Un petit village de Haute-Marne, un Airbnb à Nancy, deux travailleuses du sexe chinoises et un maire retrouvé mort. Que s’est-il passé le 11 novembre 2018 ?

©VALENTINE POULET

Vivre à Germisay, c’est faire le choix de la tranquillité. Il ne s’y passe jamais rien — ou presque. Lové entre les champs vallonnés et les forêts de Haute-Marne, la commune rurale compte une seule rue, le supermarché le plus proche est à une vingtaine de kilomètres, l’école ouverte en 1692 a fermé en 1957 et le dernier café du village a mis la clef sous la porte il y a bien longtemps. Seules quelques éoliennes au loin viennent casser la ligne d’horizon. 

Ce jour-là, le maire avait rendez-vous au numéro 33.

Le 11 novembre 2018, panique ! En ce jour de commémoration de l’Armistice, Xavier Fournier, l’édile de Germisay est porté disparu depuis le début de la matinée. L’hommage au Soldat inconnu et l’allumage de la flamme qui reviennent habituellement au porteur de l’écharpe tricolore risquent de s’en voir perturbés. Sur les dix-sept habitants que compte la sixième plus petite commune de Haute-Marne où tout le monde se connaît, seul un voisin l’a aperçu quitter Germisay en voiture aux alentours de 9h15. Sans nouvelles de lui, sa femme et ses filles finissent par signaler sa disparition aux autorités. Enquête oblige : l’historique de l’ordinateur du maire et sa téléphonie sont passés au crible. Ces diligences permettent de découvrir que son portable est géolocalisé à Nancy, ainsi qu’une adresse et un itinéraire, indiquant comment rejoindre la place de la Carrière, qui jouxte la place Stanislas. Ce jour-là, le maire avait rendez-vous au numéro 33. 

« Urgence, vous dépêchez, vous appelez 15 ou 18, client va mourir. »

Ce n’est qu’en début de soirée que les enquêteurs pénètrent à l’intérieur de l’appartement en rez-de-chaussée de cet immeuble cossu. Dans la chambre, Xavier Fournier est là, étendu sur le sol à côté du lit, habillé, la tête relevée par un oreiller. L’édile est veillé par du gel lubrifiant et un préservatif encore emballé. Après investigations auprès de la propriétaire, il s’avère que le logement est loué via Airbnb depuis début novembre par deux prostituées chinoises d’une cinquantaine d’années, Yen et sa copine Guomei. Le dernier message que l’« hôte » montrait avoir reçu de cette dernière indiquait « Urgence, vous dépêchez, vous appelez 15 ou 18, client va mourir. » 

©VALENTINE POULET

Si l’intention de la péripatéticienne chinoise était louable, son message envoyé plus de sept heures après avoir quitté l’appartement de Nancy ne pouvait sauver Xavier Fournier qui avait décidé ce matin-là de ne pas prendre ses bêtabloquants. Prescrits en raison de l’infarctus qu’il avait fait en 2017, ces médicaments avaient malheureusement pour conséquence une absence d’érection. L’édile souhaitait sûrement ne pas dépenser vainement les 130 euros qu’il a retiré plus tôt et que lui réclamait Guomei pour sa prestation coquine. 

Un massage en Thaïlande 

Après avoir fui en direction de Paris, où elle était hébergée au Lotus Bus (une association pour les travailleuses du sexe chinoises), consciencieuse, Guomei était revenue le lendemain à Nancy par le train. Direction le commissariat. Aux enquêteurs, elle avait expliqué que Xavier Fournier était arrivé vers 11h, le petit cachotier ayant réservé une prestation d’une heure avec les deux femmes. Alors qu’elles comptaient ses billets dans le salon, elles avaient entendu « un gros boum » : dans la chambre, le client était par terre et clignait des yeux sans parler. Guomei avait songé à une carence en fer et lui avait prodigué massages et points d’acupuncture en dessous du nez et sur les tempes. Ignorant qu’elles avaient à faire au maire de Germisay, les deux Asiatiques avaient alors cru que leur client faisait semblant de faire un malaise pour les voler — comme cela leur était déjà arrivé par le passé — et avaient pris la poudre d’escampette, à bord du TGV Nancy-Paris. Dans les locaux du commissariat de Nancy, au 38 Boulevard Lobau, la Chinoise assurait avoir “fait tout ce qu’elle pouvait” pour le sauver. 

©VALENTINE POULET

Si le 11 novembre 2018, la famille Fournier et la mairie de Germisay ont perdu en même temps leur « pilier », le sort de Guomei a de quoi arracher quelques larmes car cette affaire aussi cocasse soit-elle, est aussi celle de la misère sociale. Obligée de quitter la Chine après le décès de son mari pour faire vivre sa famille — dont elle était aussi le pilier — elle fut employée un temps comme nounou dans les beaux quartiers de Paris, jusqu’à ce qu’on la congédie sans ménagement en raison d’une maladie des yeux, la forçant à se prostituer depuis lors. Jugée par le tribunal correctionnel de Nancy pour « non assistance à personne en danger » sur l’édile de Germisay, Guomei, 57 ans, a écopé de 18 mois d’emprisonnement avec sursis. 

De son vivant, Xavier Fournier avait un fantasme : se rendre en Thaïlande pour obtenir un massage avec finition. Sans doute jamais n’a-t-il pensé qu’en le réalisant, il passerait l’arme à gauche un jour de commémoration.

__

Malaise avec finition — article tiré de Première Pluie magazine n°15, à découvir ici.

Texte : Clara Hesse

Photos : Valentine Poulet

Graphisme (dans le magazine) : Valentine Poulet