< Tous les articles critique Théâtre Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues — Festival d’Avignon Par Joshua Thomassin 15 juillet 2024 Le directeur du Festival a fait appel à la troupe de la Comédie Française pour présenter, au creux d’une carrière, sa version d’Hécube, personnage de la guerre de Troie. Il lie son mythe au drame de Nadia, comédienne qui répète ce rôle dans la pièce d’Euripide. Leurs tragédies se confondent, comme leur absolue nécessité : plaider la cause de leurs fils. Un mélange habile entre théâtre grec et drame social contemporain, dont Tiago Rodrigues a le secret. Euripide nous a fait connaître l’histoire d’Hécube grâce à sa pièce écrite il y a 2 500 ans. Troyenne, et donc vaincue après la guerre, elle cache son fils chez un allié. Mais elle découvre qu’il a péri, lâchement assassiné par son hôte. Elle fomente sa vengeance et, après l’avoir piégé, crève les yeux du coupable et égorge ses deux enfants. Elle justifie sa revanche devant Agamemnon, chef des forces Grecques (son ennemi pendant la guerre), qui lui donne finalement raison. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Tel les auteurs antiques qui actualisaient les mythes en leur offrant une dramaturgie, Tiago Rodrigues poursuit un travail de rénovateur. Après notamment Antoine et Cléopâtre, Iphigénie, Agamemnon, Électre ou encore Tristan et Isolde à l’opéra, il a prouvé son savoir-faire dans l’art de la réécriture. Pour Hécube, c’est un peu différent, il utilise le texte d’Euripide comme support, pour y écrire sa propre histoire. Celle de Nadia, comédienne qui répète Hécube avec sa troupe. Son fils, Otis, atteint du trouble du spectre autistique, a été placé en maison d’accueil avant qu’elle l’en retire, sûre qu’il y subit des maltraitances. Elle démarre alors un long combat juridique pour trouver des témoins et condamner les coupables. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Pour interpréter son propos, Tiago Rodrigues a fait appel à quelques membres de la Comédie Française : Elsa Lepoivre, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Séphora Pondi, Élissa Alloula, Éric Génovèse, Gaël Kamilindi. Casting d’exception. Comme le veut la tradition théâtrale, on commence à la table. La troupe y lit le texte pour la première fois et tous les personnages autour de Nadia jouent des caricatures de comédiens. Le vieux sage aux petites boutades, le coq dont l’investissement et l’ego vont de paire, et le choeur qui se coordonne en faux rythme. Des moqueries sur les images d’Épinal de la profession, qui font forcément mouche sur un public avignonnais aguerri. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Pour Nadia, l’apprentissage du rôle d’Hécube commence le même soir que son dépôt de plainte. Lorsqu’elle rencontre le procureur, le rappel des faits prend une odeur de tirade, dans laquelle elle visualise la parole d’Agamemnon, qui se confondra avec le magistrat jusqu’au bout du récit. Alors, toute s’enjambe, peu à peu. Les larmes qu’elle se refuse de pleurer devant les autres, elle les libère par la voix d’Hécube. Incarner celle dont la souffrance est la plus grande sous les cieux lui offre une respiration prolongée, un défouloir cathartique où ses sens personnels peuvent jouir sans crainte. Là est tout le rôle du théâtre, l’art qui fait exprimer les âmes sous la lumière du jour. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Le combat judiciaire lancé, chaque témoin passe à la barre pour apporter sa version des faits. Le responsable de centre à la fausse bonne foi, l’éducatrice dépassée qui se réfugie dans la violence affective pour maintenir l’ordre, dont les règles ont été définies par une vision validiste, la lanceuse d’alerte, l’animateur non formé qui fait confiance à son instinct masculin pour assurer la sécurité par la violence physique, et enfin, celui qui avait connaissance des faits et les moyens d’agir, celui qu’il faut condamner par dessus tous : l’État et sa politique de l’autruche, représenté ici par un de ses secrétaires spécialistes en langue de bois technocratique. Le directeur du Festival d’Avignon nous a habitué à des travaux d’une technicité d’orfèvre, portés par une langue saillante et une intimité affirmée. Hécube, pas Hécube n’y déroge pas. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Les lumières sont d’une précision rarement atteinte, elles délimitent le récit au millimètre près et, à l’intérieur de ce décor antique, elles font office d’interventions divines. L’ambiance sonore pousse parfois le suspens, parfois l’angoisse mais agit toujours en résonateur d’émotions, et ses montées progressives pendant les tirades hérissent nos poils en même temps que ceux de Nadia. Avec Hécube, pas Hécube, Tiago Rodrigues s’assume comme un passeur d’histoires. Il ne démystifie pas, il abroge les frontières. Si l’écho de ces légendes a traversé le temps c’est parce que notre réalité s’ancre toujours dans les mêmes rapports de domination. Le pouvoir a changé d’image, il s’agissait de faire tomber les masques. __ Durée : 2h Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora PondiTexte et mise en scène Tiago Rodrigues Traduction Thomas Resendes (français)Scénographie Fernando Ribeiro Costumes José António Tenente Lumière Rui Monteiro Musique et son Pedro Costa Collaboration artistique Sophie BricaireTraduction pour le surtitrage Panthea Tournée : 26 et 27 juillet 2024 : Festival d’Athènes-Épidaure (Grèce) 11 et 12 septembre 2024 : Divadlo International Théâtre Festival (Pilsen, République tchèque) 20 et 21 septembre 2024 : Slovenské narodné divadlo (Bratislava, Slovaquie) 26 et 27 septembre 2024 : Bitef Beogradski Internacionalni Teatarski Festival (Belgrade, Serbie) 07 et 08 octobre 2024 : Cankarjev dom (Ljubljana, Slovénie) 02 et 03 novembre 2024 : Istanbul Theater Festival – Istanbul Kültür Sanat Vakfi (Turquie) 15 au 23 novembre 2024 : Toulouse – Théâtre de la Cité 28 novembre au 1er décembre 2024 : Genève – Comédie de Genève 06 et 07 décembre 2024 : Antibes – anthéa Antipolis 03 au 05 janvier 2025 : Madrid – Teatros Del Canal 09 au 11 janvier 2025 : Lisbonne – Centro Cultural de Belém 17 et 18 janvier 2025 : Anvers – deSingel 23 au 25 janvier 2025 : Luxembourg – Théâtres de la Ville de Luxembourg 29 et 30 janvier 2025 : La Rochelle – La Coursive 28 mai au 25 juillet 2025 : Paris – Salle Richelieu, Comédie Française __ Texte : Joshua Thomassin Photos : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon À lire aussi critique Théâtre Le temps des fins de Guillaume Cayet — Critique 04 Déc 2024 Le temps des fins est une pièce qui ne traite pas de la fin des temps mais de la fin de l’infini. Jusqu’au 06 décembre au Théâtre de la Manufacture, puis en tournée, l’écrivain dramaturge livre une œuvre écologiquement engagée poignante. L’histoire se déroule en trois actes : Le deuil, Le monde impossible et La critique Théâtre Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy — Critique 26 Nov 2024 On a découvert Le Ring de Katharsy au Théâtre national de Strasbourg. Métaphore sociale, dystopie ou simple fantaisie, Alice Laloy créé un spectacle dantesque, inédit en son genre. Le jeu vidéo rencontre la scène et s’impose au théâtre comme une évidence dramatique. La grille s’élève et le show commence. On découvre Katharsy, figure mystico-lyrique qui critique Théâtre Antigone de Laurence Cordier — Critique 14 Nov 2024 Laurence Cordier adapte Antigone de Sophocle au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Face à ce texte antique mais toujours actuel, elle opte pour une mise en scène funèbre et statique. Le propos incandescent ne parvient pas à résonner, faute de rythme et de choix scéniques. Antigone est la fille d’Œdipe et Jocaste. Ses deux À la loupeCartes postalesDossiersHoroscopeInterviewsPlaylists