Début septembre, la rentrée littéraire bat son plein, les salons commencent, les premières listes pour les prix ont été publiées. Tout se passait bien, et la profession pensait passer un pré-automne tranquille. Jusqu’à ce qu’une polémique éclate. 

Anne Vignot est maire de Besançon depuis 2020. Pour sa dixième édition, le festival Livres dans la Boucle devait marquer un temps fort de l’année culturelle dans la ville de Victor Hugo. Le 04 septembre, en décidant de déprogrammer la venue de l’essayiste Raphaël Enthoven, la maire a pris une position forte et logique. Comment faire autrement, alors que celui qui est désormais un habitué des tribunes d’extrême droite et des propos abjects déclarait le 15 août dernier sur X : « Il n’y a aucun journaliste à Gaza. Uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse. » 

Si cette phrase dit à elle seule le négationnisme lâche de l’homme face au génocide perpétré par l’État hébreu, elle dit aussi l’incapacité de « l’auteur » à comprendre de ce qui se joue là-bas en matière de récit. Il faudrait une légitimité pour raconter. Il faudrait être occidental pour bien comprendre la situation à Gaza. Il faudrait être Bernard-Henri Lévy pour faire du journalisme avec un peu de nuance. 

En France, la littérature a eu un sursaut de dignité au printemps, quand 300 auteurs et autrices ont signé une tribune à l’initiative de l’écrivain franco-palestinien Karim Kattan : « Nous ne pouvons plus nous contenter du mot « horreur », il faut aujourd’hui nommer le « génocide » à Gaza ». Plusieurs prix Nobel et encore plus de prix Goncourt, du bon côté de l’Histoire. À Besançon, David Foenkinos, président d’honneur du festival cette année, a choisi son camp et a menacé de ne pas participer au salon si Raphaël Enthoven n’était pas réintégré à la programmation. Chose qu’il a réussi à obtenir. Lundi, la mairie a dû reculer et a cédé à la pression médiatique et politique. 

Si cette phrase dit à elle seule le négationnisme lâche de l’homme face au génocide perpetré par l’état hébreu, elle dit aussi l’incapacité de « l’auteur » à comprendre de ce qui se joue à Gaza en matière de récit.

C’est donc au Livre sur la Place de ne pas manquer son rendez-vous avec l’Histoire. L’événement littéraire, qui se tient comme chaque année au début du mois de septembre à Nancy, fait figure de rendez-vous incontournable pour la profession. Comme souvent, l’essayiste de droite fait partie des invités. Il doit être déprogrammé. Ne serait-ce que parce qu’il n’est pas auteur. La « carrière » de Raphaël Enthoven n’est qu’une succession de bavardages inutiles que ne goûtent que celles et ceux qui s’endorment devant CNews. Un auteur comprend le monde dans lequel il évolue. Dire ce qu’il a dit, c’est prouver le contraire. Et puis de toute façon, l’époque de la vénération aveugle de Céline est terminée. On ne peut plus tolérer que de tels propos puissent être tenus sans conséquence.

Selon le décompte de Reporters sans frontières, plus de 210 journalistes ont été tué·es depuis le début du génocide perpétré par l’armée israélienne à Gaza. Si Raphaël Enthoven a déclaré en début de semaine qu’il regrettait sa phrase « malheureuse », et a annoncé qu’il se rendrait bien à Besançon pour s’expliquer : tout est déjà dit. Soit il pense vraiment ce qu’il a écrit et se dédit pour pouvoir passer entre les gouttes, soit il écrit sans comprendre le sens des mots qu’il porte, pour le plaisir des polémiques, et pour vendre ses écrits pathétiques à celles et ceux que le négationnisme excite.

Dans son édito pour l’évènement qui se tient ce week-end, Sarah Polacci, commissaire générale du Livre sur la Place, écrit que « C’est l’une des forces des écrivains, disais-je : résister, par les mots, à l’oubli et à la tyrannie ». Mais à quoi résiste Raphaël Enthoven quand il écrit qu’il n’y a pas de journalistes à Gaza ? À la vérité ? À l’information ? À l’Histoire ? À l’Humanité. Il doit être déprogrammé.

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Arthur Guillaumot

Photo de Une : Joel Saget / AFP