S’il y a bien un jour où je suis très mal à l’aise avec l’idée d’être français, c’est le 14 juillet. Et celui-là en particulier. Je pensais que le temps allait estomper cette impression désagréable, mais c’est l’inverse qui se produit. Est-ce une désinvolture adolescente qui persiste ? Mes yeux de jeune adulte voient pourtant les mêmes choses en plus grands que ceux de l’adolescent qui détestait par principe la violence crade de l’hymne sanguinolent et la fraternité d’ascendance consanguine de ceux qui se drapent dans le drapeau tricolore. 

Est-ce ainsi ailleurs ? Doit-on chanter avec la main sur le cœur pour prouver son appartenance à la patrie ? Faut-il choisir pour toujours et à jamais un pays auquel jurer allégeance ? Ces cérémonies me semblent datées, elles sentent la guerre, et la haine possible d’autres que nous, de voisins contre lesquels on aurait gardé des amertumes. 

Que doit-on revendiquer quand on est français ? Je crains que nous soyons la risée de nombre de pays dans le monde. Nos artistes sont-ils tellement plus libres qu’en Turquie quand Izïa est inquiétée par les autorités pour une fable sur le président ? Nos manifestations pacifistes interdites ont-elles quelque chose à envier à celles que muselaient la dictature chinoise à Hong-Kong ? La façon dont la police réprime en France est-elle vraiment plus évoluée que celle employée au Pérou en début d’année ? La France doit donner l’exemple sur la liberté d’expression et être une terre d’accueil pour celles et ceux qui cherchent une vie meilleure. Aujourd’hui, les révolutions passées semblent excuser dans une flemme globale les dérives autoritaires et le racisme latent.

 Je viens d’un endroit où le drapeau est avant tout celui des nationalistes, qui le brandissent pour l’opposer à d’autres. D’un endroit où la guerre en fait encore rêver quelques-uns et où les plus anciens se souviennent — fièrement, de leurs pathétiques services militaires en Algérie. La nostalgie belliqueuse de ces gens-là m’inquiète. Elle gagne du terrain quand les chaînes d’information en continu diffusent dans l’air un racisme que plus personne ne semble ressentir. En fait, dans un pays où l’extrême droite ne prendrait pas autant de place, je serai sans doute plus à l’aise avec le drapeau, et je pourrai tranquillement chanter l’hymne les soirs de matchs de foot ou de rugby de l’équipe nationale. 

Mais dans un pays qui refuse de regarder droit dans les yeux l’alcoolisme comme un problème de santé publique, le 14 juillet n’est qu’un prétexte de plus pour une grande beuverie, où le ciel gonflé est toujours prêt à éclater sur les oppréssé.es habituel.les. Les uniformes, comme l’alcool, ne sont que des parures pour les crapauds imbéciles qui cherchent des proies à la lumière des éclairs. Aussi longtemps que le pays ne regardera pas droit dans les yeux sa façon problématique de gérer la violence des hommes envers les femmes, et la violence systémique dont il fait preuve envers toutes les minorités, le 14 juillet ne sera qu’un totem oppressif. 

Dans un pays comme celui-là, qui se recroqueville et revendique son attachement aux dérives de son passé et au soufre de son présent, être français me fait honte. Si j’ai particulièrement de mal à me sentir français, ce 14 juillet, c’est parce qu’un jeune de plus est mort abattu par un représentant de l’ordre national. Nahel est mort pour rien, ne serait-ce que parce que rien ne justifie la mort. Ni pour lui ni pour personne. Je ne suis plus français jusqu’au jour où le policier aura été condamné pour son geste. Je ne suis plus français jusqu’au jour où Assa Traoré pourra s’endormir en ayant vu les policiers qui ont tué son frère condamnés pour leur geste. Je ne suis plus français jusqu’au jour où un vrai plan national sera mis en place pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Je ne suis plus français jusqu’au jour où les problématiques qui frappent de plein fouet les minorités seront des enjeux nationaux auxquels la majorité cherchera de vraies solutions. D’ici là, je vous laisse les feux d’artifice, les bruits de bottes et les vomis multicolores. 

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Arthur Guillaumot