François Mitterrand a été élu il y a 40 ans. Le 10 mai 1981. Un “Grand Soir”. Une liesse collective, dont on se rappelle encore, lit-on. De quoi délimiter une Génération Mitterrand. Nous, on ne peut pas comprendre. Notre génération n’a pas eu de Grand Soir. Explications.

Avertissement : Cette théorie englobe les personnes qui se reconnaissent dans le critère d’âge suivant : entre 12 et 27 ans actuellement. Une période de 15 ans, volontairement plus large que la définition de Génération Z (personnes nées entre 1997 et 2010). Et toutes celles et ceux qui pourront se reconnaître dans cette théorie. 

Le 10 mai 1981, avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, le peuple de gauche et la jeunesse de France se tombaient dans les bras et célébraient une première fois. Le premier Président de gauche de la Vème République. Avant les désillusions. Quand François Hollande l’a emporté en 2012… Qui se souvient du jour ? La liesse battait moins fort. L’énergie lucide des “deuxièmes fois”. Les déceptions étaient passées par là. 

Il en va précisément de même avec la Coupe du Monde de Football. Le 12 juillet 1998, on se souvient d’une joie commune, on raconte une liesse collective. “Le jour parfait”. Des héros à partager. Un triomphe national. La première étoile, tellement attendue, qui s’était refusée, souvent, de peu. Je n’ai pas ce souvenir à propos de la deuxième, en 2018. Je me rappelle du jour suivant. Des images de gens nus, ivres, violents, des témoignages de femmes agressées pendant les célébrations, dans la cohue. 20 ans plus tard, la douleur d’après le réveil. 

Mai 1968 a aussi été le moment du Grand Soir qu’attendaient la jeunesse et une large partie de la population qui espérait “changer la vie” et l’améliorer. À l’époque, on lisait “Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi.” ou “Soyez réalistes, demandez l’impossible.” dans les rues. Un moment d’espoir, qui n’a pas duré, mais qui a existé, et qui a suffit à faire naître un imaginaire commun. Est-ce que le monde a changé ? Un peu. Pas tellement, mais il y a des progrès à l’échelle de la société. Des idées dans auxquelles une génération a pu s’identifier.

Aujourd’hui, le refrain est partout sur les plateaux, la chanson a un titre : Identité. Il faudrait tout définir et tout délimiter puis se reconnaître dans des groupes. Tout nommer. Ils se ressemblent. Ils ont des choses en commun. Des souvenirs. Qu’ils soient de gauche ou de droite, ils ont connu leurs grands soirs. Une époque où tout était à faire. Ils voulaient changer le monde. Ils ont échoué. Nous devons maintenant le sauver. Et nous n’avons pas le choix. 

Notre génération n’a pas eu son Grand Soir. Que des soirs tristes. Charlie. Le Bataclan. La promenade des anglais. Et d’autres. Le terrorisme a marqué notre époque au plus ferme de ses espoirs, et de ses identités. Une génération 2015. Mais comment se reconnaître, et se construire, sur les tristesses communes. Ainsi, il n’y a pas eu de transition entre les attentats et le Covid. Nous avons vécu presque constamment sous l’État d’urgence. L’habitude des limites. 

Notre identité collective est construite sur des peurs. La peur des terroristes. La peur du virus. La peur des mutations climatiques. La peur d’un système conduit par des dangereux, qui opèrent entre semblables. Nous avons des peurs en commun. Il est urgent de délimiter des espoirs collectifs. Des fiertés à partager. 

Notre génération est multiple, comme aucune avant. Nous ne pouvons pas (plus) vivre tous le même grand soir en même temps. Mais nous pouvons porter ensemble des nécessités communes. Pour une société juste, égalitaire, respectueuse. Et c’est tout aussi réjouissant. Et pour la première fois, les lendemains chanteront vraiment. 

Les Grands Soirs ne veulent rien dire. Nous méritons les Beaux Jours. 

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Arthur Guillaumot