< Tous les articles budget culture Les coupes budgétaires du pass Culture et du Service Civique Par Irène Feuvrier 6 février 2025 Jeudi 30 janvier, des gels budgétaires ont frappé le Service Civique et le pass Culture collectif, budget alloué aux collèges et aux lycées pour la Culture. Pris au dépourvu, les acteurs concernés n’ont eu que quelques jours, souvent seulement quelques heures effectives, pour valider leur projet, sans savoir s’il n’était pas en réalité déjà trop tard. Des mois de travail passés ainsi que des milliers de projets à venir sont alors tombés à l’eau, laissant des milliers d’actions culturelles, solidaires ou écologiques sur le carreau. Ça s’est passé jeudi dernier, un “séisme pass Culture” s’est abattu sur les établissements scolaires et les organisations culturelles. C’est du moins comme cela que Sophie*, professeure en collège en Moselle, décrit l’événement. Décision assumée du gouvernement pourtant vécue comme un véritable drame pour les acteurs culturels, “ça fait polémique” donc “on a consigne de ne pas communiquer” s’indigne l’enseignante, avant tout de même de nous décrire le déroulé. « Une fièvre s’est emparée à la fois des enseignants et des institutions culturelles » Sophie*, enseignante 31 janvier, annonce gouvernementale, “des rumeurs qui viennent de plusieurs partenaires culturels différents” évoquent la suppression du pass Culture. La “psychose” se propage. La professeure, quant à elle, se dit avoir été totalement incrédule, incapable d’imaginer que les règles aient pu “changer en cours de partie”. Puis, le chef d’établissement reçoit un courrier du recteur annonçant officiellement qu’Adage, la plateforme de dépôt des projets éligibles au pass Culture collectif, fermerait dans les 48 heures à venir. “Une fièvre s’est emparée à la fois des enseignants et des institutions culturelles”. Le protocole était complexe, mais clair : 48 heures pour que les partenaires déposent en ligne leur offre de projet, dont les détails de l’organisation doivent être précisés, avant que les référents culturels des établissements scolaires y répondent et qu’enfin les chefs d’établissement valident. “Tout reposait sur la réactivité” décrit la professeure qui déplore l’inégalité de la situation : pour un chef d’établissement débranché de sa boîte mail au moment fatidique, ce sont des heures précieuses de perdues. Et chaque heure avait bien son importance, puisque le soir-même, ainsi que le lendemain, le site internet en saturation était impossible d’accès. « Il y a des gens qui sont extrêmement en colère, déçus, dégoûtés » Sophie*, enseignante Tout le monde s’empresse de valider ses projets dans un climat d’incertitude qui a été renforcé par la suite : le rectorat affirme que tous les projets validés auront lieu, mais les syndicats contestent, estimant l’enveloppe financière trop légère par rapport au nombre de projets validés. Ainsi, selon l’organisation consultée, le discours laisse entendre une réalité bien différente. Personne ne sait comment va évoluer la situation, mais les décisions ont déjà fait beaucoup de ravages : “Il y a des gens qui sont extrêmement en colère, extrêmement déçus, dégoûtés. Des projets entamés qui n’aboutiront jamais. Des élèves à qui on avait promis des sorties qui n’auront jamais lieu.”. L’enseignante s’estime chanceuse de ne pas être “en danger de mort” comme certaines troupes de théâtre dont l’existence dépend des représentations scolaires. Elle cherche donc d’autres solutions, mais se confronte à “des moyens très limités”, spectatrice impuissante d’une ceinture budgétaire qui contraint tout le monde. L’inquiétude prend alors chez elle une place de plus en plus grande : c’est tout un système économique qui s’effondre avec la Culture, tout un ciment social qui faisait “tomber les barrières entre les individus” lorsqu’ils s’apercevaient, au détour d’un rire sur les bancs d’un théâtre, qu’ils ont bel et bien des points d’entente. « Des projets entamés qui n’aboutiront jamais. Des élèves à qui on avait promis des sorties qui n’auront jamais lieu » Sophie*, enseignante Du côté des organisations culturelles, la désillusion a été toute aussi frappante. Une membre du Nest Théâtre, Centre Dramatique National de Thionville, le résume bien : “L’arrêt du pass Culture, pour nous c’est : 782 élèves de 8 établissements scolaires lésés, 73h de projet d’éducation artistique et culturelle pour les élèves qui tombent à l’eau. C’est des sujets importants tels que l’appartenance nationale, le racisme, la violence intrafamiliale, l’inceste et l’amnésie traumatique qui devaient être traités avec ces classes via les spectacles qu’ils avaient réservés. Nous voulions initier des discussions, libérer la parole sur certains tabous.” Les ambitions étaient donc bien plus larges que de simples représentations : il s’agit là de sensibilisation et de démocratisation culturelle. Ce combat, c’est celui de Rafika El Malagh, chargée des relations avec les publics au Nest, notamment les scolaires et les conservatoires, qui dénonce le piétinement du travail des professeurs “parfois contre vent, marée et hiérarchie”, autant que celui des intermittents “qui voient leurs heures diminuer et qui se retrouvent dans une grande précarité”. « L’arrêt du Pass Culture, pour nous c’est : 782 élèves de 8 établissements scolaires lésés » Rafika El Malagh, chargée des relations avec les publics au Nest Elle aussi croit d’abord à une rumeur, “en déplacement à Lyon, loin du bureau, de [son] ordinateur, de [ses] outils de travail”, avant de recevoir l’information de façon moins officieuse. L’hésitation persiste : “J’ai alerté mes collègues. nous avions un doute sur la véracité de l’information, c’était trop gros, trop abrupte et violent, impossible.” Mais, face à l’ampleur des risques, pas le choix, la menace était “trop [grosse] pour ne pas [la] prendre sérieusement”. Alors, de 15h à 20h, l’équipe du théâtre publie les offres pass Culture pour le restant de l’année scolaire, appelant “un à un les partenaires éducatifs”. Au final, 54% des offres n’ont pas été pourvues, faute de délais trop restreints “et/ou site non accessible car trop de connexions en même temps : 700 000 jeudi soir contre normalement 1000 par jour.” Rafika, encore sur les rotules, regrette “la dispersion de l’information ». « Rien n’était clair, officiel, au même moment pour tous et pour toutes, et le délai était bien trop court pour se retourner correctement.” Un communiqué de presse leur annonce le 05 février que le pass Culture devrait rouvrir pour permettre aux projets pré-réservés d’aboutir : “un mieux, mais de la casse tout de même…”, car rien ne conteste l’affirmation qui a tout embrasé : “Le plafond de dépenses fixé pour la période janvier-août 2025 (50 millions d’euros) ayant été atteint, les réservations pour de nouvelles offres sont suspendues. » Pour la chargée des relations avec le public, les questions se multiplient : “rouvre-t-on pass Culture sans argent ? Un arbitrage est-il prévu ? Sous quels critères ? Sans nous en informer ? Nous pressons-nous depuis jeudi dernier en vain ?” « Rien n’était clair, officiel, au même moment pour tous et pour toutes » Rafika El Malagh, chargée des relations avec les publics au Nest Les services civiques aussi ont reçu leur lot de surprises. Ce dispositif d’engagement citoyen permet chaque année à plus de 80 000 jeunes de 16 à 25 ans (30 pour les personnes en situation de handicap) d’exercer une mission de solidarité, de promotion de la culture, du sport ou encore de l’environnement. Cette mission peut durer entre 6 mois et un an et est indemnisée à hauteur d’un peu plus de 600 euros par mois, en grande majorité financé par l’État, ce qui permet à de nombreuses associations ou autres formes d’organisations aux ressources limitées d’obtenir une aide précieuse. Pour les jeunes, c’est l’occasion de se professionnaliser grâce à un encadrement à mi-chemin entre le stage et le salariat, tout en exerçant une activité d’intérêt publique. Ainsi, le service civique, c’est l’occasion de s’essayer au monde du travail et de se frayer une place dans la société. Pourtant, au soir du 30 janvier, tous les organismes d’accueil de services civiques ont reçu la consigne de suspendre toute entrée en mission à partir du 1er février, quand bien même un contrat aurait été saisi ou validé. Le site de saisie des contrats est depuis bloqué, pour une durée indéterminée, en attendant l’adoption du budget de l’État. “On nous coupe l’herbe sous le pied” Nasryme M., étudiante en projet de service civique Sur le site service-public.fr, la rubrique « vos droits » indique que “Vous pouvez vous engager jusqu’à la veille de votre 26e anniversaire” et que “Vous pouvez interrompre vos études supérieures pour effectuer votre engagement de service civique dans le cadre de votre période de césure.” C’est le cas de Nasryme M., 25 ans, qui a mis en pause ses études de droit pour s’engager en service civique dans un club de judo avant de dépasser l’âge limite. Cette opportunité s’est trouvée compromise lorsque, 2 jours après avoir signé son contrat, elle reçoit un SMS lui annonçant que son projet allait peut-être ne pas avoir lieu. Ce n’est que 3 jours plus tard qu’elle apprend l’annulation définitive de son contrat. L’étudiante déplore l’ascenseur émotionnel qu’elle a subi. “On nous coupe l’herbe sous le pied”, explique-t-elle. Ses projections s’effondrent : plus qu’un simple engagement, ce service civique était l’occasion de quitter le domicile familial, de “tenter de nouvelles choses” et de transitionner vers le monde professionnel dans un cadre plus familial. C’est le même constat que dépeint Inès G., étudiante en sciences du langage qui s’est retrouvée, après avoir déjà signé son contrat, dans un flou total, une incertitude pesante venant assombrir sa perspective pourtant réjouie d’un engagement au sein d’Heritage, une association intergénérationnelle d’aide humanitaire. Son service civique finalement annulé, elle accuse le coup des “montagnes russes”, dans lesquelles elle explique être passée de l’enthousiasme à la frustration sans oublier la colère. Inès observe aussi tristement le sort des membres de l’association qui avaient déjà fourni un “travail monstre en amont”. C’est donc une situation alarmante à laquelle les acteurs de la Culture et du service civique se trouvent confrontés : une incertitude qui persiste, un sentiment de confusion mêlé à de l’humiliation, teintée d’injustice. Des mois de travail piétinés et la menace de l’annulation des projets qui flotte toujours dans l’air. Tout cela en conséquence de décisions politiques brusques jugées malhonnêtes par ceux dont les espoirs, pourtant fondés, tombent en lambeaux. ©DIEGO ZÉBINA __ * Le prénom a été modifié Texte : Irène Feuvrier Pour aller plus loin : Les chiffres du service civique // Le service civique À lire aussi budget culture Les coupes budgétaires du pass Culture et du Service Civique 06 Fév 2025 Jeudi 30 janvier, des gels budgétaires ont frappé le Service Civique et le pass Culture collectif, budget alloué aux collèges et aux lycées pour la Culture. 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