< Tous les articles critique Théâtre La vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib — Festival d’Avignon Par Joshua Thomassin 19 juillet 2024 « Il vaut mieux mourir sur scène qu’en Ehpad« . Sur ces belles paroles, Mohamed El Khatib lance sa nouvelle création. Il y réunit 2 vieux, 5 vieilles et une comédienne pour aborder leurs désirs sexuels et leur condition avec tendresse et sarcasme. Malgré la mort qui rôde, une énergie vivace s’en dégage et ravit la salle. C’est un habitué de l’exercice. Mohamed El Khatib travaille majoritairement avec des interprètes amateurs, et surtout avec celles et ceux qui ne sont jamais monté·es jamais sur scène, celles et ceux qui ne viennent pas au théâtre. C’est son projet théâtral, son projet politique. Avant de penser la forme de son spectacle, il décide de son adresse. « Les spectateurs auxquels je veux m’adresser, ils ne viennent pas au théâtre, et ça me rend triste, alors je n’ai pas trouvé d’autre stratégie {…} que de les faire entrer par la scène » disait-il dans la préface de Stadium, spectacle créé avec des fans du RC Lens. C’est comme cela qu’il a trouvé comment « donner de la chair à une idée« . Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Alors cette fois-ci, ce sera les vieux. Il tient à les appeler les vieux. Ce sont les vieux qui lui ont dit de ne pas faire le timoré à les appeler personnes âgées. Il faut assumer la vieillesse, qu’ils et elles disent, alors on les appellera les vieux. Parti faire le tour des Ehpad avec cette annonce : « Si vous avez plus de 75 ans et des histoires d’amour, appelez-moi« , Mohamed El Khatib a rencontré des centaines de vieux en France et en Belgique. Puis il a voulu les faire monter sur scène, leur laisser le soin de dire leurs histoires. Et les vieux ne se sont pas priés pour s’en emparer. Sur le plateau, transformé en salle de bal, ils nous content tour à tour leur parcours sexuel, entre éducation, mariage, tromperie et anecdotes les plus croustillantes. S’ils ne peuvent plus beaucoup bouger pour donner de la vie à leurs histoires, on les imagine avec eux. Et chaque moment où ils se domptent pour faire bouger les muscles, une explosion libératrice s’empare de la scène. Lorsque Sali twerk, c’est tout un monde qui demande à ce qu’on le regarde. Et peut-être que ce n’est que pendant 1h, peut-être que nous oublierons tout une fois sorti·es, mais à cet instant, nous regardons. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Aborder la sexualité des vieux, c’est entrainer un flot de discussions sur les conditions d’accueil subies en Ehpad, par les vieux et par les soignant·es. Le racisme : les Ehpad sont constitués quasi à 100% de blancs. Les personnes racisé·es ont plutôt leur place du côte du soin. Yasmine Hadj Ali, qui interprète une infirmière, le résume par un si juste : « Je m’appelle Yasmine, d’origine aide-soignante« , avant d’évoquer les diverses remarques entendues sur ses talents pour le couscous ou la danse du ventre. L’assistance sexuelle : permise en Belgique, et apparemment testée par toute la troupe, pourquoi est-elle encore interdite en France ? La privation de liberté : à trop vouloir les protéger, les vieux sont infantilisés, traités comme des produits fragiles alors que leur dernière liberté est de profiter enfin de leur corps, pleinement. Mais aussi les relations avec les enfants, l’oubli, la maltraitance directe ou induite par le manque de moyens, etc. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Tout est raconté sans filtre, sans prendre de pincettes avec la mort. La langue est brute et franche. Là où Mohamed El Khatib réussit d’emblée son pari, c’est que cette parole, de par ses interprètes, touche notre humanité, en plein centre. Et même si l’on aime pas les vieux, on est pris par cette vague d’empathie émanant du public. Pas une empathie condescendante, une empathie sensitive. Avec ce théâtre, l’émotion se partage sans barrières. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Dans sa forme, ce n’est pas le meilleur spectacle de Mohamed El Khatib. On suit un relais d’anecdotes, ça manque un peu de peps et de rythme. Mais là n’est pas l’objectif. Ces vieux viennent, ils nous prennent une heure et nous racontent leurs histoires. Certaines sont mortes, contraintes de n’exister que par souvenir. Et pourtant, sur ce plateau, malgré des interprètes qui nous rappellent le contraire, elles revivent. Et nous un peu aussi. __ Durée : 1h10 Avec (en alternance) Annie Boisdenghien, Micheline Boussaingault, Marie-Louise Carlier, Chille Deman, Martine Devries, Jean-Pierre Dupuy, Yasmine Hadj Ali, Salimata Kamaté, Jacqueline Juin, Jean Paul Sidolle, Gaby SuffrinConception Mohamed El Khatib Dramaturgie Camille Nauffray Scénographie Frédéric Hocké Vidéo Emmanuel Manzano Son Arnaud Léger Collaboration Mathilde Chadeau, Vassia ChavarocheVie médicale Paul Ceulenaere, Virginie Tanda, Vinciane WatrinEntretiens Marie Desgranges, Zacharie Dutertre, Vanessa Larré Régie générale Jonathan Douchet Tournée : 12 au 26 septembre : Paris – Théâtre de la Ville 05 octobre 2024 : Lugano 🇨🇭 – Festival Internazionale del Teatro 08 et 09 octobre 2024 : Saint-Ouen – Espace 1789 11 octobre 2024 : Choisy-le-Roi – Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi 09 et 10 novembre 2024 : Rome 🇮🇹 – Romaeuropa Festival 27 au 29 novembre 2024 : Orléans – CDN Orléans Centre-Val de Loire 12 au 15 décembre 2024 : Genève 🇨🇭 – Comédie de Genève 18 et 19 décembre 2024 : Cergy-Pontoise – Points communs 09 et 10 janvier 2025 : Aix-en-Provence – Théâtre du Bois de l’Aune 13 au 15 janvier 2025 : Arras – Tandem 17 et 18 janvier 2025 : Calais – Le Channel 28 janvier 2025 : Châteauroux – Equinoxe 30 janvier 2025 : Blois – Halle aux grains 12 au 15 février 2025 : Clermont-Ferrand – La Comédie de Clermont-Ferrand 11 au 15 mars 2025 : Rennes – Théâtre National de Bretagne 28 et 29 mars 2025 : Annecy – Bonlieu 08 et 09 avril 2025 : Chambéry – Espace Malraux 15 au 17 avril 2025 : Grenoble – MC2 Grenoble 27 et 28 mai 2025 : Le Mans – L’Espal __ Texte : Joshua Thomassin Photos : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon À lire aussi critique Théâtre Le temps des fins de Guillaume Cayet — Critique 04 Déc 2024 Le temps des fins est une pièce qui ne traite pas de la fin des temps mais de la fin de l’infini. Jusqu’au 06 décembre au Théâtre de la Manufacture, puis en tournée, l’écrivain dramaturge livre une œuvre écologiquement engagée poignante. L’histoire se déroule en trois actes : Le deuil, Le monde impossible et La critique Théâtre Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy — Critique 26 Nov 2024 On a découvert Le Ring de Katharsy au Théâtre national de Strasbourg. Métaphore sociale, dystopie ou simple fantaisie, Alice Laloy créé un spectacle dantesque, inédit en son genre. Le jeu vidéo rencontre la scène et s’impose au théâtre comme une évidence dramatique. La grille s’élève et le show commence. On découvre Katharsy, figure mystico-lyrique qui critique Théâtre Antigone de Laurence Cordier — Critique 14 Nov 2024 Laurence Cordier adapte Antigone de Sophocle au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Face à ce texte antique mais toujours actuel, elle opte pour une mise en scène funèbre et statique. Le propos incandescent ne parvient pas à résonner, faute de rythme et de choix scéniques. Antigone est la fille d’Œdipe et Jocaste. Ses deux À la loupeCartes postalesDossiersHoroscopeInterviewsPlaylists