Avant le confinement, les gens achetaient La Peste, d’Albert Camus. Comme un talisman. La Littérature pour se protéger. Comme quand Paris est une fête, d’Ernest Hemingway était devenu un symbole après le 13 novembre. C’est réchauffant de voir les gens se retrouver dans des textes, quand ils sont fragiles. Maintenant, vu les circonstances, on peut un peu penser à Huis-Clos, de Jean-Paul Sartre. Et cette fameuse sentence : “L’enfer, c’est les autres.”

Mais c’est d’un autre texte dont je veux vous parler. Un souvenir de fac. Le genre qu’on prend, qu’on lit, dont on comprend l’importance sans en ressentir le vif. Posé, imposant, il attend. Et là, maintenant j’ai été frappé. Le livre que je vous recommande en ces drôles de jours : Le Décaméron, de Boccace, rédigé entre 1349 et 1353.

7 jeunes filles et 3 jeunes hommes se retirent de Florence pour échapper à l’épidémie de peste noire qui frappe la ville en 1348. En fait Boccace a inventé le confinement. 

Et ils se racontent des histoires. Une histoire par personne et par jour, pour passer le temps du “confinement”. Le Décaméron se décompose en “journées”. D’ailleurs, en grec ancien, ça veut tout simplement dire “Le Livre des 10 journées”. 101 histoires en tout. Les histoires qu’on se raconte et celles qu’on écrit, comme un remède. 

Où l’on parle de ceux qui, par leur ingéniosité, ont obtenu ce qu’ils voulaient, ou ont retrouvé ce qu’ils avaient perdu.

Le thème des histoires, le 3ème jour, alors que Neifile est reine

Chaque jour, une reine ou un roi donne un thème. Par exemple le 4ème jour, Philostrate est roi et donne ce thème : “Où l’on parle de ceux qui eurent des amours se terminant par une fin tragique.” Le 8ème jour alors que Laurette est reine, le thème est : ”Où l’on parle des tours que les femmes jouent aux hommes et vice versa, ou que les hommes se jouent entre eux.”

Les histoires mettent en scène une multitude de personnages, contemporains ou historiques et une grande variété de genres, qui vont du tragique au comique en passant par l’érotique. Boccace, qui se remet d’une peine de coeur, consacre son recueil au plaisir d’un principalement lectorat féminin. 

Lui-même florentin, Boccace est marqué par la peste noire qui sévit en 1348. Dans une longue introduction à la première journée, il décrit les ravages de la pandémie qui frappa Florence : 

Combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux, que non seulement n’importe qui, mais Galien,  Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis, et le soir venu soupèrent en l’autre monde avec leurs trépassés.

Boccace, Le Décaméron, Première journée

Le Décaméron est un recueil de nouvelles absolument majeur dans la Littérature mondiale. Déjà parce qu’il participe à fonder le genre de la nouvelle. Tout simplement. En plus, et c’est une prouesse pour l’époque, le recueil témoigne d’une grande variété de genres. Et puis, c’est le texte qui fonde la prose italienne. Pour finir, Boccace y théorise le confinement. Trop fort Boccace. Allez, restez chez vous, et racontez-vous des histoires. Ou mieux : racontez-en.


Arthur Guillaumot / Couverture : Représentation du Décaméron de Boccace par John William Waterhouse (huile sur toile, 1916, conservée au Musées nationaux de Liverpool).