Ces travaux sont issus d’un défi personnel : écrire une nouvelle en 24h. Tout a commencé quand j’ai raté mon train pour Lyon le 23 février à 15h27. J’ai décidé d’aller passer du temps en gare de Mâcon-Loché-TGV (7kms du centre ville). Pour me punir d’être en retard et pour avoir un moment à moi pour écrire. Je la sentais bien cette gare (je n’y avais jamais accosté). J’ai demandé à un panel (ma story privée insta) de me donner des mots à placer dans cette nouvelle. Voilà le résultat.

La liste des mots à placer :

Des tournesols / Jean de Florette / Poulpe / Fenêtres / Le printemps / Wesh / L’odeur du pain / Envie / ça croustille / équitation / Finistère / Le voyage d’une lettre à la poste / La fracture / Linkedin / Un objet bleu / Inéluctable /L’océan /Cornichons / Capote / Al Capone /Anguille / La tour du petit-sault / rester / creuser / Juxtaposition / Un enfant (avec l’innocence) / Une monstera / les retards / Porridge / Hyppolite / Interface / agnosie visuelle /Mon sac carhartt / Paroxysme / Bérénice / Oxymore / simiesque /Ventriloquant / feu /retard / piège / tracteur tondeuse / Chirac / fluo / rupture, mélodie / Redondant / Ratatouille / Le jean brut / Constitution / Guillaume Peltier  / Bad Dog Quincy / Chevalier / Saperlipopette / Bazar / anniversaire / Mâcon Loche TGV / Gwendoline / Poney / Toilettes Turques / Esquisse.

pas facile hein ? Il est 19h, on est le 24 février et voici le résultat :
_______________________________________________________

Je suis de nuit. C’est Bernard Malhère qui l’a dit. “T’es de nuit comme d’hab. À ton âge, moi aussi. Tout le temps. Je dormais jamais. Je baisais tout le temps.” Il aime bien dire qu’il baisait tout le temps, Bernard Malhère, maintenant qu’il est ventriloquant. Surtout quand son hernie lui tire dans le dos. C’est comme pour se persuader que c’est pas très grave d’avoir mal au dos. C’est un truc de chef de meute de chiens, se bloquer l’arrière train à force de monter sur les filles. 

Hyppolite m’a lâché au dernier moment. Il est au concert de Bad Dog Quincy. La star de l’été. En tournée partout. Il vient de chez nous. Un fils de bourge, qui raconte des tourments d’époque, comme dit la presse. Et pas que la presse locale hein. Tout le monde l’aime bien. Enfin, beaucoup plus que quand il s’appelait Guillaume Peltier et qu’il tuait des chats. Après tout ça fait parler de chez nous. C’est notre Jean de Florette provisoire. En attendant de trouver mieux. 

C’est vrai que Bad Dog Quincy est monté sur toutes les filles d’ici, comme Bernard Malhère. Il est même allé jusqu’à monter sur Bérénice. Ça a inéluctablement provoqué la rupture entre elle et moi. La fracture a été progressive, comme le trou d’un jean brut, qui s’étend sans cesse. Jusqu’où ? 

Bérénice est monitrice d’équitation. Elle a deux ans de plus que moi et elle sent bon. On ne sort pas ensemble mais on a dormi ensemble quatre fois. Sans que jamais il ne se passe rien. Mais j’aime cette fille. Je vais la chercher souvent quand elle a besoin, on fait les courses et ce genre de choses. On va à la tour du petit-sault, un endroit qu’elle connaît. Elle a perdu son permis au printemps. À cause de l’alcool, enfin le classique. Juste, c’est moi qui était tout le temps avec elle quand elle choisissait quelle marque de cornichons elle allait prendre, et quelle marque de papier toilette. J’ai hésité à prendre un psy pour lui raconter et voir si c’était moi ou si c’était vraiment émouvant de choisir du papier toilette. 

Parfois elle achetait des capotes, et là j’étais triste. Pendant des poignées de repas, tout prenait la texture du porridge dans mon bide. 

Et il y a trois semaines Hyppolite, qui bosse avec moi m’a montré une vidéo où on voit Bad Dog Quincy et Bérénice… Enfin bref. Je suis vraiment remonté. En plus sa musique est nulle. Il a les juste les cheveux fluos ce toquard. Bérénice aussi disait le mépriser. Ils étaient dans la même classe en sixième et lui il mangeait encore des verres de terre. 

J’ai essayé de trouver le numéro de téléphone d’Al Capone dans l’annuaire. Pas le vrai, celui du bar. Un espèce de chevalier bizarre, qui en échange de quelques billets pour parier sur les chevaux peut faire n’importe quel sale boulot. Ça va de faire la peinture d’une barrière jusqu’à tuer des taupes. C’est pour ça que je voulais l’appeler. Pour qu’il fasse le sale boulot. Mais j’ai juste trouvé une agence de voyage qui s’appelle Al’Cap’Horn. Et moi j’ai pas de vacances. 

J’ai pris ce petit boulot à la gare pour l’été. On doit nettoyer. Surtout les monstera deliciosa, les plantes qui rendent fous, qui prennent les poussières des gens tous les jours. Leurs microbes, leurs mots d’amours, leurs adieux, leur demain en mieux. Avec Hyppolite, qui a mon âge, on fait la nuit. On nettoie la nuit. Bernard Malhère et son équipe assurent le jour. Je supporte pas d’être trop longtemps avec Bernard Malhère. C’est un genre de bruto philosophe. Pardon pour l’oxymore. Ça m’irrite. 

  • “La vie c’est comme le voyage d’une lettre à La Poste ou l’itinéraire d’un train en retard. On y comprend rien mais ça ne se passe jamais comme prévu.” Il dit. Après il se racle la gorge. 

On arrive à 22h et on reste jusqu’à ce que tout soit ok, vers 2h. Avec le Covid ça prend plus de temps. Ce soir je couvre Hyppolite, qui me rejoindra après. Il me racontera ses problèmes, son agnosie visuelle et tout ça. Ce mec a mon âge mais par contre il a déjà une gosse. Gwendoline. Il en parle tout le temps. Pauvre enfant innocente. Qui n’a rien demandé, surtout pas de naître. Il veut la faire diagnostiquer à haut potentiel. Il dit qu’elle n’ira pas à l’école. Il me dit tout le temps “Wesh ma fille n’ira pas à l’école”. En me tapant super fort dans le dos et en se tordant de rire comme un duc. 

Moi je fais ce boulot parce que j’ai encore dû arrêter la fac. Cette fois-ci c’est parce qu’on a dû faire un cv et que j’ai mis sur le CV que j’avais été 2 x ministre sous Chirac. Je suis interdit de Fac. Donc en attendant de savoir ce que je vais avoir le droit de faire, je prends de la maille. Après, je ferai une thèse sur les retards ou alors j’écrirai une nouvelle Constitution sur Linkedin

Ce qu’il faut c’est ne pas laisser le piège se referme, comme dit Bernard Malhère. Le piège, c’est le boulot. Personne te fait chier, t’es bien. Pour nous ça fait un bon petit salaire. Mais vite ça devient juste. Hyppolite, il dit que ça fait juste, avec sa gamine. Alors il magouille un peu. Il planque des plaquettes de shit et d’autres saloperies que des mecs viennent récupérer avant la fermeture de la gare, dans les toilettes turques. Ils laissent une liasse. Même Bernard Malhère est au courant. Et moi je dois rien dire. En échange, Hyppolite me raconte les histoires de sa môme surdouée. 

Mais ce soir c’est le concert de Bad Dog Quincy, quelque part dans cette ville de traîtres. Toute la ville y est. Même les vieux sont aux fenêtres. Tout l’argent d’anniversaires caché sous tous les oreillers est irrémédiablement converti en bière à la buvette. 

Je suis seul dans la gare, mais c’était pas comme ça tout à l’heure. La gare a vomi des files de gens couleur ratatouille. Venus des alentours acclamer le naze à tête de poulpe. Les quais débordaient de fans, de vacanciers venus sur les conseils de l’Office du tourisme de l’autre ville. 

Je passe la machine à laver le sol. Un genre de tracteur tondeuse aquatique. 

À cette heure-ci, la juxtaposition précise des publicités rythme le temps et l’espace. Il n’y a pas de nuit sur l’interface de la machine à faire défiler des images de rêve, des possibilités. La vie semble maintenant imprimée par le bruit des images qui se relèvent. Comme des tours de garde. Les publicités semblent effectivement se réveiller brutalement, à intervalles réguliers. Des tournesols pour les mélancolies de la fin de l’été, des océans bardés de poulpes et d’anguilles sur la côte pour les volontaires. On peut tout vous offrir. On a tous les Finistere qu’il vous faut pour vos fin de semaines tendres, des plaines pour vos ruptures. 

À la fin les promesses c’est redondant

  • “La pub, c’est juste une façon de creuser le futur. Une esquisse du mieux qui coûte cher.” Il dit Bernard Malhère, le poète de la gare. 

Toutes les demi-heure, un train défonce le silence des voies. Il s’applique à prouver à notre gare de toutes ses forces qu’il ne va jamais s’arrêter là. 

Est-ce que je suis en train de préparer demain, ou est-ce que je range hier ? Je sais jamais. Est-ce que ça vaut le coup de laver, puisque demain ça sera plein de microbes à nouveau ? Quand je commence à me poser cette question c’est que la nuit a tué tout le reste. Vers minuit je sors tout le temps pour entendre la ville dire qu’il est minuit. La gare s’appelle Mâcon-Loché-TGV (7kms du centre ville). On sent la distance avec le centre, comme je sens tout le temps quand il va être minuit. Truc de la nuit. Comme à 2h je commence à sentir l’odeur du pain. J’ai jamais beaucoup dormi. Ma mère dit qu’on dirait que j’ai peur de rater un truc. 

7 kms du centre-ville. La nuit a l’odeur du bazar, la mélodie du bordel. Une vraie nuit d’été. Quand tu sens que tout peut prendre feu. Une nuit pour de vrai, avec de l’enjeu. Dans mon uniforme impeccable, je transpire proprement.  

Juste après ma pause (je ne fume pas), mon Hyppolite arrive comme un fou. 

  • “Bad Dog Quincy s’est fait flinguer sur scène. Tu sais par qui ? Saperlipopette. Tu pourras jamais deviner. Al Capone ? Nan mais t’y crois ? T’y crois toi ? Parce que Bad Dog Quincy est monté sur sa copine ou sur son poney enfin je sais pas. Dans quel monde va grandir ma fille ?” 

Il est complètement arraché. Et il est venu en voiture évidemment. Simiesque comme toujours, mon Hyppolite. Quand il est comme ça, il lui faut son yoyo bleu, pour se clamer. Dans sa nuit tonitruante, venu arranger la mienne morne. J’ai raté le grand évènement. 
C’est à ce moment-là que je suis allé aux toilettes. J’ai remplacé la liasse par une pile de prospectus. J’ai pris la liasse du jour, je l’ai fourré dans mon sac carhartt et je me suis tiré. Cette fournée c’était la mienne. J’allais quand-même pas rester. Je suis passé chez le boulanger qui commençait sa nuit. J’ai eu envie que ça croustille. Envie d’être tranquille. On va partir, avec Bérénice, dans 7 kilomètres on s’en va.

______

Arthur Guiomo

Enorme merci à ma commu insta on l’a fait gros amour on va le refaire oki ?<3

Photo d’illustration : Diego Zébina.

Mon recueil de nouvelles sort en juin.