Comment réagir quand une différence nous élève au lieu de nous faire obstacle ? Mythe de la méritocratie, conflit de légitimité, syndrome de l’imposteur, etc. Décryptage de la notion de discrimination positive, par la voix de celles et ceux qui en bénéficient. 

Le jour de son investiture, le 21 janvier 2025, Donald Trump a fait sauter par décret les mesures destinées à promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion. Dans l’un des pays les plus avancés en matière d’égalité des chances — “affirmative action”, le choc est retentissant. 

L’action affirmative à la française

En France, on est moins avancé sur la question, mais on a quand même nos deux trois fiertés en matière de politiques d’inclusivité. En 1981, on crée les Zones d’Éducation Prioritaires (ZEP), pour réduire les inégalités sur la réussite scolaire. La loi sur la parité de 2000 instaure un quota de genre sur les listes électorales pour inclure plus de femmes en politique. La France applique également un quota minimum de personnes en situation de handicap (6%) dans les entreprises d’au moins 20 salariés.

Il semble y avoir un rejet social de la discrimination positive

Dans le domaine des discriminations ethniques, le pays reste sur la défensive. Il est toujours interdit d’établir des statistiques basées sur l’origine raciale, impossible de souligner les manques ou besoins spécifiques des populations issues de l’immigration par exemple, souvent les premières lésées par des discriminations à l’embauche ou au logement.

L’expression qui fait peur

La discrimination positive reste la preuve qu’en France il ne suffit pas de mettre “positif” derrière une expression qui fait peur pour qu’elle fasse moins peur. Pourtant, la notion a tout pour plaire : le but louable de vouloir réduire les inégalités, en favorisant les personnes les plus lésées dans l’accès à l’emploi, à l’éducation où à des ressources.

C’est l’idée d’un “traitement de faveur”,  qui fait grincer les dents. Selon Baptiste Giraud, responsable communication de l’association pour plus de diversité dans les médias La Chance, une des explications à ce rejet du terme est qu’il irait contre l’idéal républicain universaliste du : “tout le monde est égal, tout le monde a les mêmes droits”. Le principe d’égalité devant la loi est une garantie constitutionnelle chère au pays. 

« Si on me prend pour les quotas, tant mieux »

Lina Fabour, 22 ans, élève à La Chance

Mais il semble aussi y avoir un rejet social de la discrimination positive. On craint d’avoir été choisi pour les mauvaises raisons, d’être juste un “quota”. C’est le cas de certains élèves de l’association La Chance, comme l’explique Baptiste Giraud. “On essaye de les rassurer : s’ils ont été choisis c’est qu’ils ont leur place ici. Mais beaucoup ont ce syndrome de l’imposteur dès le début de la prépa et certains le conserveront même très tard dans leur carrière journalistique.

Syndrome de l’imposteur

Lina Fabour, 22 ans, est élève à La Chance. En situation de handicap, elle raconte avoir été dissuadée par ses proches de le préciser dans son CV pour ne pas être sélectionnée “pour les quotas”. “Au début, je me suis dit que je n’avais pas envie d’être acceptée juste parce que je suis handicapée. Mais j’ai décidé de le mettre. Je préfère être moi-même jusqu’au bout. Si on me prend pour les quotas, tant mieux, c’est une opportunité pour moi d’intégrer, ça ne veut pas dire que je ne mérite pas.

« Si je ne suis pas là, toute une partie de la société n’est pas représentée »

Inès Bennacer, 22 ans, en école de journalisme après être passée par La Chance

Cette notion de méritocratie, mirage néolibéral, explique aussi pourquoi la discrimination positive peine à gagner crédit au yeux des Français·es. Elle peut être à l’origine de conflits de légitimité chez les personnes qui ont été bénéficiaires de ces passerelles. Mais d’autres décident de s’en servir au contraire comme une force. 

Inès Bennacer, 22 ans, est en école de journalisme après être passée par La Chance. Algéro-polonaise issue d’une famille de classe ouvrière, elle dit se refuser à devenir le cliché de “la fille issue de classe populaire qui ne se sent pas légitime”. Si elle a peur d’être un quota ? “Les quotas existent, il faut en avoir conscience mais ce n’est pas une raison pour se victimiser. Si je ne suis pas là, toute une partie de la société n’est pas représentée par les médias”.

Des mesures pansement

Comment éviter les schémas d’autocensure ? Pour Nadia Bahlouli, chercheuse dans le milieu très masculin de la tech et professeure à l’Université de Strasbourg, “Tant que les femmes ne s’envisagent pas comme des hommes dans le monde du travail, la discrimination positive est nécessaire”. La chercheuse pense elle-même avoir bénéficié de la discrimination positive pour accéder à son poste. Et alors ? Plus que des quotas, elle affirme qu’il faut multiplier les actions ciblées en direction des jeunes femmes pour casser les barrières mentales qui les freinent inconsciemment vers des postes plus importants. 

« Tant que les femmes ne s’envisagent pas comme des hommes dans le monde du travail, la discrimination positive est nécessaire »

Nadia Bahlouli, chercheuse et professeure à l’Université de Strasbourg

Les mesures de discrimination positive ont été conçue comme des actions temporaires pour lutter contre les inégalités, mais sans un changement structurel des instances qui discriminent négativement cette fois-ci, un groupe social par rapport à un autre, leur efficacité se résume à mettre un pansement sur la mer Méditerranée.

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La qualité des chances — article tiré de Première Pluie magazine n°13, à découvir ici.

Texte : Carol Burel

Graphisme (dans le magazine) : Mathilde Petit