Rome ne s’est pas faite en un jour. France Inter n’est pas devenue une radio nulle en 5 minutes. Mais il faut se rendre à l’évidence, la station qui avait su se réinventer aux début des années 2010 est en train de se saborder en profondeur. Un changement de ton, de rigueur, le départ de voix emblématiques, l’arrivées de guignols et la déprogrammation d’émissions phares font du mal à la station qui paradoxalement n’a jamais été aussi écoutée. 

J’ai commencé à écouter France Inter quand j’étais enfant, parce que mes parents l’écoutaient. Rapidement, je l’ai écouté seul. Des grands après-midis à écouter Rendez-Vous avec X notamment. Je me souviens comme si c’était hier des licenciements de Stéphane Guillon et Didier Porte en 2010, devenus trop insolents pour la station alors gérée par Phillipe Val, dans les petits papiers du président de l’époque, Nicolas Sarkozy. À l’époque, ce dernier trouvait que “l’actionnaire”, comprenez : l’Etat, donc lui, était bien mal traité par la radio publique. Pendant un long moment, dans ma famille, on coupe la radio. 

En 2014, comme un coup de balai dans la station, depuis 2 ans, l’actionnaire, comprenez : le président de la République, a changé. François Hollande est au pouvoir, Laurence Bloch est nommée à la tête de la station. Elle laisse de la place aux jeunes voix, c’est à ce moment que sont lancées les émissions quotidiennes d’Augustin Trapenard et Charline Vanhonenacker. La radio, ce n’est pas une question d’algorithme, mais de supplément d’âme. Pour faire de la place, à l’époque, Laurence Bloch arrête notamment Là-bas si j’y suis, émission emblématique portée par Daniel Mermet en 2014, puis se passe des services de Pascale Clark, autre voix emblématique, en 2016. Des choix radicaux et ultra-controversés à l’époque. Pourtant, ces choix étaient le contraire de ceux qui sont faits maintenant. 

En 2014, France Inter n’est pas la première radio de France et la concurrence est rude. Les choix qui sont faits auraient pu faire encore reculer les audiences. Mais une marque naît. Affaires Sensibles, l’émission narrative quotidienne de Fabrice Drouelle est programmée dès 2014 et s’installe dans le paysage. C’est ce qui fait la différence de cette station : les rendez-vous qui perdurent. En 2016, Laure Adler, voix emblématique revient sur la station pour L’Heure Bleue, une quotidienne à 20h. En 2017, Patrick Cohen quitte la matinale et Nicolas Demorand reprend son costume. Tout est une question de dosage. La recette prend, les audiences grimpent, toujours. 

Pendant quelques années, tout se passe plutôt pas mal. Laurence Bloch est une bonne directrice, expérimentée, qui sait que c’est dans la jeunesse qu’un média se réinvente. Pierre-Emmanuel Barré est bien remercié en 2017 pour son insolence, mais il faut croire qu’il n’avait plus trop envie de bosser avec Nagui et ça peut se comprendre. Bref, comme dans les films avec des princes et des princesses qui prennent la confiance, tout s’écoule doucement pendant quelques années. Le pays est à droite, alors la radio “de gauche” est vivifiée, notamment sur ses créneaux d’humour. Si Léa Salamé et Nicolas Demorand, les matinaliers, n’ont plus la rigueur de leur jeunesse, leur embourgeoisement est un caillou presque insensible. 

Pourtant, un jour, Sibyle Veil, la directrice de Radio France remplace Laurence Bloch par Adèle Van Reth. Et là… Si les départs ne doivent pas être imputés uniquement à la direction, la vague de départ (Augustin Trapenard, Antoine de Caunes notamment) ne jouent pas en faveur de la nouvelle ligne. La matinale est largement bidouillée. Matthieu Noël (Europe 1) déboule avec une émission d’une heure l’après midi en plus de sa chronique matinale. Toujours plus de place au ricanement bêta déjà bien incarné par le créneau de midi de Nagui. 

Mais ce qui pèse le plus, au delà des incarnations, c’est le manque d’exigence sur les invité.es. Rares sont les émissions à proposer des castings stimulants (Bravo à Ali Baddou, avec son grand face à face). Mais c’est comme si en augmentant son audience, la station avait décidé de cesser de faire confiance à la curiosité de ses auditrices et auditeurs. Sans compter le manque d’impartialité de plus en plus criant de certaines voix (Carine Bécard, coucou) et le manque de rigueur des autres. 

Si certains départs se sont sans doute déroulés à “l’amiable”, d’autres sont plus douloureux… et s’enchaînent. En novembre 2022, l’humouriste Florence Mendez, qui officie dans la Bande Originale de Nagui signale avoir été victime de harcèlement de la part d’un proche collaborateur de ce dernier, ce qui aurait conduit à ce qu’elle soit écartée de l’émission. Un comble. Le même mois, l’animatrice historique des Petits Bateaux, Noëlle Bréham, est limogée pour avoir refusée de continuer de travailler en CDD après 40 ans sous le même statut. Délirant, pour une “radio de gauche”. Il y a quelques jours, Charline Vanhonenacker annonçait sur le plateau de C à vous sur France 5 que cette saison serait la dernière de sa quotidienne, sans exclure que le ton soit en cause. Nous y voilà. 

Peut-être que j’ai grandi. Peut-être que la radio que j’aimais a changé. Je ne l’allume plus le matin quand je me réveille et il est rare que je le fasse tout court. Mention à Rebecca Manzoni avec Totémic, Fabienne Sintes et Un jour dans le Monde, et Côté Club de Laurent Goumarre, allez, parce que dans ces 3 rendez-vous, la découverte est possible, celle-là même qui doit être la priorité de la radio la plus écoutée de France. 

Le service public est en train de prendre un sacré coup dans les côtes, ce qui explique sans doute pas mal de choses. Mais l’exigence s’en ressent. Attention à ne pas devenir une radio où le potache est un entresoi comme un autre. À courir après les audiences, France Inter est retombée dans ses vieux travers. Elle est devenue la radio la plus écoutée de France, mais à quel prix ?

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Arthur Guillaumot