Romane Santarelli est une indienne des montagnes, qui se poste au dessus de la ville, visage maquillée et flèches de feu prêtes à être décochées. Dans la nuit, elle dessine du jour et inversement, dans un ep qui se décide à inventer des danses, pour honorer les vestiges du mouvements et les dieux morts de la fête. 

Zero, le dernier projet de Romane Santarelli, est sorti le 30 octobre dernier. Vous pouvez l’écouter ici.

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C’est marrant, les deux confinements ont rythmé ton année musicale. 

Ah oui, moi je suis maudite. L’ep est sorti le jour de l’annonce du second confinement, alors que c’est des morceaux que j’ai fait justement pendant le premier confinement. À force de trop mettre de symbolique partout, j’ai été rattrapée. 

Qu’est-ce que tu te disais en sortant cette musique-là, qu’elle trouverait son chemin, comme de l’eau, ou que c’était comme une bouteille à la mer ? 

C’était plutôt la deuxième option. Je suis revenue à une façon plus spontanée et plus adolescente de faire de la musique. Au printemps, quand les concerts ont été balayés, ma manière de faire la musique a changé. J’ai cessé d’intellectualiser, et de penser la musique pour la scène. J’ai recommencé à faire de la musique juste pour moi, pour mes potes. Comme sur Cannes, avec des voix au dictaphone de ma sœur et de ma meilleure pote. J’ai fait ce morceau innocemment, comme une blague. Et quand j’ai eu l’occasion de le tester, entre les deux confinements, sur les quelques opportunités de concerts, j’ai compris qu’il fonctionnait. Et je pense que les meilleurs morceaux sont faits comme ça. C’est ceux pour lesquels tu ne te prends pas la tête. À force d’intellectualiser les choses, on se met des filtres. Et moi, je suis comme ça, je suis dans le mental malheureusement. Je me censurais beaucoup je pense. C’était comme un grand problème à résoudre. Alors que là, pendant le premier confinement, j’allumais mes machines et j’y allais, c’était spontané. 

Je suis plus satisfaite de ce que je fais, avec le temps.

Zero, c’est une façon de recommencer à faire de la musique comme au début, avec une nouvelle temporalité ? 

Oui, complètement. Moi, je suis comme beaucoup d’artistes, une éternelle insatisfaite. Il y a des morceaux qu’on ne peut plus voir, très rapidement. 

Oui, mais c’est aussi le signal chouette d’un renouvellement rapide. 

Oui, et je pense que c’est très important de rester critique sur ce qu’on fait. En musique et tout le temps d’ailleurs. Mais cette fois-ci, avec Zero, c’est peut-être la fois où je suis la moins critique. Je suis plus satisfaite de ce que je fais, avec le temps. Pour te donner un exemple précis, c’est la première fois que j’écoute mes propres morceaux dans ma voiture, sans butter sur le fait que ça soit les miens. 

Zero, c’était une façon de cristalliser la période. Pendant le premier confinement, j’étais à fond, bizarrement. C’est plus au moment du déconfinement que je me suis sentie à Zero, à plat, clouée sur place. Quand j’ai compris que je ne pouvais plus faire ce que j’aimais. Que je ne pouvais plus diffuser et faire vivre ma musique, ni rencontrer le public. C’est là que je me suis dit que c’était peut-être le moment d’appréhender les choses d’une nouvelle façon, de réinvestir le présent, de passer par des phases d’introspection. Zero, c’est l’idée que quand tout est à refaire, il n’y a pas de limites. C’est ce côté contradictoire que j’aimais bien et qui représentait bien les morceaux. Il y a des morceaux à l’intérieur des morceaux, des états, des montées, des descentes. Ça fait des montagnes russes. C’est l’état dans lequel j’étais ces derniers mois. J’extériorise en musique. 

C’est la première fois que j’écoute mes propres morceaux dans ma voiture.

Qu’est-ce que tu as tenté pour la première fois sur Zero ? 

Beaucoup de choses ! Introduire des voix de ma vie intime, c’était nouveau.  J’ai essayé de faire un côté un peu plus club, avec un morceau qui puisse passer en DJ set. 

Ah, aussi, j’ai toujours été intransigeante, je tenais à ne pas utiliser de loupe, ou de sample. Tout devait venir de moi, de A à Z. Sur Zero, je me suis autorisée des loupes de batterie de 5 secondes. Parce que cette technique est super intéressante et que tout le monde le fait. Je crois que justement, je ne voulais pas faire comme tout le monde. Et c’était surtout un bon moyen de me fermer des portes. C’est une autre approche. Sur Split, les loupes de batterie m’amenaient vers d’autres sonorités. 

Je suis contente aussi d’avoir fait des interludes, des passages énigmatiques en fin de morceau. On entend bien ça quand on a une lecture posée de l’ep. Sur Zero, des portes s’ouvrent et se ferment entre les morceaux. C’était ludique de travailler comme ça. C’était même un peu le processus de la musique de film. Une personne sur cent va s’en rendre compte, mais j’aime cette idée de puzzle. 

Faire des morceaux imagés, c’est ma façon de voyager.

De quelles émotions tu te sers pour créer ? 

C’est marrant, mais j’ai cru à cette image répandue de l’artiste torturé, qui exorcise ses peines. Je croyais que c’était mon cas. En fait c’est tout le contraire. Là par exemple, je ne vis rien, donc je suis en page blanche. Mais quand je reviens d’un moment cool, qu’un truc positif s’est passé, j’ai de l’adrénaline et je peux créer beaucoup. C’était mon état au début du premier confinement. 

Tu arrives à provoquer cet état maintenant ? Quand tu sais que tu vas vivre un truc cool, tu sais que tu vas avoir un moment intense de créativité ? 

Le piège est là. Quand j’intériorise cette recette, en pensant que je me suis enfin compris, il ne se passe rien. Ça dépend. En revanche, c’est vrai que je peux passer de longues phases de page blanche à des éclairs qui remplissent tout. 

C’est dur de répondre à l’injonction de créer, dans une fenêtre précise ? 

Oui ! Et je crois que le voyage aide pas mal à se créer des horizons. Moi je voyage peu pour le moment. Faire des morceaux imagés, c’est ma façon de voyager. Je me promène beaucoup en revanche, je fais des randonnées dans le Puy de Dôme. C’est inspirant. 

C’est là que la musique c’est une façon de se comprendre.

Oui, je me demandais si la nature pouvait être un espace d’inspiration et de création même. 

Ah oui carrément. C’est une source de vibrations et de mojo, c’est toujours bon à prendre. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Ça doit faire un an que je suis comme ça, que je suis proche de la nature, que je sors beaucoup, que je passe des week-ends entiers à marcher, seule ou avec des potes. Mais c’est très inspirant oui. 

C’est aussi parce que tu es en train de comprendre tes propres mécaniques intimes ? 

Oui ! Et c’est vrai aussi au niveau de la technique. Tu achètes ou on te prête des instruments, tu découvres de nouvelles façons de créer, avec le temps. Mais c’est vrai qu’il y a cette idée de se connaître soi-même en fait. C’est là que la musique c’est une façon de se comprendre. On peut aussi se pencher pour comprendre ce qui marche et ce qui ne marche, pour quelles raisons etc. 

Titre paru sur Quadri, le précédent ep de Romane Santarelli, sorti le 02 février dernier.

Du coup tu trouves des raisons personnelles pour les échecs ou les succès de tes morceaux ? 

J’essaye d’y voir clair disons, je prends du recul. Plus j’avance dans le monde des musiques électroniques, plus je me nourris. Plus je comprends ce qui fonctionne, et comment ça doit fonctionner. C’est ce que je fais en ce moment, j’essaye de découvrir plein de nouvelles choses. C’est comme des clés. C’est des cours de science. 

J’ai aussi plus de recul sur l’état dans lequel j’étais au moment de créer un morceau. Ces états, fixés sur des morceaux, sont comme des photos-souvenirs, qui forment un puzzle. 

Faire quelque chose avec mes émotions, c’est une nécessité.

Alors dans ta mécanique personnelle, c’est une nécessité de fixer des émotions à des moments précis ? 

Oui, je pense. Je le fais sans m’en rendre compte, mais c’est clair que faire quelque chose avec mes émotions, c’est une nécessité. 

Et comment tu prends en note un instant, quand tu ne peux pas créer tout de suite mais que tu ne veux rien perdre du moment ? 

Dictaphone ! J’ai souvent des mélodies qui me viennent. Il y a quelque temps, pour la première fois, j’ai rêvé de son. J’étais en train de m’endormir, pendant une sieste. Des notes me sont venues, et j’ai senti qu’il fallait que j’enregistre. Ça a donné le morceau Attractions qui est sur l’ep. Et les notes de mon rêve, c’est la note de basse de l’intro. Si seulement ça pouvait arriver plus souvent dans les périodes de creux ! C’est pour ça que j’écoute beaucoup de choses différentes, que je chante, que je siffle, même dans la rue. Parce que je sais que mon inconscient va faire un cocktail. 

Mon inconscient fait des cocktails.

Pour toi, la musique électronique en appelle plutôt aux sens ou à une science ? 

Ah, c’est intéressant ça. Alors, c’est un sens, dans le sens où c’est tout le temps là. C’est un sens parce que la musique permet de revivre des moments. C’est très sensoriel la musique en fait. Et c’est aussi une science, avec tout ce côté qui implique de décortiquer des informations. C’est une histoire de mélanges. Des théories qu’on réfute quelques années plus tard. Et c’est une expérimentation continue. 

Tu vois la suite comment ? Tu prépares un album ? 

Oui, je suis en train d’écrire mon album. Pour la suite, j’ai besoin de voyages et de concerts. De revivre des choses. Mais oui, prochaine étape, l’album. 

Très bien. Dernière question, qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

La Première Pluie me fait penser à une renaissance. Il y a un truc cyclique. C’est comme un nouveau tableau, où dessiner de nouvelles choses, où apposer de nouvelles couleurs.

Moi, je n’aime pas trop la pluie. Je suis humeur-météorologique-hypersensible. Dès qu’il pleut, j’ai le cafard. Mais il faut s’inspirer de la puissance philosophique de la pluie, qui nettoie, qui remet à Zero. Et Première Pluie, c’est positif je trouve, ça permet d’imaginer des horizons.

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Arthur Guillaumot / Photo : Vivi Hmwk

Relisez ici notre article consacré à l’ep Zero.