Quel meilleur jour que la Saint Valentin pour se parler d’amour ? D’ailleurs, aujourd’hui,  c’est quoi l’amour ?  Peut-on encore croire à un amour « parfait » ? L’amour parfait, celui des romans, des films, de nos souvenirs ou de certaines expériences vécues est-il toujours d’actualité à l’ère du numérique, ère du mouvement #MeToo, ère capitaliste, ère d’un amour polymorphe. L’objectif n’est pas de vous faire peur et de vous dire que l’amour n’existe plus, mais ce sentiment partagé par tous, sous différentes formes, avec plus ou moins d’intensité est bel et bien devenu un objet sociologique. L’amour connaît une évolution, au travers de la société et de nos interactions. Je tenterai dans cette chronique, de vous décrire en quoi la société nous a conditionné à un amour changé, autrement dit comment la société a changé notre façon de dire, de faire et de voir l’amour. 

L’expérience amoureuse a souvent fait l’objet d’une expérience personnelle, propre à soi, nos croyances, nos représentations à travers des schémas, la plupart du temps, psychologiques. Cependant, rappelons que l’amour sous ses diverses formes mais également le couple, le mariage ou le divorce restent des interactions entre plusieurs personnes, prises par les institutions qui en ont formatés les tenants et les aboutissants. En France, le mariage homosexuel institué depuis 2014 a donné lieu à une transformation des logiques institutionnelles et culturelles. Nous ne pouvons alors tout ramener au soi, mais plutôt à la formation du soi au travers un ensemble d’interactions, de catégorisations, de tensions ayant une teneur sociale et collective propres à notre société moderne. 

 Je swipe à gauche… je swipe à droite… C’est un match !

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Tinder, il s’agit d’une application de rencontre où il suffit de poster quelques photos de nous et une « biographie » qui est censée nous représenter. Si chacune des deux personnes swipent à droite, cela veut dire que cette personne m’intéresse et donc, c’est un match, ce qui conduit à une éventuelle discussion. Une façon originale de CHOISIR quelqu’un. Le choix… aujourd’hui nous avons une certaine liberté et autonomie dans nos choix. Le choix est une volonté personnelle, propre à notre désir et/ou plaisir. Plus que jamais, nous avons le choix d’être amoureux ou non, d’être en couple ou non, d’être hétérosexuel, bi-sexuel…* Une autonomie qui procure une liberté d’actions, de décisions, de sentiments et de ressentis.

Se dessine aujourd’hui à travers cette liberté toute puissante, une liberté à la fois sexuelle mais également une liberté émotionnelle. La liberté sexuelle revendiquée depuis les années 60 par les mouvements féministes, les médias, ayant permis au droit à l’avortement et à l’arrivée de la contraception, fut l’une des premières révolutions dans nos libertés. 

Cependant, la liberté émotionnelle laisse place à l’incertitude, le doute, l’angoisse, à une expérience personnelle flou, à l’inconnu… Autrement dit, à toutes ces sensations d’insécurités personnelles qui traversent aujourd’hui nos relations et nos interactions : « Cette relation va-t-elle me nuire ? » ; « Est-ce que cette personne est bonne pour moi ? » ; « Est-ce-que je peux retomber amoureuse ou amoureux ? » ; « Pourquoi je n’arrive plus à m’attacher à quelqu’un ? ». Toutes ces questions qui nous ont au moins une fois traversé l’esprit.  Des angoisses et incertitudes, qui aujourd’hui, dépassent le champ de l’amour et peuvent se rapporter au marché de l’emploi, au dérèglement climatique, à la politique. Toutes ces questions sociétales que l’on entend à la radio, voit à la télé, lit dans un journal ou un magazine… Bref, à ce qui fait société !

Si on ajoute ces différentes formes de choix aux applications de rencontres telles que Tinder, Happn, Grindr. Je vous laisse imaginer le joyeux bordel dans nos têtes… Le but ici n’est pas juger les comportements des personnes quant aux sites de rencontres, mais bien de prendre conscience que l’amour, nos choix, les relations plus généralement, évoluent, notamment à travers le numérique (applications de rencontres, réseaux sociaux), mais aussi à travers une société qui se veut de plus en plus consumériste. Finalement, les relations ne seraient-elles pas comparables à nos courses ? J’ai le choix de choisir ce produit mais je ne sais pas s’il est bon pour ma santé, je ne préfère pas regarder le nutriscore qui indiquera forcément un “D” (mais qui regarde le nutriscore au final ?). Je vais tout de même essayer ce produit, puis, dans trois jours je prendrai celui d’une autre marque pour évaluer lequel sera le meilleur ?  

L’amour devient objet de consommation, nous consommons l’amour. Toujours plus vite, toujours plus bref : un amour instantané. Un amour algorithmique, efficace, avec comme message : “Pourquoi  s’embêter à perdre du temps en faisant des rencontres spontanées ? Tinder vous propose un large choix préétabli, il n’y a plus qu’à swiper !”. Si je retourne à ce supermarché, pourquoi chercher des recettes de cuisine sur Insta ou TikTok, direction le rayon des surgelés avec des plats préparés (sans regarder le nutriscore). 

Je ne souhaite pas faire une généralité, toutes les relations ou début de relations ne se résument pas à cela. La société dans son fonctionnement, conduirait-elle à une détérioration des relations ? Ou au contraire à les étendre ? Je vous laisse ce CHOIX… 

Le Casual sex est devenu symbole de cette liberté

Plan Q, sex friend, aventure sans lendemain… bref, du sexe sans engagement, qui permet de bénéficier des plaisirs charnels sans instaurer une relation. Avec une liberté émotionnelle de ne désirer que « du cul » sans l’affect derrière représente un amour moderne. On retrouve derrière ces nouvelles pratiques une forme de consumérisme, s’il n’y a aucune attente des deux partenaires, aucune volonté de projection, le simple fait d’éprouver ce plaisir physique avec un détachement émotionnel, se rapporte à une forme d’échange, anonymisé, éphémère enlevant toute singularisation de l’acte. Deux personnes (ou plusieurs) échangent ce service basé sur le plaisir sexuel sans attente, contrepartie et lendemain.  

Cette sexualité passionnelle en dit long sur notre société et les nouvelles formes d’amour et d’interaction entre les personnes. On peut en choisir le contenu, la forme, la durée, la manière dont on se choisit ou non, entre ou non en relation. Le sexe sans lendemain ôte toute part d’engagement, comme si l’amour était devenu une option encombrante. Ce qui prime ici c’est le plaisir, encore une fois le choix de pouvoir multiplier les relations et partenaires à condition d’avoir la capacité d’un minimum de détachement et distance émotionnelle. 

Quand il disait que l’amour était à réinventer, Arthur Rimbaud avait raison en avance. On peut qualifier aujourd’hui l’amour comme une fuite désordonnée. Mais quoi de mieux que le désordre pour laisser place à la créativité, se laisser penser l’amour et le réinventer. Alors laissez-vous guider par un amour, sentez-le, regardez-le, vivez-le !

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* : https://www.onsexprime.fr/les-genres-et-les-orientations

Photo à la une : Les amants, de René Magritte. 1928, huile sur toile, 54×73 cm, MOMA New York. 

Texte par Cam