Yseult est l’une des artistes les plus fascinantes de notre génération. L’année dernière, elle sortait son ep Noir. Un ep qui chante ce que le coeur a, et ce que le corps entreprend d’endurer. L’universel intime chantée par une déesse, forte de ce qui la constitue. Elle se promène dans ses émotions, comme dans une pièce, où elle a rangé ses dernières années. Des douleurs, des couleurs, des odeurs, des mots, ceux qui combattent et relèvent. Discussion.

Vous pouvez écouter toute la musique d’Yseult ici.

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De quoi ton ep Noir, paru en octobre, était-il la première fois pour toi ? Qu’est-ce que tu tentais, qu’est ce que tu disais pour la première fois ? 

Sur l’ep Noir, ce qui m’a ouvert les yeux, c’est le titre Corps. Je crois que la pop de mon ep précédent, était juste une césure avec mon tout premier projet. Ensuite je me suis dit que j’avais pas besoin d’y aller en douceur. Je me suis dit “t’es en indé meuf, fais ce que tu veux.” Alors j’ai décidé de juste raconter ma vie. Je l’ai fait sur Noir. Après Noir, j’ai écris Corps. Là je me suis dit “La trap et la pop, c’est bien, mais en vérité, le piano voix, c’est ce que j’aime.” Dans l’industrie musicale, les gens vont dire que c’est complexe, parce qu’on passe pas de piano voix en radio. Mais aujourd’hui, mon album, je le vois comme ça, c’est ce que j’ai envie de défendre. 

On sent quelque chose de fort dans tes morceaux, de la rage de vaincre, sur Rien à Prouver, par exemple, ça vient d’où ? 

Rien à prouver, c’est un morceau que j’ai écris dans un moment très compliqué psychologiquement, financièrement. J’avoue que j’ai mis du temps à écrire le deuxième couplet. J’écrivais quand je sortais du taff, dans le bus. C’est une période qui m’a marquée. J’avais personne sur qui compter. J’étais tellement en galère, je voulais juste faire de la musique pour m’en sortir. Je me suis dit “Il faut que je crache un deuxième couplet à la hauteur de ce que je ressens.” J’ai réussi à le faire. Ce morceau, je pourrai le chanter jusqu’à la fin de ma life. Même si ça n’a pas marché… BUT IT’S OK. (elle chante) 

C’est quoi de la musique qui marche ? 

Hier j’ai sorti Corps. J’ai fait un choix marketing et artistique ; ne plus sponsoriser mes vidéos. Je ne veux plus faire ça. J’ai fait une réunion avec mon équipe, pour leur dire que je ne voulais plus sponsoriser mes posts, mes sorties. Même si ça pousse, je me suis dit “C’est tellement pas sincère”. J’ai une communauté. Booster, sponsoriser, c’est ne pas avoir confiance en sa communauté. 

Là c’est sorti hier, ça se passe bien. L’indépendance n’a pas de prix. ça me tenait à coeur de faire ça. Le clip est beau. Même si j’ai que 10 000 vues, c’est des vues organiques, c’est des des vraies personnes.

Comme ça si demain il y a un bug, et qu’on a les vraies vues des artistes, toi t’es tranquille ! 

De ouf. Si on compte que les vues organiques ? Tout le monde serait niqué, laisse tomber. 

T’as fondé ton label, tu as 25 ans, c’est pour ne plus te faire avoir par les majors ? D’ailleurs sur Rien à prouver, tu compares les maisons de disques à des maisons closes. 

J’ai une liberté aujourd’hui et une indépendance, qui n’a rien à voir avec quand j’étais en major. Là j’ai sorti Corps hier, mais si demain je veux lâcher d’autres morceaux sur les plateformes, je le fais. Après, je sais aussi que la cadence de mes clips ne pourra jamais être la même que celle des autres artistes urbains indés. Parce que je suis pas dans une démarche de masse. Je suis plus dans une démarche artistique. Il y a du temps entre les clips, pour construire quelque chose d’artistique et contemporain. Il faut trouver les bonnes personnes, les meilleurs réals etc. C’est sur que si j’ai envie de faire un clip qui passe sur M6, je peux le faire, vite fait bien fait. 

En France, il y a des artistes qui ont des budgets dingues pour faire leurs clips. Je tuerai pour avoir les mêmes budgets. Et ils pondent des trucs claqués au sol.

Quand tu fais un clip, c’est toi qui vient vers le réalisateur avec ton esthétique ? 

Pour le clip de Corps, j’ai trouvé le réal, je fais les négociations, je produis, je co-produis. J’ai fait des recherches avant de trouver le réal et avec le réal. En ce moment, j’aime bien les performances d’artistes contemporains. Genre qui restent nus dans le froid pour interroger je ne sais quoi. 

On a Abraham Poincheval en France, qui s’enferme dans des pierres ou qui traverse la Bretagne en armure du Moyen-âge. 

Oui voilà, je pensais à ça. C’est un truc de fou ça. 

Je me demandais, c’est quoi une artiste engagée ? 

Je pense qu’une artiste engagée, c’est quelqu’un qui défend une idée. Mais au delà de défendre une idée, dit ce qu’il ou elle veut. Si elle veut dire “Fuck you”, elle le dit. 

On me demande tout le temps, parce que je suis une femme, si je suis féministe. Ou ce que je pense de la grossophobie parce que je suis grosse. C’est systématique. 

Pour moi être féministe, c’est quelque chose de grand. C’est incroyable. Des femmes se battent, manifestent de ouf. Oui, je suis pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais, il y a trop cette mode “Est-ce que vous êtes féministe ?”. Je ne me ressens pas forcément comme une porte étendard. 

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GABRIEL BOYER

L’artiste engagée, là, avec toi, j’ai plus l’impression que celle qui s’émancipe du label. 

Oui, et puis dire ce que tu penses. Même si c’est maladroit. Pour moi, une artiste engagée, c’est quelqu’un qui ne fait pas semblant, en répondant à ce qu’on veut qu’elle incarne. Je déteste les artistes qui font semblant. Peu d’artistes sont sincères. Tu peux facilement te faire passer pour l’artiste trop mignonne, alors qu’en fait, tu respectes rien. 

Tu fais de la musique pour qui, toi ? 

Je pense que je fais de la musique pour moi. On peut trouver ça égoïste. Mais je le fais pour moi, au départ j’avais pas les thunes pour aller voir un psy. Vu que j’avais pas envie d’étaler mes problèmes à une personne en particulier, j’ai décidé de faire de la musique pour témoigner de ce que je ressens et le livrer à ma communauté. 

« Pour moi, une artiste engagée, c’est quelqu’un qui ne fait pas semblant, en répondant à ce qu’on veut qu’elle incarne. »

Tu fais des morceaux, je pense à Corps, Noir, Rien à prouver, que les gens s’approprient, ça te dépasse parfois ? 

J’avoue que ça me dépasse un peu parfois. Mais en fait la plupart du temps, ça m’aide à tenir. Je me dis que j’ai quand même une responsabilité, qui est de dire les choses. Parfois j’ai l’impression que je peux me permettre de tout quitter et de dire à tout le monde d’aller se faire foutre. Et il y a une autre part de moi qui se dit que je ne peux pas tout quitter comme ça, tout supprimer, vis à vis des personnes qui me suivent. Ces gens-là, ceux qui m’aiment, peut-être que je porte la parole qu’ils attendaient. 

Voilà. Il y a des moments où j’ai envie de dire “fuck”, et des moments où le public m’aide à tenir. Je me dis que je ne fais pas ça pour rien. Même si parfois j’ai l’impression de nager dans du sable.

Tu dis que cette année tu veux faire beaucoup de live, tu as besoin de cette rencontre avec le public ? 

Je t’avoue que je pense que ce qui a sauvé, je pense mon projet entier, et ce qui a sauvé aussi ma personne, je pense que c’est le live. Si je n’avais pas commencé à faire du live avec ce projet, je pense pas qu’on en serait là. 

Il fallait que ça devienne réel ? 

Oui, je pense. Et surtout il fallait que je rencontre les gens. Même quand je n’avais pas fini mes morceaux. J’ai commencé les lives sans connaître les paroles. C’était à La Bellevilloise. Les gens étaient là, au rendez-vous. C’est vrai que le live a une grande importance sur ce projet. Sans le live, le projet peut tanguer. 

Tu te sens proche de qui, musicalement, esthétiquement ? 

J’aime bien FKA Twigs. C’est une artiste acharnée. Elle réalise ses clips, elle produit ses clips, ils sont trop lourds. C’est de l’art, elle a tout compris. Elle fait ses scénographies de live, c’est magnifique aussi. 

En France, c’est plus compliqué, mais on aussi des projets très cohérents esthétiquement. Je pense aux albums de Christine and the Queens, Eddy de Pretto. 

« Mon instinct, c’est plus d’avoir la dalle que de faire les choses dans les règles. » 

On a une belle nouvelle génération qui arrive, une belle scène féminine, et un plateau rap très intéressant…

J’ai collaboré avec beaucoup de gens. Plk, Dinos, Jok’air, Lord Esperanza… c’est vrai que c’est une scène qui m’inspire beaucoup. La plupart des artistes rap sont en indé. Et ils se débrouillent pas mal. Même mieux que nous, les gens de la variété, de la pop. C’est des débrouillards. Ils s’en battent les couilles. Les clips sont fait en 2-2, et ils les sortent, ça ressemble pas forcément à quelque chose mais ça va taper les millions de vues, parce qu’ils travaillent leur communauté et leur com. Ils ont une force que nous on n’a pas dans la pop, c’est la niaque. Ils ont faim et je me reconnais en eux. Mon instinct, c’est plus d’avoir la dalle que de faire les choses dans les règles. 

Je pense que c’est symptomatique de la nouvelle génération, déjà de se détacher des étiquettes, et puis de s’affranchir de pas mal de contraintes de l’industrie… 

Vraiment. Vraiment. C’est important de rester fidèle à soi-même. On peut très vite se perdre, et j’ai juste pas envie de me perdre en fait. j’ai juste envie de suivre mon instinct. Je fonce dans le tas. Si je me prends un mur, je me le prends avec mon instinct, pas de regrets. 

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GABRIEL BOYER

T’es dans quelle phase de création en ce moment ? 

J’ai pas d’inspi en ce moment. Je n’y arrive pas. Je produis, manage, je fais l’artiste, j’écris et je compose des titres pour d’autres, je fais du mannequinat, je fais mes négos, ma compta, mon admin. 

Tu l’annonçais sur les réseaux il y a quelques jours d’ailleurs, ton album ne sortira pas cette année. 

Là c’est hard. C’est chaud. Quand j’ai décidé de me manager toute seule je ne me rendais pas compte. C’est stylé, mais être manager, c’est un délire. 

T’as combien de téléphones ? 

J’en ai deux. Celui-là, c’est que pour les mails. J’ai le temps de rien faire. J’habite à Bruxelles depuis un an. Et là, ça fait deux mois que je suis pas rentrée à la maison… Mais bon, je croise les doigts pour que ça paye, le chemin va être long. 

Qu’est ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

Autour de moi, en tournée, personne n’aime le froid et la pluie. Moi je déteste le chaud. Le chaud me stresse. Je trouve que la pluie c’est beau. J’aime bien l’entendre. Je trouve ça apaisant. J’aime même rester dehors sous la pluie. Je fais un peu partie des gens qui font semblant d’avoir oublié leur parapluie pour rester sous la pluie.


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Interview : Arthur Guillaumot, avec Julian-Pietro Giorgeri, à La Vapeur, pendant le festival GéNéRiQ.

Photo de Une : Gabriel Boyer 

Noir, l’ep d’Yseult :