Cette année, on a vu des films de réalisateurs confirmés, Nanni Moretti, Ken Loach, Aki Kaurismäki, Wes Anderson, Marco Bellocchio… Ces messieurs ont fait du grand cinéma. Pourtant, si je dois faire des choix, je retiendrai cette Chimère bouleversante qu’on doit à Alice Rohrwacher. Aussi, pour la deuxième fois en deux ans, une réalisatrice française a reçu une Palme d’or. Justine Triet a succédé à Julia Ducourneau avec un immense film, privé d’Oscars pour des raisons politiques. La France, qui reste quand même l’endroit du monde où un cinéaste comme Quentin Dupieux peut s’épanouir. Enfin, l’énergie des premiers films, ceux d’Iris Kaltenbäck et Charlotte Wells, avec des mises en scènes brillantes qui annoncent des renouveaux du genre.

1. La chimère – Alice Rohrwacher 

ITA – Sorti le 06/12 – 2h10m – avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini 

J’ai été soufflé par la beauté prodigieuse de ce film. La trilogie rurale entamée par Rohrwacher avec Les merveilles en 2014 et augmentée d’Heureux comme Lazzaro en 2018 se clôt donc avec cette Chimère qui m’aura vu pleurer. Pleurer de rien et juste de la poésie souterraine de ce film, où la grâce est sous les ongles, où le souffle est pudique, comme le corps d’une statue inconnue. Ce film était taillé pour me bouleverser, pour mille raisons. Ah qu’on cherche nos chimères. 

2. Anatomie d’une chute – Justine Triet 

FRA – Sorti le 23/08 – 2h31 – avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado-Graner 

Jusque dans les arrêts de jeu, la Palme d’or de Justine Triet était censée truster aussi la première place de mon top. J’ai pensé à ce film sans cesse depuis que je l’ai vu. Il reste là, dans un coin de la tête, comme une piqûre. Merveille haletante, qui nous interroge, nous harcèle et pose des questions précises sur nos petits arrangements. Scénario plein de nœuds co-signé par Arthur Harari et Justine Triet, comme un fil d’Ariane, comme un intestin délocalisé dans un tas de liane. Et la dimension politique qu’a pris l’après Palme d’or a encore renforcé mon amitié pour ce film, ainsi que pour le cinéma et la personne de Justine Triet.

3. Vers un avenir radieux – Nanni Moretti 

ITA – Sorti le 28/06 – 1h35 – avec Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando 

Le maestro était de retour cette année. Il ne s’est pas pris la tête et c’est ça qu’on aime. Rome le jour. Rome la nuit. De la politique. Du cinéma. Et lui. Lui qui se regarde exister, aimer, vieillir. Et c’est merveilleux. Ce qui fait de lui un maestro, c’est qu’il donne vraiment l’impression d’être dans une convocation muséale de référence et en même temps, il est suffisamment doué pour donner l’impression que tout est simple et spontané.

4. The Old Oak – Ken Loach & Paul Laverty 

UK – Sorti le 25/03 – 1h53 – avec Dave Turner, Ebla Mari, Claire Rodgerson 

Un peu comme Nanni, tonton Ken ne va jamais nous décevoir. Et pourtant, on pourrait presque croire que c’est trop facile. Que c’est celui-ci où il va se rater. Non. The Old Oak est une ode moderne à la tolérance. On n’est pas dans un traité de Voltaire, mais dans un village côtier du nord de l’Angleterre dans lequel arrivent des réfugié·es syrien·nes. Ce film est une réponse aux fascismes qui grondent partout en Europe.

5. L’enlèvement – Marco Bellocchio 

ITA – Sorti le 01/11 – 2h15 – avec Enea Sala, Leonardo Maltese, Paolo Pierobon 

Je ne l’avais pas vu venir, mais les italien·nes savent faire du cinéma. Les trois films transalpins de mon top 5 témoignent de la diversité et de l’exigence de ce cinéma. Bref, l’Italie est de retour et ça fait plaisir. Bellocchio a fait un grand film historique, croisant l’Histoire religieuse et politique de l’Italie avec l’histoire intime d’une famille. C’est parfaitement exécuté.

6. Aftersun – Charlotte Wells 

UK – Sorti le 01/02 – 1h42 – avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall 

Ce qu’il faut se dire, c’est qu’Aftersun, qui a mis tout le monde d’accord, est le premier film de Charlotte Wells. Une grande réalisatrice est née. Ce film m’a d’autant plus intéressé qu’il interroge les souvenirs, et la narration intime qui s’agence autour de cette matière malléable, avec le temps.

7. Yannick – Quentin Dupieux 

FRA – Sorti 02/08 – 1h07 – avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin 

Putain, merci Quentin Dupieux d’exister. La diversité de ces films n’a d’égale que la qualité des scénarios. Je veux connaître la formule codée de ce cerveau révolutionnaire. Dans Yannick, il interroge la question du jeu, de la scène, des conventions sociales, dans un film bref, cinglant, et qui se paye même le luxe d’être touchant. Ah !

8. Les feuilles mortes – Aki Kaurismakï 

FIN – Sorti le 20/09 – 1h21 – avec Alma Pöysti, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen 

C’est le genre de film sur lequel les gens ragent genre “Il ne se passe rien” etc. Il ne faut pas voir que ça, mais quitte à en avoir peu, autant aller directement chez un des maîtres de la discipline, j’ai nommé Aki Kaurismakï. Il filme dans Les feuilles mortes une romance presque sans paroles, où les personnages se frôlent mais se fracassent tout de même.

9. Le ravissement – Iris Kaltenbäck 

FR – Sorti le 11/10 – 1h37 – avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse

Comme pour Aftersun, il s’agit d’un premier long métrage, ce qui le rend encore plus impressionnant. Beaucoup de choses se jouent dès la double interprétation possible du titre. Un film qui questionne les équilibres que la vie nous pousse à trouver, et les moments où ils se rompent. Hafsia Herzi est prodigieuse.

10. Asteroid City – Wes Anderson 

USA – Sorti le 21/06 – avec Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks 

Le fait que le film sorte avant que le monde ne parte en grandes vacances m’a donné tout l’été une impression de vivre dans un désert imaginaire, en attendant que quelque chose se produise. Visuellement, c’est prodigieux, et c’est complété par une écriture sensible. Dans ce top, Wes est avec ses aînés Nanni et Ken, parmi ces types qui savent ce qu’ils font : une œuvre que chaque nouveau film augmente.

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Des mentions pour des films très aboutis aussi comme Le livre des solutions de Michel Gondry, qui était de retour avec un grand Niney. Valérie Donzelli a quant à elle adapté le roman d’Eric Reinhardt L’amour et les forêts avec une grande Efira. En parlant de forêt, on a eu le droit au Règne animal de Thomas Cailley, qui a rappelé à quel point le cinéma français est riche de propositions. How To Have Sex, le premier long métrage de Molly Monning Walker laisse un trouble intense dans le crâne après visionnage. 

Avec le cinéma, ce qui est relou, c’est que parfois, on rate des films qu’on a trop envie de voir, pour plein de raisons. Et parfois, on découvre un film qu’on aurait eu envie de voir mais il n’est déjà plus à l’affiche. Bref, le cinéma, c’est un truc de gens dans les temps. Les films que j’ai raté mais que je vais sans doute pirater bientôt : 

Wim Wenders avec Perfect Days (il est encore un peu à l’affiche) / Le consentement de Vanessa Filho pour ce qu’il a soulevé, comme la sortie du livre de Vanessa Springora à l’époque, et sa nécessité dans une société encore traversée par un tabou autour de la pédocriminalité. / L’été dernier, de Catherine Breillat, puisqu’il est dans les tops de tout le monde, ça veut dire qu’il est bien ? / Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry / Le procès Goldman de Cédric Kahn / Simple comme Sylvain de Monia Chokri : pourquoi je l’ai raté, je suis trop con / Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania / La passion de Dodin Bouffant, de Trân Anh Hùng, pour comprendre pourquoi c’est lui aux Oscars / Le bleu du Caftan de Maryam Touzani / Second tour d’Albert Dupontel, parce qu’apparemment ce n’est pas son meilleur et je suis curieux.

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Arthur Guillaumot