L’info ressemble à une blague : Patti Smith a acheté une maison dans les Ardennes. Fin 2016, l’artiste américaine s’est offert la maison d’Arthur Rimbaud, à Roche, à 40 minutes de Charleville-Mézières. On a enquêté.

La Meuse fait un détour pour lécher les berges de Charleville. Sur les quais, le musée Arthur Rimbaud annonce la tendance : ici, le boss, c’est le Voyant. “Rimbaud immo”, “Arthur coiffure”, comme dans toutes les petites villes qui s’enorgueillissent d’une naissance illustre, on ne se prive pas de capitaliser sur la figure locale. Sur la “plage ducale”, des amas de sable trompent la grisaille, et quelques parasols semblent avoir poussé comme des fleurs mal semées.

Appelez-nous (© DIEGO ZÉBINA)

Dans les cafés de la place ducale, personne ne semble savoir que l’interprète de Because The Night a acheté une maison dans les parages. “Patti Smith, c’est notre jeunesse…” souffle un habitué. À La plaque tournante, le disquaire local, on tombe sur deux de ses vinyles, Horses et Radio Ethiopia. Le jeune gérant dit n’avoir jamais vu l’icône, mais a entendu qu’à Roche, elle se montre volontiers. Elle était là il y a quelques mois. “Elle n’a jamais poussé la porte du magasin. Je ne sais pas comment je réagirais.” Lors de son passage au Cabaret Vert en 2019, Patti Smith a été faite citoyenne d’honneur de la ville où elle vient régulièrement depuis le début des années 70.

La plaque tournante, à Charleville-Mézières (© DIEGO ZÉBINA)

Dans son New-Jersey d’origine, Patti Smith découvre Arthur Rimbaud à 16 ans, quand elle croise chez un libraire son visage adolescent sur la couverture d’un livre, qu’elle met dans sa poche avant de partir sans payer. Tombée en extase, elle s’imagine coucher avec lui dans un poème et développe dès lors un lien indéfectible avec le poète ardennais. En 1973 elle se rend sur sa sépulture pour le centenaire de la publication d’Une saison en enfer. “Il n’y avait personne. J’ai entrepris de nettoyer la tombe”. Dans M Train, récit autobiographique paru en 2016, elle raconte avoir enfoncé dans la terre autour de la tombe un collier de perles en verre bleu de Harar. Ce jour-là, avec ses immeubles en fond, la dernière demeure du poète semble taillée dans l’anis, quelques marques d’affection traînent sur la dalle, mais aucune trace de Patti Smith.

Elle a acheté mais elle ne vient jamais.

Le patron de la pizzeria Le Charlemagne à Attigny

En quittant la sépulture, on atterrit forcément au café qui fait l’angle en face du cimetière, Au dernier sou. Xavier, le taulier depuis près de trente ans, garde ses infos précieusement, d’autant que le gardien du cimetière était son ami. “Il vient de partir à la retraite, le cœur lourd, il ne veut plus répondre aux questions.” Xavier confie quand même qu’il a vu Patti Smith une fois et qu’elle l’a applaudi pour sa lecture d’un poème. De retour sur les quais, au musée Rimbaud, le personnel se crispe quand on évoque l’icône et marraine. “Je ne peux pas en parler sans appeler les services de la ville.” Charleville garde bien les secrets.

Le bar Au dernier sou, près du cimetière de Charleville (© DIEGO ZÉBINA)

Pour rejoindre Roche, le hameau dans lequel Rimbaud a écrit Une saison en enfer, il faut passer par Attigny. Les gens du coin dealent des messes obscènes avec les routiers de passage dans une pizzeria. “Elle a acheté mais elle ne vient jamais.” assène le patron avant de repartir en cuisine. “Si vous voulez des informations sur Patti Smith, allez à Vouziers” nous glisse le pizzaiolo, en nous transmettant le nom d’un contact “C’est lui qui tient la maison en état quand elle n’est pas là”.

Zazou devant le Bar de Lorraine, à Attigny (© DIEGO ZÉBINA)

À quelques mètres, un problème technique empêche le Bar de Lorraine d’assurer sa partie restauration ce jour-là. La troupe au comptoir est au café ou à la bière. Zazou vient de finir sa boisson. Elle, elle a déjà vu Patti Smith. “Il faut aller voir ma nièce, qui tient le centre équestre à Roche.” Les pistes mystérieuses s’opposent et les averses se succèdent. C’est Roche qui l’emporte et on met le cap sur le bastion familial des Rimbaud.

“Patti Smith est venue m’embrasser, tout le monde lui avait parlé de moi.”

Mme Aubry, spécialiste de Rimbaud et voisine de la propriété

Quelques oies montent la garde sur le vaste terrain de Sarah Bourtembourg. La propriétaire des lieux assure une séance d’équithérapie dans son manège. “Allez, on se penche et on attrape la boîte.” Ce n’est pas la première fois que des gens viennent lui poser des questions sur sa célèbre voisine “qui vient toujours accompagnée de deux hommes.” Comme le 30 septembre dernier, pour l’inauguration du sentier “Sur les pas de Rimbaud”. Elle nous confie que Patti Smith aime la paix de sa nouvelle demeure où elle peut “flâner sur une chaise devant la maison, à la façon d’une habitante du coin.” Maison qui reste inhabitable. “Quand elle vient elle loge plutôt dans un hôtel de Charleville où elle a ses habitudes”. La séance est presque finie et Sarah est catégorique “C’est Mme Aubry que vous devez aller voir maintenant”.

Sarah Bourtembourg dans son centre équestre Aux sabots de vent, à Roche (© DIEGO ZÉBINA)

En septembre dernier, Patti Smith est venue m’embrasser, tout le monde lui avait parlé de moi” nous confie Mme Aubry, qui a consacré une partie de sa vie au poète. La petite chapelle du village de Chuffilly-Roche est posée sur un promontoir et accueille ce jour-là une exposition consacrée à Rimbaud par un artiste japonais.

Mme Aubry (© DIEGO ZÉBINA)

On reconnaît facilement Mme Aubry au premier rang. Même à 85 ans, son visage s’illumine quand on évoque Arthur. Elle nous rappelle d’abord que la maison rachetée fin 2016 par Patti Smith n’est pas celle qui a vu Rimbaud boucler Une saison en enfer dans la fièvre, ni gémir à son retour d’Afrique à la veille de sa mort. “Celle-ci a été détruite pendant la Première Guerre Mondiale et le mur qui subsiste n’est pas officiellement sur la propriété.” Elle le sait mieux que personne, son mari a été maire de la commune et elle habite à deux maisons.

La chapelle de Chuffilly-Roche (© DIEGO ZÉBINA)

Manuel Sanchez a entendu notre conversation. Créateur des Rimbaud du cinéma, il nous révèle que lors de sa première visite à Charleville il y a plus de 50 ans, Patti Smith serait venue de nuit dans le cimetière, chanter sur la tombe d’Arthur. Interpellée par la police, elle aurait été sauvée par un commissaire qui avait un poster de Rimbaud dans son bureau. 

Boîte aux lettres abandonnée, sauf par les mots des fans (© DIEGO ZÉBINA)

Place Rimbaud, à Roche, la maison est posée au bord de la route et des arbres draguent la devanture. “Sur ces lieux, Rimbaud a espéré, a désespéré et souffert.” Et Patti Smith a investi dans l’immobilier. La boîte aux lettres est ouverte et on découvre des mots laissés là par des admirateurs. On imagine la chaise devant la maison et la copine des poètes beats qui se prélasse. À 77 ans, elle court après des fantômes littéraires depuis longtemps. Alors, on a fait comme elle.

Une maison en entière (© DIEGO ZÉBINA)

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Article tiré de Première Pluie magazine n°11, à découvrir ici.

Texte : Arthur Guillaumot

Photos : Diego Zébina

Graphisme (dans le magazine) : Mathilde Petit