortis, l’ep c’était une concentration de cet univers. Comme une esquisse pour entrouvrir une porte. Comme une extraction de parfums, de contrastes. C’était aussi une première approche des contrastes, entre des chansons comme Des rêves ou La chanson du bal.  Des chansons qui n’ont pas toujours de liens directes entre elles, si ce n’est le scandé, ou le lyrisme. 

Comment est-ce qu’on arrive à une cohérence, tout de même ? Et d’ailleurs, est-ce que la question se pose, dans un travail d’esquisse ? 

Il y a plusieurs choses. Il y a un endroit qui est inchangé, c’est la voix. Qui est d’ailleurs cette chose qui est ma première arme. Notamment sur scène. ma voix ne change pas, elle est reconnaissable. Ça a toujours été une identité très forte. Une ligne. La voix qui dit, qui parle, qui raconte des choses. Le lien, c’est le texte et l’incarnation vocale. 

Après, la cohérence, j’aime l’idée qu’elle vienne de l’orchestration. Sur l’ep comme sur l’album, on a travaillé avec des synthés sur différentes formes. C’était une orchestration d’album, avec l’idée de détourner des textures. Il y a un vrai fil musical technique. Ça peut paraître éloigné, mais il y a une vraie volonté de cohérence au moment de lier ces titres entre eux. La cohérence se joue là. 

Finalement, ensuite, ce que j’aime, c’est que les genres, comme les genres de films, moi me permettent d’aller forcer quelque chose. 

D’où l’idée de travailler sur plusieurs flows notamment ? 

Oui voilà c’est ça. 

C’est là où je prends plaisir à me balader et à me sortir d’un endroit précis. Et en même temps, ce n’est pas du tout une incohérence pour moi. C’est plutôt comme une lampe torche pour éclairer de nouveaux endroits. 

Oui, et puis c’est un premier ep, c’est le moment de tester. Comme tu disais, ça a été un cheminement, il a été long, de quoi il a été le moment ? Qu’est-ce que tu t’es posées comme questions ? On parlait de l’orchestration. 

Le gros travail, il s’est joué autour du son. Pas mal sur les instruments. Moi, avant de rentrer en studio pour cet ep, j’avais déjà des maquettes qui provenaient de mon ordinateur. Il y avait un continuum qui était là et qui était clair. C’était ma voix et les vents. Parce que j’ai toujours ma clarinette. On savait que ces éléments allaient être très importants. 

Mais à l’époque, dans mes maquettes c’était électroniques. Au moment du studio, je sortais de quelques dates. Je sortais donc d’une grosse période de réception, où la voix était central. Et je me suis rendu compte qu eje voulais une plus grande place pour les instruments. 

Donc le travail, il a été de faire un lien et un équilibre entre une vraie orchestration très organique, des vents, des saxes, de la voix très pure, on entend très fort la texture, comme dans la chanson à l’ancienne. Mais que les basses, les synthés, et les drums, on soit plus dans un truc éléctro. Moi c’est ce qui m’intéressait. En haut de la chanson et en bas du sale. 

Un vrai travail d’équilibre pour trouver mon son. Pour faire cohabiter les sonorités. 

Est-ce que l’équilibre pourrait s’inverser dans l’autre sens ? P.R2B sous autotune ? 

Ah ! C’est drôle. Je crois que ce que j’adore c’est le paradoxe. J’arrive avec une musique qui peut faire hyper tech, d’autres qui frôleront le gabber sur l’album, et en même temps très chanté. Donc moi ce qui m’amuserait, c’est de faire un truc très orchestral avec une voix autotune. Moi ce j’aime, c’est que l’autotune c’est un instrument de musique. Avec des variations et des textures. Mettre mon saxe ou ma clarinette dans un autotune j’aimerai bien essayer. Ça je trouve que c’est génial, avec des instruments nobles. Enfin, même la voix. Mais pour la voix, ça sera l’espace d’un instant. 

Tout est une question d’équilibre. Dans ton travail d’écriture, tu retouches beaucoup ?

Je fais confiance aux fulgurances. L’inconscient est toujours surprenant. Il y a une phrase dans Des Rêves qui dit Le sang d’hier qui sèche vivra à travers moi. Je ne sais pas par quel esprit j’étais habité pour écrire ça. Je la découvre à chaque fois que je la chante. Quand j’y réfléchis, je me dis que c’est obscur. Et en même temps, il y a forcément un travail réfléchi. Il y a des zones d’ombres à soi-même. Quand tu es interprètes, tu comprends mieux dans les yeux des autres parfois. 

Je fais confiance aux fulgurances. L’inconscient est toujours surprenant.

Il y a des chansons qui sortent d’un geste et d’autres qui mettent plus de temps, celles qui sont plus romancées ou plus temporelles. Celles-là, je prends du temps. Comme je n’écris pas forcément la musique avant les textes, ou l’inverse. J’ai toujours des phrases ou des flashs.  Et ensuite, ce que j’aime, c’est travailler les matières ensemble. Je trouve ça toujours déceptif quand j’écris un texte pur et que j’y colle la musique, alors qu’elle veut toujours aller ailleurs. Si j’essaie de faire rentrer mon texte en force, je trouve que ça devient ampoulé. 

Au moment où je sens que les deux sont prêts, je mets en conflit.  

Tu travailles avec des notes dans des carnets, que tu assembles en studio ? 

En fait, j’écris tout le temps chez moi. Rarement ailleurs. En studio je n’écris pas vraiment. Je peux avoir des fulgurances, mais elles m’arrivent plutôt dans la vie qu’en studio. C’est comme les résidences d’écriture. Ça ne marche pas trop avec moi. 

Comme des injonctions. 

Oui voilà ! Et ça je n’aime pas du tout. Parfois je vais courir, où je parle. Et j’arrête tout pour noter la phrase. Les pépites viennent dans des bugs temporels. 

Au moment où je sens que le texte et la musique sont prêts, je mets en conflit.  

Du coup, encore une histoire d’équilibre pour trouver de quoi entourer la fulgurance.

Bien-sûr ! Je travaille la fulgurance comme dans un art plastique. J’analyse le geste, et j’essaie d’aller ailleurs. C’est assez jubilatoire de regarder et comprendre où le mot te guide. Mais essayer d’insérer la fulgurance gratuitement, ça se voit. C’est le début de la paresse. 

Il faut toujours que ça reste simple. Pas simpliste, mais simple. 

Comme quand Jack Kerouac dit “Un jour, je trouverai les mots justes et ils seront simples.”

Totalement. C’est ce qu’on voit en photographie ou en peinture, le geste artistique s’épure. Tu fais un trait au lieu de trente. C’est compliqué ce travail. 

Ça vient aussi sans doute avec la confiance et l’expérience, l’épure. 

C’est sur que tu ne peux pas réinventer sans avoir inventé. Il faut présenter une première oeuvre. Pour casser, il faut construire. 

Mais ce qui est drôle, c’est que dans un même répertoire, tu peux avoir beaucoup de chansons qui vont être plus compliquées, et d’autres qui sortent, qui donnent l’impression d’être le concentré de tout que les autres voulaient dire. 

C’est là qu’il faut être clairvoyant et radical en chanson. 

Photo : Bettina Pittaluga

Je trouve que c’est toujours magnifique quand on regarde toute la discographie de quelqu’un comme Barbara. Il y a évidemment ses chansons qu’on reconnaît, et qui sont souvent les plus simples. Tu vois, La solitude c’est des phrases toute simples. Et puis il y a les autres chansons qui composent la discographie, qui sont plus exigeantes, et qui participent aussi à l’oeuvre. Sans doute que sans faire celles-là, elle n’aurait pas pu faire les autres. 

Je trouve ça génial. J’y crois. C’est là qu’il faut se battre contre les formats. Parce que tu ne sais jamais ce qui va venir. Parfois il faut faire un morceau de 9 minutes, très compliqué pour donner une chanson très pure de 2 minutes 50. 

C’est la chose la plus folle de faire de la musique.

Qu’est-ce que la musique peut dire que le cinéma ne peut pas dire ? Et peut-être inversement, d’ailleurs. 

Ce qui est assez drôle, c’est qu’il y a plein de réponses à cette question. La musique est créatrice d’images, mais dans un endroit d’abstraction. C’est la chose la plus folle de faire de la musique. Si on oublie les paroles, tu fais quelques chose de très concret : tu appuies sur un truc dur qui s’enfonce, ou sur une corde, et ça fait des notes. Ça paraît très concret. Alors qu’en vrai, c’est des fréquences, que nous on identifie. C’est très absurde. 

Il y a quelque chose de la suggestion. Il y a un ordre qui se crée. Et qui dans un ordre de notes, de fréquences, crée une émotion. Et qui raconte des histoires qui te déplacent. Mais à un endroit qui parfois n’est pas de l’ordre de l’idée, du mot où de la chose à voir, donnée, incarnée. Et ça, je trouve que la musique a quelque chose de magique. C’est très étrange, cette vibration qui rapporte un monde que tu le ou la seul.e à pourvoir voir. C’est hallucinant de se dire qu’on écoutera jamais la même musique. Parce qu’on entend et on ne ressent pas physiquement la même chose. Il y a une part cachée et obscure dans la musique que je trouve très intime. 

Et ce que je trouve fort avec la représentation la plus classique du cinéma, c’est le rapport au temps. Le cinéma te fait subir le temps. Tu dois t’asseoir et tu dois regarder un long temps donné de film. Et tu es assis ton temps avance. C’est très étrange. J’ai toujours eu ces endroits de transfert où tu as l’impression d’avoir vécu immobile. Ça, je crois que c’est la prouesse du cinéma. 

Peu importe ce qu’on raconte, le mot n’a pas de limites.

Est-ce qu’il y a des choses que tu ne pourrais pas dire dans une chanson ? 

Non, je ne crois pas. Ce qui est génial avec la musique, c’est que dans les chansons, il y a un rapport tellement étrange entre la musique et la langue. Peu importe ce qu’on raconte, le mot n’a pas de limites. Il résonnera toujours différemment. Donc je ne vois pas de limites. 

Dans Le beau mois d’août, tu dis qu’on a tous raté nos castings de rêves. Elles ressemblent à quoi tes désillusions, justement, si on part du principe qu’elles sont l’autre côté du rêve ? 

Oulah. Les désillusions prennent des formes toujours très différentes. Il y a toujours un endroit ou un monde dans lequel on pense avoir été mis, ou un espoir dans lequel on a envie d’appartenir justement à une société ou un monde. D’ailleurs c’est souvent un échec cuisant. 

Moi j’embrasse mes désillusions.

En fait on se retrouve relégué à une place. On se rend compte que tout ça n’a pas de sens, qu’on vient de choses qui nous précédent depuis très longtemps. À ce moment-là, pour moi, on a tous raté nos castings de rêves. Voilà, c’est quand-même une énorme supercherie. Quand on pense arriver quelque part on se rend compte qu’on a raté l’endroit rêvé. 

Les désillusions se font à ces endroits-là, selon moi, mais ce sont de très belles désillusions. Je pense qu’elles sont difficiles à vivre, mais elles ouvrent vers d’autres mondes. Moi j’embrasse mes désillusions. La seule chose effrayante, c’est d’éventuelles oeillères. C’est plutôt ça qui m’angoisse, plutôt que le fait de tomber de haut. 

Je te posais cette question, parce que les désillusions, c’est la forme aboutie de réveil, le moment après les rêves. C’est une transition idéale vers la matière onirique qui assemble cet ep, est-ce que ça a participé à la cohérence au moment de trouver des fils conducteurs ? 

Comme je construis toujours mes morceaux avec des flèches ou des images, il y a toujours ce rapport très onirique. Même dans mes chansons les plus directs. Il faut dire que ma chanson la plus directe dans cet ep s’appelle… Des rêves… C’est encore plus signifiant. Finalement, les autres chansons, qui ne sont pas forcément dans l’ep, gardent toujours ce truc, même les plus tatillonnes, les plus énervées. Elles gardent toujours un côté très concret qui rencontre un miroir teinté qui nous interroge sur notre vision et notre positionnement. 

C’est ce que j’aime dans un rêve. Passer d’un lieu à un autre, de la nuit effrayante à l’éclaircie d’espoir, avant de retomber encore. 

C’est sur que dans la cohérence, entre La chanson du bal, ou Le beau mois d’août, qui sont des états de rêve, comme des bulles, alors que Des rêves, ne cesse d’en parler avec un nombre incalculable de fois où je dis “Je rêve”, pour parler d’un monde qui n’est que celui de l’éveil. 

C’est vrai qu’il y a un jeu dans la construction de l’ep, avec la possibilité de naviguer et traverser. C’est ce que j’aime dans un rêve. Passer d’un lieu à un autre, de la nuit effrayante à l’éclaircie d’espoir, avant de retomber encore. 

Mais ça, vraiment, il y a une prise de conscience au moment de l’écriture de l’ep, mais c’est une identité. C’est comme ça que j’écris. La dimension imagée et les sauts temporels. 

Je me suis demandé si l’écriture très onirique c’était une façon de saluer l’univers cinématographique, qui s’en rapproche aussi. 

Bien-sûr. Après je pense pas que ça soit une salutation. Je crois que c’est ma manière de penser. Je regarde beaucoup de films, donc je fonctionne beaucoup par images. Et plus je regarde des films, plus ce qui me bouleverse c’est une attaque de plans, c’est un moment précis. C’est toujours ce qui m’a apporté des grandes émotions. 

Je crois que j’hérite de tout ça quand j’écris des chansons. Et donc évidemment oui il y a une forme d’hommage, mais plus dans ma manière de trouver l’émotion. Ça passe très fortement par ça , parce que moi j’aime accrocher et raconter des histoires. Et donc ça passe par une imagerie cinématographique. 

Et c’est une histoire d’équilibre personnel aussi j’imagine. 

Totalement oui. 

Qu’est-ce que tu trouves transgressif ? 

Pour moi, il y a deux choses qui se démarquent. Le rapport de la pure honnêteté. Pas de l’impudeur. Mais l’absence totale d’ironie et de représentation. Ça me semble être un geste très punk aujourd’hui. Parce qu’aujourd’hui, on a acquis tous les codes de la représentation et du cinéma. Dès lors qu’on fait un selfie, on fait de la mise en scène. Le sans apparat n’existe plus beaucoup. C’est hallucinant. De se remettre à vider tout. Je trouve ça punk. 

Sans filtre, quoi ? 

Oui, paradoxalement. #NoFilter. 

Prose spontanée. 

Oui ! Complètement. Et ensuite, je crois que l’espace public reste souvent punk. Maintenant l’espace intime est devenu l’espace public. On fait des choses tout seul, pour tout le monde. La place publique s’est vidée. Elle reprend quelque chose de transgressif. Cet espace a perdu de son sens. C’est pour ça que ça génère autant de dérives et d’angoisses autour de la réunion. C’est devenu un endroit effrayant. On sait que maintenant, même les concerts font peur. 

Ces endroits ; le sans apparat et le public sont des espaces punks. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

La première chose qui me vient, c’est le Japon. Je pense aux saisons, aux saisons des pluies. Le cinéma japonais, c’est un cinéma qui travaille beaucoup en saisons. Les émotions des gens dépendent des saisons. Enfin, ils le matérialisent comme ça. Ils font une ellipse. Il y a la première pluie, et tout d’un coup, on sait qu’on va suivre la déliquescence très longue du personnage. C’est fort et magnifique que ces signaux météorologiques deviennent un appel pour soi.  Comme un mantra intime. La première pluie me fait penser à ça.

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Entretien par Arthur Guillaumot / Photo de une : Marie Stéphane Imbert