Laurence Cordier adapte Antigone de Sophocle au Théâtre de la Manufacture. Face à ce texte antique mais toujours actuel, elle opte pour une mise en scène funèbre et statique. Le propos incandescent ne parvient pas à résonner, faute de rythme et de choix scéniques.

Photo issue de répétition (©VINCENT ZOBLER)

Antigone est la fille d’Œdipe et Jocaste. Ses deux frères, Étéocle et Polynice, se sont entretués pour le contrôle de la ville de Thèbes après la mort de leur père. Leur oncle Créon a pris la suite du règne et refuse que l’on enterre Polynice, considéré comme un traitre. Il laisse son cadavre sans sépulture aux chiens et aux oiseaux. Un sort qu’Antigone refuse. Malgré l’interdit, elle se rebelle contre son roi.

La pièce débute sous une lumière noire envahissante, signe de mauvaise augure. Des points lumineux apparaissent mais le macabre est déjà là. La scénographie, imaginée et dessinée par Marine Dillard, souligne un paysage en ruines, soumis à tragédie qu’a fait subir Œdipe aux siens. Dans cette terre délabrée, Antigone s’avance et explique son projet à sa soeur Ismène. Elle offrira un tombeau à son frère Polynice quoi qu’il en coûte.

Photo issue de répétition (©VINCENT ZOBLER)

Le texte d’Antigone est une suite de duels, d’affrontements d’idées. Chaque personnage y défend sa vision de la justice, de la loi, et du sort accordé aux Hommes. Tous·tes y mettent leur vie en jeu. Pourtant, ici, la mise en scène ne propose pas plus qu’une succession de déclamations.

Les corps n’interagissent pas, ils restent statiques, collés à leur place comme sur un tableau. Chaque comédien·ne semble manquer de profondeur et d’intensité. La danse macabre qu’ils sont censés jouer ne se lance pas. Antigone, figée, ne donne même pas l’impression de se rebeller. Face à Créon, elle parait terrassée. Elle manque de puissance, de croyance, et de toute la résistance qui fait sa force.

Photo issue de répétition (©VINCENT ZOBLER)

En de rares moments, les corps jouent et donnent des sursauts à la pièce. Lorsque Créon fait face à son fils Hémon, amant d’Antigone, il l’agrippe et le plaque au sol. Mais les deux finissent par se libérer et la violence disparait en un souffle, rien n’est conservé, comme si l’action n’avait pas eu d’impact. Antigone, elle, prend seulement vie face à son sort, lorsqu’elle se rappelle qu’elle ne verra plus le soleil. Créon, lui aussi lors de ses derniers souffles, marque par son corps toute la tragédie qu’il a engendré, enfin. Le garde, annonciateur du crime d’Antigone et touche comique de Sophocle, parvient à ramener de la vie sur le plateau au début de la pièce. Ce garde a peur, et on le voit, il craint son roi.

Photo issue de répétition (©VINCENT ZOBLER)

Tous les autres personnages devraient subir cette même crainte, tout au long du récit. Les dieux règnent au-dessus et en-dessous d’eux, et c’est leur pouvoir qui les pousse à agir. Antigone se révolte car elle préfère respecter la loi divine que la loi d’un homme. Créon se remet en question face à leur jugement et aux prédictions du devin. Pourtant, dans la mise en scène de Laurence Cordier, ces personnages figés restent intacts. L’auguste présence des dieux ne se ressent pas, elle s’évoque et s’évapore.

Photo issue de répétition (©VINCENT ZOBLER)

Le chœur et le coryphée (chef de choeur) sont interprétés par un seul acteur. Et face au texte de Sophocle, il a du mal à remplir son rôle de narrateur. Dans Antigone, le chœur recontextualise l’histoire des Labdacides (dynastie royale de Thèbes) face à d’autres histoires de la mythologie grecque. Sauf que 2 500 ans plus tard, ces histoires ne peuvent nous parvenir telles quelles, ou elles nous désorientent plus qu’elles nous aident. Et le narrateur, censé apporter des respirations, finit par entraver le souffle de la pièce.

Photo issue de répétition (©VINCENT ZOBLER)

Laurence Cordier se défend avec le postulat de ne pas vouloir « moderniser » le texte, mais ici elle perd tout ce qui peut le faire résonner auprès d’un public large. Les personnages semblent utiliser les spectateur·rices comme les citoyen·nes de Thèbes, mais le ressenti reste vague, il ne s’impose pas. Le décor funeste ne fait pas personnage, tout le contexte reste en retrait — c’est pourtant lui qui donne sa puissance aux mots. Cet Antigone est dans une boule à neige, coincé dans des tableaux macabres, certes beaux, mais inertes.

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Au Théâtre de la Manufacture jusqu’à samedi 16 novembre. Les dates sont complètes mais il est possible d’être sur liste d’attente dès 1h avant le spectacle. Toutes les infos ici.

Tournée : 

21 novembre 2024 : Eu (76) – Théâtre du Château

28 et 29 novembre 2024 : Antony (92) – L’Azimut

03 décembre 2024 : Chartres (28) – Théâtre de Chartres

05 et 06 décembre 2024 : Bourges (18) – Maison de la Culture

04 février 2025 : Saintes (17) – Gallia Théâtre Cinéma

Durée : 1h45

compagnie La Course Folle
Texte Sophocle
Traduction Irène Bonnaud et Malika Hammou
Avec Aline Le Berre, Noella Ngilinshuti Ntambara, Mama Bouras, Mounir Margoum et Fabien Orcier
Mise en scène Laurence Cordier
Dramaturgie David D’Aquaro
Scénographie Marine Dillard
Création sonore Nicolas Daussy
Création lumières Anne Vaglios
Costumes Gwendoline Bouget
Regards chorégraphiques Anne Emmanuelle Deroo
Assitante à la mise en scène Léa Parravicini
Régie générale Yvan Bernardet
Régie lumière Jessica Manneveau
Accompagnement administratif Isabelle Vignaud / Un je-ne-sais-quoi

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Critique : Joshua Thomassin

Photos : Vincent Zobler