2020, et une envie de nouer des collaborations de long terme avec des équipes indépendantes, jeunes et passionnées par la culture sous toutes ses formes. Cet article est publié dans le cadre d’une collaboration journalistique entre Première Pluie et Samouraï Coop, une société de production coopérative innovante et décentralisée que j’ai intégré en février dernier. Elle rassemble des profils variés et complémentaires autour de la réalisation de contenus audiovisuels, de médias innovants, et de créations originales. Chaque semaine, je publierai un article culturel spécial, à retrouver sur Samouraï News et sur Première Pluie.


Entomologiste, ce n’est pas un métier commun. C’est souvent celui d’une passion née depuis l’enfance : celle des insectes. Souvent perçus dans beaucoup de cultures et de sociétés comme quelque chose de nuisible, d’inutile et de dangereux, ce sont eux, les insectes qui régulent l’écosystème en pollinisant les fleurs, fertilisant les sols, recyclant les végétaux et nettoyant l’environnement. Ils sont aussi une source essentielle de nourriture pour de nombreux animaux.

Depuis quelques années, le regard des populations sur ces petites bêtes a changé. Etudier l’entomologie amène à des opportunités de découvertes dans de nombreux domaines comme la robotique, l’informatique, la médecine, la génétique, le biomimétisme et l’alimentaire. Ils ont également un rôle majeur en agriculture et environnement.

Et ceux qui étudient ces animaux, ce sont les entomologistes. Ce sont des scientifiques, professionnels ou amateurs, qui pratiquent l’entomologie, l’étude des insectes. Ils connaissent leur mode de vie, leur anatomie, leur mode de reproduction ainsi que le rôle qu’ils ont à jouer dans un écosystème. Généralement, un entomologiste inventorie et recense les espèces afin d’étudier leur comportement et leur évolution. Il peut également travailler dans des projets utilisant des insectes pour des besoins forestiers, agricoles, environnementaux ou alimentaires.

Nous avons échangé avec Benoît Gilles, entomologiste chez Cycle Farms dans la production de farine protéique à base d’insectes destinée à l’alimentation piscicole en Afrique de l’Ouest. En parallèle, il est le fondateur de Passion Entomologie, un magazine en ligne spécialisé sur les insectes, entre vulgarisation et contenu de spécialistes.

Bonjour Benoît. Pourquoi avez-vous choisi le métier d’entomologiste ? Est-ce un métier de passion ?

Depuis que je suis petit, j’ai toujours été passionné par les insectes et le côté naturaliste, écologie, génétique et évolution. A partir de là, j’ai fait des études de biologie, une Licence de Biologie Générale à Poitiers puis un Master Recherches appliquées à l’Entomologie à l’Institut de Recherche de Biologie de l’Insecte à Tours.

Après ça, j’ai enchaîné plusieurs projets de recherche dans différents centres en France et à l’international, toujours sur des thématiques insectes. Je travaille aujourd’hui à Cycle Farms. En parallèle, je développe certaines choses qui touchent à l’entomologie. J’ai un site internet sur le sujet, je fais de la photographie et je suis dans différentes associations.

J’essaie de contribuer comme je peux à la vie de cette thématique qui est un peu ancienne au vu des gens, et qui intéresse beaucoup de gens mais chacun dans son coin. Je trouve ça dommage.

Beaucoup sont amateurs dans leur coin. Ils font des collections. Il y a aussi beaucoup de jeunes qui s’intéressent à l’entomologie mais qui pensent ne pas arriver à vivre de cette passion, donc ils changent d’avenir.

Vous avez été chargé d’une mission de recherche scientifique en Guyane Française, pour le CNRS. Quel était le projet et son but ?

C’était un projet international de plusieurs organisations dont le CNRS du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Le projet, c’était d’étudier une espèce de papillons assez spécifique : le Heliconius. Ces papillons ont la particularité de se mimer les uns les autres. Alors, la complexité, c’est qu’au sein d’une même espèce, selon les régions, le papillon peut avoir une couleur différente et toutes les espèces différentes d’une même région ont le même pattern et la même coloration. 

L’intérêt des papillons, c’est qu’ils ressemblent à des papillons toxiques alors le prédateur ne va pas les manger. Alors, tous les papillons d’une même région ont tout intérêt à ressembler à celui qui est finalement mauvais pour éviter le prédateur. Celui qui s’écarte du pattern sera défini comme différent, donc non toxique par le prédateur. La complexité, c’est de savoir comment au niveau génétique, une même espèce avec le même patrimoine génétique va avoir des couleurs complètement différentes.

 

Nous avons été au Panama, pour faire des croisements entre populations, des hybrides. En Guyane, nous y sommes allés pour collecter différentes populations de papillons, différentes espèces pour faire des analyses génétiques et étudier le génome et les gènes qui sont responsables de la coloration.

Aujourd’hui, vous êtes chargé de recherches et entomologiste chez Cycle Farms. Vous participez au développement d’un projet innovant de production de farine protéique à base d’insectes destinée à l’alimentation piscicole au Ghana, en Afrique de l’Ouest. Quel est le but du projet ?

J’ai travaillé trois ans pour un projet d’aquaculture innovant. Ce n’était pas de l’insecte, mais une opportunité que j’ai eu. Durant ce projet, je me suis aperçu que l’alimentation des poissons n’était pas du tout adaptée. A cette période là, en 2015, se développaient des sociétés d’élevage industriel d’insectes pour en faire de l’aliment pour poisson. C’était fait pour moi.

J’ai alors rencontré les fondateurs de Cycle Farms, qui créaient leur entreprise à ce moment-là et j’ai intégré l’équipe dès le jour de la création pour développer et mettre en place tout le processus industriel et la recherche développement. Je suis maintenant dans l’équipe depuis quatre ans.

Les poissons d’élevage sont nourris avec un aliment fabriqué à partir de plusieurs matières premières dont des protéines. Ces protéines peuvent être soit végétales avec du soja en général, soit animales avec du poisson. Le soja vient souvent d’Amérique du Sud ou d’Afrique, donc il y a un gros coût de transport. Et le poisson, c’est du poisson sauvage qui a été pêché soit au large du Pérou, soit dans l’océan Indien. Il y a donc un problème de pollution avec les transports et le pétrole. Et puis, c’est transformé dans un autre pays, et ça revient en faisant une énorme boucle intercontinentale.

Nous, le projet, c’est de remplacer ces protéines de soja ou poisson par une protéine à base d’insectes. Ces insectes sont nourris à base de végétaux déclassés et invendus, des restes de fruits et légumes. On donne ces végétaux à manger à des larves de mouches Hermetia illucens, appelées aussi mouches soldat noir. A partir de ces larves, on obtient une farine qui est ensuite incorporée dans un mélange avec d’autres compléments alimentaires.

L’avantage de ce système, c’est qu’il est localisé. Les matières premières et les végétaux proviennent de la région où les insectes sont nourris, et l’aliment est donné aux poissons dans la même région. On efface complètement les transports et les coûts environnementaux associés.

Finalement, il y a aussi une dimension environnementale au projet ?

Finalement oui, directement et indirectement puisque le fait qu’on soit indépendant des prix du pétrole ou des problèmes de logistique entre pays et entre continents, on a des coûts de production moindres. On est plus à même de produire rapidement sans l’attente d’un bateau ou quoique ce soit. Comme nous produisons tout localement, il y a un bénéfice au niveau du bilan carbone.

Faire le choix de produire des protéines à base d’insectes, c’est un pari sur l’avenir finalement ?

Tout à fait. Même si ce n’est pas encore bien accepté par l’occident et les pays riches, les insectes vont sûrement être une alternative importante. La plupart des pays vont être confrontés à une compétition dans la réquisition de protéines, puisque les protéines sont assez limitantes et que le besoin augmente. Donc pour des pays qui sont financièrement limités, ça peut être une alternative. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que se nourrir de poisson et de viande dans beaucoup de pays, c’est quand même quelque chose de peu commun dans les milieux populaires.

Vous êtes fondateur du webzine Passion Entomologie. Pouvez-vous nous parler de ce magazine, de sa création ?

Tout a commencé à mon retour du Panama. Les gens m’ont dit qu’ils ne savaient pas ce que j’avais fait, m’ont demandé si j’avais des photos. Alors, j’ai créé un petit blog, parce que j’ai fait beaucoup de voyages, comme en Réunion. Dans ce blog, j’ai commencé à écrire des petits articles sur les insectes. De fil en aiguille, j’écrivais des articles de plus en plus complets. Puis, le temps m’a manqué alors j’ai demandé à d’autres personnes d’écrire aussi pour le blog. A ce moment, je me suis dit que ce n’était plus un blog et que cela pourrait être intéressant de faire quelque chose qui ressemblerait à un magazine.

En 2017, j’ai demandé à un webmaster de me recréer entièrement le site. Depuis 2018, j’essaie de publier deux articles par mois en parallèle d’articles d’autres personnes.

J’essaie de couvrir un peu tous les domaines, de montrer des choses un peu originales, des projets de recherche innovants. Ça peut être à la fois des scientifiques d’instituts de recherche ou des passionnés que j’interview, l’actualité scientifique aussi ou des anecdotes que j’ai appelé “entomo flash”, des petites news assez rapides.

Aujourd’hui, c’est vraiment une vitrine de l’entomologie et ça commence à être particulièrement relayé. J’ai beaucoup de retours et ça me motive à continuer car j’ai une réelle demande.

En cette période de confinement, remarquez-vous un changement environnemental dans l’attitude des insectes ? Est-ce que leur nombre augmente ?

Justement, ça on ne peut pas encore le savoir puisque personne n’est dehors pour le constater. Les naturalistes ne sont pas sur le terrain actuellement. A la sortie du confinement ou l’année prochaine, on verra s’il y a eu un pic ou pas cette année. Certainement que le nombre de voiture sur les routes a diminué.

Il y a moins d’activités humaines en termes de fauchage ou quoique ce soit. La pression de mortalité sur les insectes a dû diminuer, sachant que cette année a l’air d’être une bonne année, puisqu’il fait beau et chaud.

Après, la dynamique fait que les populations d’insectes sont en chute libre depuis de nombreuses années, et ce n’est pas en un mois je pense que les choses vont s’améliorer. Quand l’activité humaine va reprendre, la pression de mortalité va revenir. Même si les insectes ont un développement assez rapide, l’inertie est assez longue en général.

En dehors de votre métier et du webzine, vous faites partie d’associations entomologiques ?

Déjà, je suis second vice-président de la société entomologique de France. Et j’ai une autre association qui n’est pas encore en activité.

Sinon, j’avais pour projet de partir en forêt tropicale d’Afrique pour travailler sur des inventaires entomologiques dans des régions un peu reculées. Mais à cause du confinement, j’ai peur que ce soit repoussé. C’est le type de projet que j’ai pu faire à Madagascar par exemple, et c’est un axe que j’aimerais développer dans les prochaines années. Généralement, les forêts tropicales disparaissent assez rapidement et ce serait intéressant justement d’en faire un inventaire et des études spécifiques.

Merci à Benoit Gilles pour cette discussion.

Passion Entomologie, une site d’une grande qualité
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Pauline Gauer