Years and Years : un avenir sombre qui frappe à notre porte

Russel T. Davies, bien connu des Britanniques pour avoir repris Doctor Who en 2005, revient avec une mini-série de six épisodes portée par une écriture parfaitement calibrée et des acteurs au meilleur de leur performance, dans l’atmosphère sombre d’un futur proche plus que réaliste.

YEARS AND YEARS Saison 1 -  Episode 6

Quinze ans en six épisodes d’une heure, un rythme effréné au sein de la famille anglaise des Lyons, au lendemain du Brexit. Le petit Lincoln vient à peine de naître que son oncle Daniel s’inquiète de son avenir. Nous sommes en 2019, le Royaume-Uni renie l’Europe. Les flashes s’enchaînent, alternance de fêtes d’anniversaire de Lincoln et d’images de désastres écologiques, de populations fuyant massivement leur pays, de bourses qui s’effondrent. Le tout ponctué d’interventions de Vivienne Rook, nouvelle arrivée dans la sphère politique britannique et qui provoque par son comportement non conventionnel et son populisme clairement affiché. Un tableau facile à imaginer. Peut-être trop si l’on observe que les Britanniques boudent la série alors qu’elle trouve écho sur le continent, en particulier en France. La vie des Lyons est la nôtre, chacun des membres de la famille subit les soubresauts et les crises successives de notre monde et vit malgré tout.

Regarder l’avenir qui s’annonce défiler sous nos yeux

Sans l’intervention des Lyons, on ne supporterait pas de poursuivre une fois un épisode achevé. Les pires craintes de notre société s’accomplissent et se succèdent en une quinzaine d’années. On ne peut s’empêcher de se dire que cela risque de se produire de cette façon, de se sentir impuissant. C’est ce que sont les Lyons, impuissants face à la perte leur emploi à cause de l’innovation technologique et agroalimentaire, impuissants face à la perte de leurs droits civiques, impuissants face aux défaillances du système. Pourtant, ils ne jettent pas les armes, ils s’adaptent, ils luttent, chacun à sa manière, chacun en suivant ses convictions. Citoyens lambda qui voient leur quotidien évoluer d’une manière inquiétante, ils observent, chacun de son point, de la grand-mère nostalgique de son époque à Stephen depuis son poste confortable au sein d’une banque. Tous sont touchés, physiquement, spoliés, modifiés. Ils expérimentent autant qu’ils rejettent cette réalité qui est la leur. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autre solution possible que de se rebeller, d’aller contre le système. Cette lutte, progressive tout au long de la saison, finit par faire converger tous les personnages pour sauver l’un d’entre eux : Viktor, qui a fui l’Ukraine et la persécution des personnes homosexuelles, à qui l’on a progressivement retiré tous ses droits. Il n’est qu’un prétexte, chaque étape du plan est une revanche personnelle contre une injustice différente, mais il devient malgré lui le centre d’une révolution qui met un point d’arrêt au chaos devenu insupportable. Jusqu’à la prochaine crise…

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Au-delà du jugement, la question de notre responsabilité

Les événements s’enchaînent sans jugement, on se demande comment les personnages vont s’en sortir, s’ils vont trouver des solutions. On s’attend au pire sans oser l’espérer. Les années filent, aussi inéluctables que les catastrophes qu’elles apportent avec elles : faillites, maladies, robotisation aux dépens des travailleurs, fake news jusqu’à la mort de la liberté de la presse… Le système occidental, le capitalisme s’écroulent, malgré eux, cela nous dépasse, les Lyons ne peuvent rien contre ce qui a mis à peine plus de cent ans à se développer jusqu’à la chute. Tous innocents alors ? Ce n’est pas l’avis de Muriel, la grand- mère. Dans l’unique monologue de la série, elle interpelle ses petits et arrière-petits-enfants sur leur responsabilité face à ce qui leur arrive. Ils ont nourri le système en achetant des vêtements dont le prix d’achat ne pouvait faire vivre le fabricant à l’autre bout du monde, en privilégiant les caisses automatiques pour ne pas avoir à soutenir le regard des hôtesses d’accueil, tout en connaissant leur situation sûrement pire que la leur. A ce moment de l’intrigue, le discours a un effet déclencheur et pousse les personnages à agir. Qu’en est-il de nous, spectateurs consommateurs ? Les choix de consommation qu’évoque Muriel sont ceux auxquels nous sommes confrontés au quotidien : aller au travail ou en cours en voiture pour plus de souplesse ou préférer le vélo et les transports en commun pour limiter son empreinte carbone ? Acheter ce produit d’occasion en ligne ou payer le prix fort en magasin ? Nos choix isolés n’ont pas d’incidence en eux-mêmes mais la somme de chacun d’entre eux crée une tendance qui décide d’une évolution que, à défaut de l’avoir choisi, nous avons participé à faire émerger.

Une tragédie familiale et émouvante

Malgré la dureté des épreuves et les échos récurrents au quotidien, la série décrit avant tout une famille unie et inclusive sans tomber dans la caricature. Elle soulève avec subtilité des problématiques universelles telles que l’affirmation de soi, la découverte de sa nature et de ses aspirations qui peuvent se heurter à l’entendement de la génération précédente, notamment sur la question du transhumanisme de Bethany qui rebute puis inquiète Stephen et Celeste. L’homosexualité, renforcée dans son caractère politique, est plus qu’auparavant admirée dans l’amour et la force qu’elle fait naître. Vienne Rook, dont l’ascension est un fil rouge tout au long de l’intrigue, divise les quatre frères et sœurs aux conditions de vie très différentes. Le handicap de Rosie est sublimé par son caractère et sa détermination à subvenir aux besoins de ses enfants qu’elle élève seule. Leur passé commun, leurs choix, leurs erreurs les habillent d’un réalisme troublant qui parvient à surmonter la pression et la lourdeur de leur quotidien. L’ironie qu’ils jettent sur eux-mêmes, leur volonté de vivre malgré tout et surtout d’avancer pour eux, pour leurs enfants, les rend profondément humains et attachants. Ils incarnent la détermination humaine à survivre en dépit de tout et qu’il est possible d’agir pour protéger les siens.

Years and Years vaut clairement le détour grâce à la qualité de sa narration qui malgré la vitesse à laquelle les années défilent ne perd jamais le spectateur, mais également pour une réalisation finement menée. Ce n’est pas une série que l’on binge-watch pour se détendre, elle se digère longtemps, elle bouleverse, elle fait réfléchir et, contre toute attente, elle rassure. Un peu…


Marie Collinet – Culture Collective