Le système du patronat pousse aujourd’hui au mensonge, à l’épuisement des salariés et au délitement des relations humaines. Ce constat est mis en lumière avec justesse par Stéphane Brizé dans son nouveau film, Un Autre Monde, sorti mercredi dernier dans les salles. 

Un Autre Monde prolonge la trilogie entamée avec La Loi du Marché en 2015, et poursuivie avec En Guerre en 2018. Stéphane Brizé est un cinéaste qui œuvre avec des films sociétaux, et il remet le couvert avec justesse avec ce nouvel exercice. 

Pas de surprise pour les connaisseurs, vous retrouverez les coqueluches du cinéma de Brizé. Vincent Lindon est encore de la partie : après avoir joué un vigile dans un supermarché (La Loi du Marché), puis un représentant syndical (En Guerre), il continue à gravir la hiérarchie en interprétant Philippe Lemesle, cadre de la société Elsonn. Celle-ci, sous l’ordre d’un big boss américain à la Trump, doit se séparer de 10 % de ses salariés pour rester compétitive. Mais que faire face à des salariés épuisés par leurs conditions de travail et cette demande absurde qui ne ferait qu’empirer les choses ? Stéphane doit faire face à cette question, qui vient s’ajouter à son divorce avec sa femme, incarnée par Sandrine Kimberlain. Ensemble, ils soutiennent par ailleurs leur fils psychologiquement fragile, interprété par Anthony Bajon. 

Le film dépeint un environnement sous pression constante. Philippe n’a pas le choix : sa direction n’envisage pas d’autres perspectives que la suppression de 58 emplois. En campant sur cette décision, il apparaît bien sûr comme un patron technocrate qui ne connaît pas les conditions de travail dangereuses dont sont victimes les employés. 

Cet environnement néfaste va se répercuter sur son cocon familial : sa femme supporte depuis plus de sept ans un mari absent, obnubilé par son travail, et elle arrive au trop plein. Leur fils est l’un des personnages les plus intéressants du film. Pris de crises de folie où s’expriment toutes les automatismes de son père : une obsession pour les chiffres et pour les résultats. La scène magique du film : séance entre l’enfant et une psychologue qui n’est pas moins qu’une discussion par procuration entre le père et celle-ci.

La mise en scène retranscrit avec finesse cette pression. Sont enchaînés les gros plans, voire très gros plans ou le visage des personnages est à peine visible entier. Le cadre de la caméra vient enfermer les personnages. Ce procédé appuie l’aspect enfermant du film et des situations auxquelles font face les personnages. 

De plus, le réalisateur filme avec une faible profondeur de champ, qui permet de créer un flou d’arrière-plan qui isole les protagonistes dans l’image. Pourtant, laissez votre œil parcourir l’ambiance qui entoure les acteurs. Vous y observerez un environnement qui appuie la pression et la rigidité du monde du travail : des motifs rectilignes des rideaux jusqu’au coin des pièces dans lesquelles le réalisateur cloître ses personnages. Par ce moyen, Brizé peut renforcer le contraste en créant des vrais moments entre parenthèses pendant lesquels on rejoint des environnements plus organiques et plus naturels.

Au programme cette semaine, un film à la réalisation sobre et fine qui fait place à des performances remarquables. On vous conseille vivement d’aller vous plonger dans Un Autre Monde avec Stéphane Brizé, en salle cette semaine au Caméo Saint Sébastien à Nancy et à l’Eldorado à Dijon notamment.

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Paul Dufour