< Tous les articles Drogue enquête L’héroïne ravage la Meuse Par Arthur Guillaumot 9 février 2025 À Verdun et dans la Meuse, le sport local, c’est le souvenir. Pourtant ici, tout le monde semble vouloir oublier : depuis le début des années 2000, l’héroïne se propage des petits villages aux agglomérations de ce territoire rural. Pourquoi ? À Commercy, le château Stanislas trop grand et trop beau ressemble à un vieux caprice, le vestige d’une fête ou personne n’est venu. Au bureau de tabac, les cartes postales souhaitent “Joyeuse retraite”. Francine est sur la terrasse d’un restaurant de la place “C’est plus le soir qu’ils sortent. Commercy est quand même touché. Ma nièce en est décédée, elle avait 40 ans.” Près de l’église, on rencontre Hervé, boucher à la retraite “J’ai vu mon frère tout bleu.” dit-il en montrant la rayure de sa veste azur. “Ça me rend malade. Moi j’y toucherai jamais.” Une voiture de police nous dépasse. Le mal est invisible, mais il est bien là, nous confirme Jean-Paul, à la terrasse du Café du Marché “Depuis des décennies, c’est comme ça, ça a toujours été un fléau. Je suis arrivé ici dans les années 90 et je suis tombé dedans.” L’homme a continué à travailler comme portier et a fini par s’en sortir tout seul. “Il m’a fallu entre 6 et 9 mois. Je prenais du subutex pour tenir. Oui, depuis 2 ans, il y a une recrudescence.” Jean-Paul, à la terrasse du Café du Marché, à Commercy (©NINON SOULIÉ) “S’il n’y a plus de consommateurs, il n’y a plus de revendeurs.” Delphine Moncuit est la nouvelle procureure de la République de Verdun Dans la Meuse, plus de 35% des saisies de drogues concernent l’héroïne, contre moins de 5% sur le reste du territoire. C’est sur ce chiffre que commence le dernier reportage en date sur le sujet, Héroïne, la défaite de Verdun, de Xavier Morvan, diffusé sur France 3 au printemps. Enième électrochoc dans une région qui s’est habituée à être présentée sous ce jour. “On vit dans un calme complet. On habite à Commercy depuis 30 ans et franchement on en a jamais vu.” se défendent les quatre amis d’une bande de retraités, qui dégustent une glace en terrasse. Delphine Moncuit est la nouvelle procureure de la République de Verdun depuis la rentrée et se veut claire “La justice lutte toujours. Il ne faut pas baisser les bras, c’est fondamental” et cherche les solutions, comme tout le monde “On doit développer les mesures d’accompagnement pour ceux qui consomment, car s’il n’y a plus de consommateurs, il n’y a plus de revendeurs.” (©NINON SOULIÉ) À la brasserie de Lorraine, à Saint-Mihiel, Sylvie, la gérante est catégorique “Aujourd’hui, 70% de la jeunesse à Saint-Mihiel y a touché au moins une fois. C’est logique, ici tout ferme : Essilor (ndlr : lunetterie, fermée en 1999), Kostka (ndlr : faïencerie, fermée en 2011), et bientôt ce sera Bonduelle (ndlr : là depuis 1997, fermeture attendue au printemps 2025).” L’aspect économique revient dans presque toutes les discussions, comme quand Mathias confie qu’ici on peut trouver de l’héroïne à 6 euros le gramme. La procureure de la République confirme “L’héroïne, c’est la drogue dure la moins chère, donc quand il y a des difficultés sociales et financières, et c’est le cas de la Meuse, ça marche. Il y a un phénomène dépressif, qui fait qu’on va vers des produits addictifs pour oublier.” Pourtant, toute la population semble touchée. Luc est catégorique “Ici, à Saint-Mihiel, faut pas croire, c’est aussi des gens aisés, pas que des pauvres gens.” Sur la terrasse d’une boulangerie, une gendarme en repos discute avec ses amies “L’héroïne est consommée par les blancs, dans les campagnes. On en voyait déjà il y a dix ans, mais là c’est sûr que c’est plus qu’avant.” Plus loin, une employée du collège de Saint-Mihiel nous confie que “Les dealers viennent devant, les chercher à la sortie.” et se montre inquiète “La kétamine commence à prendre… Bientôt ils braqueront le vétérinaire.” (©NINON SOULIÉ) “Aujourd’hui, 70% de la jeunesse à Saint-Mihiel y a touché au moins une fois. C’est logique, ici tout ferme.” Sylvie, gérante de la brasserie de Lorraine, à Saint-Mihiel Dans la Meuse, les séjours à l’hôpital psychiatrique pour consommation d’opiacés sont cinq fois supérieurs à la moyenne nationale. Nathalie Kraichette est infirmière et travaille pour le Caarud de Verdun. Elle nous fait promettre de dire aussi du bien de la Meuse. “L’héroïne n’est presque plus un problème. Mais les usagers sont des polyconsommateurs, comme partout ailleurs, on assiste à l’augmentation de la consommation de cocaïne et de crack.” Ce qu’elle pointe du doigt, comme d’autres, c’est un manque de professionnels. La Meuse est un désert médical où les médecins et les psychiatres se font rares. Devant le Caarud de la rue Saint-Sauveur, Michel-Salvatore-Mourad prend le soleil. “Moi j’en prends quand ça va bien, quand ça va pas, j’en prends pas. En ce moment je suis énervé.” “On l’appelle la rue des schmakés.” Deux jeunes filles, à Verdun (©NINON SOULIÉ) Dans la capitale mondiale de la paix, 23 points de deal ont été démantelés en deux ans. Le quartier Saint-Sauveur, près des quais, est particulièrement touché “On l’appelle la rue des schmakés. L’héroïne ? Il n’y a plus que ça à Verdun.” nous confie deux jeunes filles qui discutent près de l’eau. À la pharmacie du quartier, les prescriptions de médicaments de substitution ont augmenté. “Dans ce quartier, on en voit de plus en plus ces dernières années. Les consommateurs, je les vois vieillir, il y a vraiment tous les âges et toutes les classes sociales.” se livre une pharmacienne. La gérante du tabac confirme “On démantèle un point et il se disperse ailleurs. Je ne vois pas comment ça pourrait s’arrêter, c’est devenu tellement commun qu’on ne le voit plus.” Un peu plus loin sur les bords de Meuse, un escalier mène au bord de l’eau. L’air sent la douleur. Les seringues jonchent le sol et les murs sont maculés d’inscriptions et d’appels à l’aide. Dans tout le département, la population semble résignée et a appris à vivre avec l’héroïne. La procureure de la République confie ne jamais avoir connu de trafic centré sur ce produit jusqu’à son arrivée dans la Meuse “L’héroïne vient des pays du Nord et de l’Est et la situation géographique du département joue beaucoup. Il y a un cumul de critères : situation économique, sociale, manque d’emplois, et situation géographique.” Elle pointe la proximité avec les frontières belges et hollandaises. Dans la lumière du mois d’octobre, le territoire est calme, les collines sereines surplombent des vallées qui se déploient à perte de vue. Ici, les ressources ne manquent pas, la bonne volonté non plus, mais l’héroïne s’est imposée comme la maladie du souvenir et du manque d’avenir. __ Un champ de ruines — article tiré de Première Pluie magazine n°12, à découvir ici. Texte : Arthur Guillaumot Photos : Ninon Soulié Graphisme (dans le magazine) : Mathilde Petit À lire aussi Drogue enquête L’héroïne ravage la Meuse 09 Fév 2025 À Verdun et dans la Meuse, le sport local, c’est le souvenir. Pourtant ici, tout le monde semble vouloir oublier : depuis le début des années 2000, l’héroïne se propage des petits villages aux agglomérations de ce territoire rural. Pourquoi ? 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