< Tous les articles Magazine serial killers Les pires tueurs en série du Grand Est Par Joshua Thomassin 26 janvier 2025 Les tueurs en série imprègnent la culture populaire. Malgré l’horreur infligée aux victimes et à leurs proches, ils suscitent autant la peur que la fascination sordide. L’histoire de ces hommes devenus des monstres est aussi l’histoire de la justice française. Si l’ADN et la surveillance semblent les avoir fait disparaître, les tueurs en série ont longtemps été considérés comme une fantaisie, une spécialité américaine. Des enquêtes se sont closes ou embourbées à cause d’erreurs judiciaires et de nombreuses victimes auraient pu être évitées. À travers 3 trajectoires criminelles qui ont marqué notre région et la France entière, nous avons voulu comprendre, au-delà du polar, ce qui façonne les monstres, des lieux où ils ont vécu aux lieux où ils ont tué. “Le tueur à l’oreiller” — Yvan Keller Il dit qu’il a tué 150 femmes. Un chiffre qui ferait de lui le plus meurtrier des tueurs en série français. Pourtant personne ne sait s’il a dit vrai. Yvan Keller s’est suicidé juste après son premier interrogatoire — on l’a laissé sans surveillance, et avec ses lacets. C’était en 2006 au Tribunal de grande instance de Mulhouse. Au nom de la loi, Keller restera à jamais innocent. On ne peut juger un mort. ©DIEGO ZÉBINA En décembre 1982, Yvan Keller est arrêté et condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour le braquage avec séquestration d’un couple d’antiquaires. Il sort en août 1989 et s’installe avec sa compagne dans une maison bourgeoise de Mulhouse, à une vingtaine de minutes à pied du centre-ville. Il ouvre son auto-entreprise de jardinier paysagiste, “Alsa-Jardin”. ©DIEGO ZÉBINA Au tout début de l’année 1991, Hélène Muller signale à la police la disparition de 45 000 francs (env. 11 500 €). Son jardinier, Yvan Keller, est interrogé. La gendarmerie d’Illzach transmet ses soupçons au parquet de Mulhouse mais l’affaire est classée sans suite faute de preuves. Dans la nuit du 7 au 8 mars 1991, Hélène Muller surprend un cambrioleur chez elle, qui prend immédiatement la fuite. Elle découvre alors sa sœur, Alice, 88 ans, morte dans son lit. 600 francs (env. 155 €) stagnent sous son oreiller, le drap est parfaitement bordé jusqu’au menton. Pas d’enquête, le médecin déclare une mort naturelle d’une crise cardiaque. En 1993, Yvan Keller est dénoncé une première fois à la police par son complice-chauffeur François de Nicolo, dont la réputation de mythomane a raison de ses aveux. Dans la rue Basse d’un petit bourg du Haut-Rhin, à une vingtaine de kilomètres de Mulhouse, le début de l’année 1994 est macabre. En l’espace de trois mois, trois maisons sont touchées. Leurs uniques occupantes sont retrouvées mortes dans leurs lits, soigneusement bordés. Marie Winterholer, 79 ans, Ernestine Mang, 86 ans puis Augusta Wassmer, 77 ans. Le médecin signe les deux premiers certificats de décès sans se poser de question. Le fils de Mme Mang s’est tout de même étonné de la disparition d’une bague et de 6 000 francs (env. 1 450 €). La troisième mort est celle de trop : le médecin demande un examen complémentaire. Il a vu juste, Mme Wassmer est morte d’asphyxie. De plus, sa carte bleue a disparu, et 3 retraits de 150 francs chacun (env. 36 €) ont été observés après son décès. On soupçonne d’abord les petits-enfants, avant que tout ne soit classé sans suite. 25 ans après les meurtres, une entreprise de pompes funèbres a délocalisé son siège dans la rue. ©DIEGO ZÉBINA Au cours de l’année 2000, Pierre Keller dénonce son frère Yvan à la police, l’accusant de six cambriolages. L’information judiciaire est clôturée un an plus tard par ordonnance de non-lieu. En 2003, Pierre se rend directement à la brigade criminelle pour annoncer que son frère est aussi meurtrier. Les enquêteurs se rappellent enfin de la déclaration de François de Nicolo dix ans plus tôt. Ils placent Yvan Keller sur écoute et constatent que le jardinier vit une existence luxueuse. Il multiplie les week-ends avec sa compagne, où ils se paient les lieux les plus chics. Il est aussi accro au jeu, que ce soit dans le bar PMU de Wittenheim, en banlieue de Mulhouse, ou dans de nombreux casinos, notamment celui de Nierderbronn-les-Bains, tout au nord de l’Alsace. C’est pour soutenir cette existence qu’il cambriole. ©DIEGO ZÉBINA Lorsqu’il est placé en garde à vue le 20 septembre 2006, Yvan Keller avoue sans broncher et détaille sa méthode. Il choisit des femmes isolées et âgées, qu’il repère avec ses activités de jardinage ou grâce à des contacts. Il les “endort”, selon ses termes, pour être tranquille pendant le vol, et laisse les objets de valeur en évidence pour ne pas alerter les familles. Le tout avec l’infiltration la plus discrète possible. En 14 ans, Yvan Keller a sans doute tué bien plus que les 5 crimes qui lui sont imputés en 2006. Vu sa méthode, le chiffre de 150 victimes ne paraît pas si prétentieux. Les enquêteurs ont depuis retrouvé jusqu’à 42 affaires pouvant être liées au “tueur à l’oreiller”. “Le routard du crime” — Francis Heaulme Son parcours est glaçant en tous points. Francis Heaulme a tué 13 fois, au moins, de Metz à Brest, en passant par le Périgord ou le Vaucluse. Ses victimes sont âgées de 8 à 86 ans. Parfois accompagné, parfois seul, il n’a pas de méthode et tue par “flashs”. Lorsqu’il est arrêté à Bischwiller, en Alsace, le 7 janvier 1992, la France découvre un itinéraire criminel inédit, entaché d’ingérence psychiatrique et d’une erreur judiciaire monstre. ©DIEGO ZÉBINA Francis Heaulme grandit dans l’une des Cités radieuses construites par Le Corbusier à Briey, en Meurthe-et-Moselle. Haï par son père, alcoolique notoire qui l’insultait et l’enfermait dans la cave, il considère au contraire sa mère comme une sainte. Ses conditions de vie le poussent à se nourrir parfois de pâtée pour chat, un régime pour lequel il est surnommé “Félix le chat”. Sa mère meurt d’un cancer le 16 octobre 1984, le jour où le petit Grégory est retrouvé noyé dans la Vologne. Si Francis Heaulme se passionne pour l’affaire, son monde vient de s’effondrer et il tente par deux fois de se suicider après de nombreuses automutilations. 3 semaines plus tard, sa furie criminelle débute. Cité radieuse de Briey (©DIEGO ZÉBINA) Le 28 septembre 1986, Alexandre Beckrich et Cyril Beining, 8 ans chacun, jouent sur un talus de chemin de fer à Montigny-lès-Metz. Francis Heaulme vit chez sa grand-mère et travaille dans une entreprise située juste à côté. Il a déjà tué deux fois, chaque fois avec un complice qui viole la victime avant que lui ne porte le coup fatal. Cette fois, il est seul. Les deux enfants sont retrouvés morts, tués à coups de pierre sur le crâne. Mais c’est Patrick Dils, alors âgé de 16 ans, qui avoue le crime en mars 1987, après 36 heures de garde à vue. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Heaulme parle enfin du double meurtre en 1997. Il dit être passé par là, avoir vu les enfants, puis être revenu lorsque pompiers et policiers étaient déjà sur place. Ce n’est que lors du procès en appel de Patrick Dils, en 2002, qu’il affirme être monté sur le talus. Le condamné à tort est acquitté et libéré, après 13 ans d’emprisonnement. Mais Heaulme n’a toujours pas avoué avoir tué les enfants. Il est auditionné deux ans plus tard, en 2004, puis mis en examen en 2006. En 2007, le non-lieu est ordonné, faute d’éléments probants. Les parties civiles font appel, et Francis Heaulme est amené à comparaître en 2014. Le procès est renvoyé et il est finalement condamné en 2017, 31 ans après la mort des deux enfants, 20 ans après qu’il ait parlé du crime. ©DIEGO ZÉBINA En 1989, Francis Heaulme est à Brest, où il vit entre la communauté Emmaüs de la ville et les hôpitaux où il est soigné. Aline Peres, 49 ans, est tuée à coups de couteau sur une plage. La police remonte la piste de Heaulme et l’interpelle quelques semaines plus tard. Il explique alors précisément comment neutraliser quelqu’un, de la même manière que ce qu’a subi Aline Peres. Mais un faux alibi, une prise de température alors qu’il était hospitalisé à Quimper — qui s’avérera avoir été effectuée sans le patient — empêche son inculpation et Heaulme reprend la route. Il n’est arrêté que 2 ans et demi plus tard, après avoir fait une quatrième victime depuis son interrogatoire. Durant ces 8 années d’errance, le “routard du crime” aurait 13 fois causé la mort. Ses problèmes psychiatriques ont été diagnostiqués en 1977, lorsqu’il est exempté de service militaire. Marginal sans domicile fixe, il est hospitalisé 80 fois de 1981 à 1987, la plupart pour un court séjour, soit en institut psychiatrique, soit en centre de désintoxication, sans véritable suivi. Il fréquente aussi plusieurs communautés Emmaüs, où il devient compagnon de route. Depuis son arrestation, de nombreux psychiatres ont tenté de comprendre Francis Heaulme. Il tuait lors d’épisodes psychotiques, accentués par l’alcool. Et il est l’un des seuls tueurs en série à en éprouver des remords — il s’automutile lors de ces mêmes crises. Il est aujourd’hui enfermé à la maison centrale d’Ensisheim, après avoir été condamné en cumulé à 165 ans de réclusion criminelle et à une peine de perpétuité réelle. Maison centrale d’Ensisheim (©DIEGO ZÉBINA) “L’Ogre des Ardennes” — Michel Fourniret & Monique Olivier Difficile de faire plus ignoble que l’histoire criminelle de Michel Fourniret. Décrit par tous comme un être inhumain, égocentrique et sans remords, il s’est permis de brandir à son procès, face aux proches de ses nombreuses victimes, un panneau “sans huis-clos, bouche cousue”. Il était accompagné par Monique Olivier, sa femme, avec qui il a passé un pacte diabolique et construit une entreprise macabre sans précédent. ©DIEGO ZÉBINA En 1966, Michel Fourniret, 24 ans, est une première fois condamné par la justice pour infractions aux mœurs avec préméditation sur une fillette de 11 ans. Il écope de 8 mois de prison avec sursis. 18 ans plus tard, il est arrêté pour agressions sexuelles sur une quinzaine de mineures. Il est condamné le 26 juin 1987 à 7 ans de prison, dont 2 ans avec sursis et 3 ans de mise à l’épreuve — les faits de viol n’étant pas retenus. Lors de sa détention provisoire, il publie une petite annonce dans le journal. C’est Monique Olivier qui y répond au printemps 1987. Ils s’échangent 217 lettres avant que Fourniret obtienne la liberté conditionnelle le 22 octobre 1987, seulement 3 ans et demi après son arrestation. Le couple s’installe dans un petit village de l’Yonne. Début 1989, ils ont déjà 3 meurtres à leur actif. Monique Olivier sert de rabatteuse, Michel Fourniret, obsédé par la virginité, viole puis tue les jeunes femmes. Le 13 janvier, le couple s’installe dans un manoir du XIXe, situé entre Sedan et la frontière belge. Acheté pour 1,2 millions de francs (env. 330 000 €), il est entouré d’une forêt de 15 hectares. S’ils ont pu se l’offrir, c’est parce qu’ils ont volé le trésor de braqueurs de banques notoires, le gang des Postiches. Après avoir aidé Farida Hammiche, la femme d’un ancien compagnon de cellule de Fourniret et membre du gang, à déplacer le magot, ils l’ont attiré dans un guet-apens pour la supprimer. Fourniret et Olivier vivent deux ans dans la propriété, où deux corps de jeunes filles sont retrouvés en 2004 lors des fouilles. ©DIEGO ZÉBINA En mai 2001, Mananya Thumpong, 13 ans, disparaît à la sortie de la médiathèque, à Sedan. Elle est décrite par ses parents comme une grande timide, “qui même sous la pluie, n’aurait pas accepté l’aide d’un voisin”. Pourtant, en pleine journée, le piège du couple diabolique s’est refermé une neuvième fois, au moins. Ils ont prétexté la recherche d’un itinéraire et l’ont emmené jusqu’à un chemin de terre. Fourniret l’a violée sous la menace de la rendre aveugle avec de l’acide, puis l’a étranglée avant de se débarrasser du corps, retrouvé 1 an plus tard. De l’Yonne aux Ardennes belges, ils ont poursuivi leur trajectoire criminelle sans jamais être inquiétés. Aucune unité spéciale n’existait pour traquer les tueurs en série, les affaires n’ont jamais été reliées avant les aveux. Et près des lieux où le couple passe à l’acte, 3 affaires criminelles prouvent déjà l’incompétence des justices française et belge : Émile Louis et les disparues de l’Yonne, Pierre Chanal et les disparus de Mourmelon, Marc Dutroux en Belgique. ©DIEGO ZÉBINA Il faut attendre le 26 juin 2003 pour forcer la police à agir. Près de Namur, dans la petite ville de Ciney, Marie-Ascension Sangwe, 13 ans, est la prochaine victime de Fourniret. Mais après avoir été ligotée dans sa camionnette, elle réussit à se défaire de ses liens et profite d’un arrêt à un stop pour ouvrir la porte arrière et s’enfuir. Après identification du véhicule, le couple est arrêté dans la journée. 110 interrogatoires plus tard, Michel Fourniret n’a pas donné un seul indice. Monique Olivier, épuisée de ses 123 entretiens, passe enfin aux aveux le 22 juin 2004. Ils confirment par la suite 11 crimes entre 1987 et 2003, mais aucun dans la décennie 90, ce qui paraît improbable. Fourniret a emporté ses secrets dans la tombe le 10 mai 2021. Un an plus tôt, alors que l’enquête s’enlise, il avoue à demi-mot le meurtre d’Estelle Mouzin, 9 ans, disparue le 9 janvier 2003. Cédric Mouzin, son père, avait porté plainte contre l’État en 2019 pour inaction, accusant notamment la justice d’attendre que l’auteur des faits se dénonce seul. Le corps d’Estelle n’a toujours pas été retrouvé. ©DIEGO ZÉBINA __ Il faut de tout pour faire un monstre — article tiré de Première Pluie magazine n°12, à découvir ici. Texte : Joshua Thomassin Photos : Diego Zébina Graphisme (dans le magazine) : Valentine Poulet À lire aussi Magazine serial killers Les pires tueurs en série du Grand Est 26 Jan 2025 Les tueurs en série imprègnent la culture populaire. Malgré l’horreur infligée aux victimes et à leurs proches, ils suscitent autant la peur que la fascination sordide. L’histoire de ces hommes devenus des monstres est aussi l’histoire de la justice française. Si l’ADN et la surveillance semblent les avoir fait disparaître, les tueurs en série ont À la loupeCartes postalesDossiersHoroscopeInterviewsPlaylists