Même s’il est toujours très attaché à Lunéville, sa ville d’origine, Théo Curin ne tient pas en place. Amputé des quatre membres à l’âge de 6 ans, ça ne l’a pas empêché d’enchaîner les défis à la nage ou sur un vélo. Conférencier, mannequin, chroniqueur télé, acteur, plusieurs fois médaillé aux Championnats du monde paralympiques, à 24 ans, le lorrain se réinvente et se dépasse en permanence. 

Un peu moins de la moitié des eaux du lac Titicaca proviennent de la fonte des glaciers alentour, l’autre partie est une appellation d’origine contrôlée “pluie des Andes”. En novembre 2021, Théo Curin réussit la traversée de cette vaste étendue considérée comme le plus haut lac navigable du monde et le berceau de la civilisation Inca. On est à 3800 mètres d’altitude, la traversée fait 108 kilomètres, l’eau est à 12°C. Comment le jeune homme qui a grandi à Rehainviller (54) s’est-il retrouvé dans ces eaux qui servent de frontière au Pérou et à la Bolivie ? 

Théo a 6 ans quand il contracte une méningite qui prend une forme agressive et se termine par l’amputation de ses quatre membres. “Le premier week-end, ma mère m’avait fait mon plat préféré, des spaghettis bolognaise. J’en ai mis partout.” Dans la famille Curin, on choisit de rire. Le premier grand défi de sa vie sera donc une rééducation de deux ans, qui aboutit avec un heureux dénouement puisque des prothèses lui permettent de manger et de marcher. Dans la foulée, il rencontre Philippe Croizon, lui aussi quadri-amputé, qui allait réussir la traversée de la Manche à la nage en 2010. Théo a la phobie de l’eau, mais son nouveau mentor le pousse à commencer la natation.

Le plein de médailles

Dans les bassins, Théo Curin évolue dans la catégorie S5, et est vite identifié comme l’un des grands espoirs de la natation handisport française. À 13 ans, il devient pensionnaire du pôle de l’équipe de France de natation à Vichy et concourt pour ses premiers championnats nationaux. En 2015, au championnat du monde à Glasgow, il se contente de la médaille en chocolat en 200m nage libre. Sur la même distance, l’année suivante, il goûte à son premier podium avec une troisième place au Championnat d’Europe au Portugal. 2016 est une année olympique et lors des Championnats de France, il bat son record sur 200m nage libre et valide son billet pour les Jeux Paralympiques de Rio où il est le benjamin de l’équipe de France de natation. Comme en Ecosse, il termine au pied du podium sur sa distance de prédilection. L’expérience lui donne la force de faire encore mieux l’année suivante aux mondiaux de Mexico où il rafle deux médailles d’argent en 100m et 200m nage libre. Deux ans plus tard, les championnats du monde 2019 à Londres sont l’occasion d’une médaille de bronze en 200m nage libre. 

De nouveaux défis

Dès 2018, le jeune homme s’implique pour la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, attribués à la France un an plus tôt. Il intègre la commission des athlètes, présidée par le biathlète Martin Fourcade et composée de 18 sportif·ves. Au fil du temps, il va s’éloigner de plus en plus des bassins et des lignes d’eau pour goûter le grand large avec des défis intenses et les plateaux de tournage pour des formats multiples. 

Alors que le Covid se propage sur la planète, Théo se confine au domicile parental de Rehainviller. C’est là qu’il apprend que les Jeux Olympiques de Tokyo seront reportés et que les classification de handicap dans sa catégorie évoluent. S’il veut concourir, il doit se mesurer à des athlètes ayant leurs deux mains. Il arrête alors son entraînement pour se tourner vers d’autres défis. Aux Sables d’Olonne en septembre 2020, 6h53min après son départ, il devient le premier athlète quadri amputé à terminer un half-Ironman (1,9km de nage, 90km sur un vélo spécialement conçu en Lorraine, 21,1km de course à pied). 

En eau libre

Fort de ce nouveau goût de l’air libre, Théo Curin invite l’ancienne nageuse Malia Metella, médaillée d’argent sur 50m nage libre aux JO d’Athènes en 2004 et l’éco-aventurier Matthieu Witvoet pour une aventure collective qui les emmènera en Amérique du Sud, à la traversée du lac Titicaca. Le trio effectue un stage de survie à Tignes, un autre en altitude à Font-Romeu pour relever ce défi inédit. La traversée du lac se fait en totale autonomie, ce qui implique de devoir tracter un radeau entièrement conçu à partir de déchets recyclés, qui pèse plus de 400 kilos. 10 jours après leur départ, les trois protagonistes sont les premier·es à réaliser la traversée du lac à la nage et sans assistance. 

L’année suivante, à la même période, Théo est le premier athlète handisport à boucler les 57km du marathon aquatique qui relie Santa Fe et Coronda en Argentine. 8h52 de nage dans une des trois courses les plus redoutées du monde. 2024 est l’année d’un nouveau défi, qui emmène Théo Curin en Afrique du Sud avec le journaliste globe-trotter d’Echappées Belles, Ismaël Khelifa. Ensemble, ils nagent 27 kilomètres autour de Robben Island, où l’ancien président Nelson Mandela, qui a inspiré le nom du défi, a été emprisonné pendant 27 ans. Le lendemain, à vélo, après 100 kilomètres de vélo autour du Cap, ils rejoignent la township de Langa, où ils participent à la finalisation d’un espace sportif et artistique destiné aux enfants de ce quartier défavorisé. 

Acteur et modèle 

Quelques semaines seulement après avoir traversé le lac Titicaca, en décembre 2021, Théo fait son apparition dans le feuilleton Plus belle la vie, sur France 3 où il reste à l’écran pour une trentaine d’épisodes. Pas si étonnant pour celui qui avait rejoint le casting de la série Vestiaires sur France 2 en 2017. En 2022, il tient le premier rôle du téléfilm Handigang avec Alessandra Sublet. Le jeune homme aime la télévision, où il est devenu chroniqueur du Magazine de la santé, sur France 5, dès 2019. En 2023, dans la perspective des Jeux Olympiques, il rejoint le dispositif Aux Jeux, citoyens ! de France TV et dialogue  avec des athlètes tout en conduisant, dans Théo le taxi. Mais le prime, pour lui, c’est quand en 2022 il participe pour la première fois à Fort Boyard : un rêve d’enfant, qui se réalise une deuxième fois l’été suivant. 

Théo n’est pas seulement comédien, en 2019, il est également choisi pour être l’un des visages de la marque de cosmétique Biotherm (L’Oréal). En 2022, c’est Lacoste qui s’associe à Théo Curin et fait de lui le premier athlète handisport au monde à avoir une collection à son nom et destinée aux valides et aux handicapé·es, grâce à des systèmes de pression ou de liens pour remonter les manches. Le 7 mars 2024 a encore marqué une première dans la carrière de Théo Curin. Sa statue de cire a pris place parmi les 250 autres du musée Grévin, faisant de lui le premier athlète handisport dans les allées du musée parisien. Et le lunévillois n’a que 24 ans, autant dire que nous ne sommes qu’au début de ses aventures en eau libre.

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Cet article a été publié dans le numéro 10 de Première Pluie magazine, paru le 24 mai 2024. À retrouver ici.

Texte : Arthur Guillaumot

Photo à la Une : Luc Percival