Sean maîtrise l’art de la fragrance, de la frappe parfumée et fulgurante. Flaubert fluorescent et libre, il assène ses lines avec ce flow caractéristique et charismatique. Projet de transition, MP3 + WAV termine d’orner une année dense pour Sean. Grande discussion.

MP3 + WAV est sorti le 20 novembre dernier. Vous pouvez l’écouter ici.
à moitié loup, son précédent projet, est paru en en avril dernier. Ecoutez-le ici.

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T’as senti que cette année les auditeurs étaient plus ouverts à des projets très exigeants, avec des vrais univers ?

Je l’ai senti. J’ai de plus en plus de retours où les gens se prennent vraiment la tête sur le sens des projets. Je pense que Laylow, avec Trinity, a passé un cap et il a ouvert une brèche en France. 

C’est stimulant pour toi, en tant qu’artiste, ça ?

C’est stimulant oui. Et puis c’est drôle à voir, parce que parfois les gens emmènent le concept beaucoup plus loin que ce qu’on l’avait imaginé. Mais c’est ce qui est cool. Parce que nous on fait volontairement des projets qui laissent 1000 interprétations possibles tu vois ?

Est-ce que c’est pas parfois un peu étourdissant de voir les gens s’emparer d’un projet et le relire à leur manière ? 

C’est trop bien, parce qu’il y a plein de trucs auxquels j’aurai jamais pensé. 

On dit la vérité aujourd’hui, en fait tu fais un truc tout simple et c’est eux qui se mettent la pression ? 

Mais oui frère. 

Ça a été l’année de quoi 2020, pour toi ? Parce que ça a été une année chargée de bout en bout. 

Oui, ça a été une année assez chargée en tout. Déjà il y a eu le Covid. Pendant le premier confinement, j’ai sorti à moitié loup. Et là qu’on le deuxième confinement a été annoncé, la date de sortie de MP3 + WAV était pile dedans. C’est assez spécial. C’est pas tout à fait l’année que j’avais imaginée en 2019. Au début, c’était tout nouveau, on a tenté des trucs. Mais au bout d’un moment, même nous on se rendait compte qu’il y avait quelque chose de bizarre à rentrer trop loin dans l’intimité des artistes. Mais je pense qu’à force, un équilibre s’est mis en place. Et toi tu l’as vécu comment 2020 ? 

Pareil, la recherche de l’équilibre. Entre la proposition de contenus et l’humble pudeur. Paradoxalement, ça a été une bonne année. Avec des gros chiffres, et même surtout pendant les périodes de confinement. 

C’est ouf, mais moi aussi. Mais qui dit qu’on aurait pas fait deux fois mieux sans les confinements ?

Il y a 2021 pour ça ! 

Mais oui, pour reprendre la belle vie et les concerts surtout. 

J’essaye de toucher ce que j’avais dans la tête.

D’ailleurs qu’est-ce que tu prévois pour la suite, après les deux projets de cette année ? 

Il n’y a pas de format prévu encore. Je vais revenir avec de la simplicité, avec une série de singles. J’ai quelques singles et quelques feats que j’ai coffrés, donc la suite, en 2021, c’est faire monter la pression. 

Qu’est-ce que tu essaies d’atteindre quand tu commences un morceau, ou au début d’un projet ? 

J’essaye de toucher ce que j’avais dans la tête. Généralement, quand je fais une chanson, c’est que j’ai un truc en tête, j’y pense beaucoup avant. Le but, c’est de retranscrire à la perfection. Même si je n’y arrive jamais. 

Tu vas plus loin parfois ? 

Oui, ça arrive. Mais souvent, tu ne vas juste pas au même endroit. Le chemin diffère de celui que tu avais imaginé. J’aime bien les “accidents”. Tu vois, sur À moitié Loup, ce n’était pas forcément ça le concept. On l’a trouvé pendant une conversation avec tous mes gars en studio. On fêtait la fin du projet, et on est partis sur ce délire-là, de à moitié loup, et c’est comme ça que c’est né. À la base on ne l’avait pas imaginé comme ça, mais c’est venu naturellement. 

Par quoi tu te laisses guider ? Par l’émotion, par les histoires, par le vécu ?

Tout. Moi je m’inspire beaucoup de mes proches. Je retiens beaucoup de phrases prononcées par des gens. Tu vois, même quand je suis dans le métro. Quand j’entends une phrase, ou une expression forte, je la note. L’année dernière, j’ai un copain qui m’a dit “Frérot, cette gow, cet été, c’était incroyable, je crois que je suis vraiment tombé amoureux, mais c’était juste cette période de charme, c’était juste le temps d’un été.” Moi, j’ai gardé cette période de charme, et le temps d’un été pour en faire une chanson. (devenue temps d’un été sur À moitié loup, ndlr.)

Je vois grave ce que tu veux dire sur l’expression la plus sincère possible. Quand on écrit, c’est dur de revenir spontanément à cette simplicité et à des mots aussi beaux. 

De ouf. J’ai même l’impression que moi je ne peux pas les trouver, que c’est les gens qui me les donnent. 

Je recherche la spontanéité.

Du coup, tu surveilles tes fréquentations pour avoir des inspirations précises ? 

Je fréquente souvent les mêmes personnes, mais je suis beaucoup avec eux. Je me nourris beaucoup de mes gens, de ma famille. De gens plus vieux, de gens plus jeunes. 

Donc aussi, j’imagine, de manières très différentes de s’exprimer. Ça, ça influe directement sur l’écriture aussi ? 

Oui ! Même les personnes qui sont avec moi quand je suis en train de faire de la musique au studio. Ça j’en suis persuadé. Parce que les gens t’inspirent, et tu sais, c’est des énergies. J’ai l’impression que ma musique s’adapte au mood des gens qui sont avec moi. 

Donc ton travail à toi, c’est de fixer une carte postale de ces émotions-là ? 

Oui, totalement. Et je crois que la sélection, on l’a fait vraiment à la fin. Quand on est en train de travailler, on fait, on fait, on fait, on accumule. Et c’est bien après qu’on regarde, qu’on décide ce qu’on va prendre, ce qu’on va jeter. 

L’identité d’un projet, tu la fixes au dernier moment ? 

Oui, carrément. 

Donc en fait, du jour au lendemain, ça pourrait être très différent. Un ouragan peut tout changer en une nuit ? 

Oui. 

C’est cool ça. 

Oui, c’est laisser la chance à l’imprévu. 

C’est hyper important, justement quand tu es artiste, de pouvoir laisser de la place pour douter, recommencer, jusqu’au dernier moment. 

C’est hyper important pour moi. C’est ce que je recherche aussi. On en parlait au début. C’est la spontanéité. Tu vois, pour À moitié loup, on a beaucoup écrit en cabine. Il y a peu de textes que j’avais écrit vraiment. C’est de la réflexion, avec le casque. On avançait 4 mesures par 4 mesures, et j’écrivais instinctivement dans ma tête. Et je recrachais directement. Sans passer par le papier ou le téléphone. Je cherchais cette spontanéité jusque dans l’interprétation.

C’est vraiment un projet de transition

Et ça se ressent, le côté instinct. C’est un truc d’écrivain aussi. Je sais pas si tu connais cette anecdote, je pense à ça là, Flaubert avait une pièce qu’il appelait son gueuloir. Il écrivait, et ensuite il allait tester son texte en le gueulant. 

C’est trop stylé frère. Mais nous voilà, on a un gueuloir aussi, sauf que je gueule juste les trucs du moment. 

Ça colle de ouf avec le côté loup en plus. Qu’est-ce que tu as fait pour la première fois sur MP3 + WAV ? Qu’est-ce que tu étais heureux de tenter ? 

Je pense que justement, c’est de revenir à l’écriture. De faire des chansons où on voit émerger des sens profonds. Des moments où on comprend ce qu’on fait. C’est bien les accidents, mais ces chansons, c’est nos premières où on se pose, où on prend le temps. Où on écoute plein de prods, on se dit vas-y on part sur ça. Moi j’écris mon texte. Roodie il fait des arrangements. Je pense que c’est ça. 

Mais il y a aussi la frustration de ne pas avoir pu les terminer. MP3 + WAV, c’est quand-même né d’un cambriolage qui nous a obligé à rebondir en sortant ce projet. Mais à la base, il ne devait pas du tout voir le jour comme ça. La plupart des chansons ne sont pas terminées, une seule est mixée. C’était un peu spécial comme conception de projet tu vois. Ça s’est fait à l’instinct. On s’est fait cambrioler le soir de la fête nationale. Le lendemain matin, j’étais dans le choux, et on m’annonce ça. On a passé une journée grave bizarre avec Roodie. On est allés sur les lieux pour se rendre compte que c’était real. 

Je me sens plus fort.

C’était quoi le sentiment, quand tu captes que tout est parti ? 

Oui, voilà, tout est parti, le matériel et surtout le temps de travail depuis un an. Tout perdu. C’est inestimable. Mais ça a été une façon de rebondir. Ça rend solide. C’est un épisode qui nous a rendu fort. On a presque plus de contenu depuis août qu’avant, depuis le début du travail. 

Comme si maintenant il y avait une urgence ? 

Oui, une dalle. Une faim de vengeance, mais contre personne, juste contre la vie.

Mais tu sais, c’est un moment où tu repars à zéro. Donc le fait de ne plus avoir des sons en chantier, ça libère ton esprit. Je me sens plus fort. Du fait que je suis reparti de zéro. Mais pas que moi, toute mon équipe aussi. Ça a changé notre mentalité. On fait juste des nouvelles chansons. On fait juste ce qu’on a en tête aujourd’hui. C’est pas des chansons d’il y a un an qu’on reprend et qu’on aime plus autant. Là on se fait juste trop plaisir dans ce qu’on fait. 

Oui j’ai l’impression qu’il y a une mutation violente dans ta façon de faire, c’est encore plus vrai pour la suite de ce qu’on pourra entendre ? 

Oui c’est vraiment plus fou, et plus maîtrisé en même temps. C’est ce qui est beau à voir sur MP3 + WAV, c’est que c’est vraiment trash. Vu que c’est pas fini, tu découvres un nouveau Sean. C’est vraiment un projet de transition. C’est ça qui est cool. Je ne vais pas changer du jour au lendemain d’un extrême à l’autre. Il y a ce projet qui est là comme une transition entre deux identités hyper fortes. Ça m’équilibre. Mes prochains titres, c’est plus un équilibre des deux. C’est un changement progressif. 

C’est l’essence de l’ep. Moi ce projet, MP3 + WAV, je le vois comme un retour à une proposition brute, comme une esquisse avant la vraie toile. En analysant les structures des bâtiments, tu peux être giflé par des structures architecturales. C’est ce qui me touche sur ce projet. 

C’est exactement ça. Tu l’as si bien dit. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ?

Je pense à la naissance de l’Humanité. À la première fois où la pluie est tombée sur Terre. Ou la naissance d’un humain tout court. Je ne sais pas si on a le souvenir de nos premières pluie. Moi je ne me souviens pas de la première fois où j’ai senti la pluie sur ma peau. C’est beau aussi de ne pas s’en souvenir. 

C’est le genre de sensation qui doit rendre fou. 

Mais j’ai une chanson qui s’appelle Première nuit. Moi quand je dis première nuit, et je pense que ça peut aller aussi pour première pluie, c’est la première nuit, ou pluie, après la mort de quelqu’un. La première fois sans cette personne. Tu as vécu quelque chose avec cette personne sous un torrent de pluie, puis plus tard, tu revis cette pluie, sans elle. 

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Discussion : Arthur Guillaumot