Mathématicien de la simplicité. Il est d’accord pour qu’on le définisse comme ça. Sur son premier album, Alter Ego, il prend les paradoxes par leur face ensoleillé, jouant de rythmes dansants sur des phases millimétrées. La simplicité est une exigence, une affaire de vision brute et sincère. C’est un peu de ça, qu’il y a ici. Discussion.

Alter Ego, le premier album d’Icon est sorti le 12 novembre dernier. Ecoutez-le ici.

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Comment ça se passe la sortie d’un album quand on est confiné ? Tu avais sans doute imaginé les choses autrement. 

Écoute oui bien sûr. J’ai commencé à bosser dessus il y a un an. Avant le Covid. Par exemple, je m’imaginais qu’on pourrait danser sur certains sons. 

C’est vrai que ce projet peut être lu et perçu différemment, avec la façon contrainte qu’on a de l’apprécier actuellement. 

Oui, c’est vrai. L’album recoupe des sonorités parfois faciles, dansantes, et des sens plus profonds. Là je crois qu’on se concentre plus facilement sur la deuxième option. 

En voulant raconter une histoire, souvent on prend soi-même conscience des choses. 

Comment l’Alter Ego, c’est le titre de l’album, accepte d’aller aussi loin dans le récit de soi ? 

Ça c’est vrai que c’est le grand pari pour moi. C’est peut-être surprenant, mais je suis quelqu’un de très pudique. Je n’aime pas raconter ma vie. C’est aussi pour ça que j’ai beaucoup écrit pour les autres. C’est plus facile de se cacher. Mais là, je voulais faire un album qui parlait de mes expériences. Donc c’est l’exercice de la vulnérabilité absolue. Ça a été une introspection. C’est un peu thérapeutique finalement. En voulant raconter une histoire, souvent on prend soi-même conscience des choses. 

En fait c’est devenu un outil même pour toi ? 

Ah mais complètement. Je m’en suis rendu compte. Tu vois, j’ai commencé par les titres, on va dire les plus légers. En rentrant dans le coeur du projet, je me rendais compte que j’invoquais des émotions refoulées. Celles qu’on zappe avec la vie. Là, j’ai regardé toutes mes émotions en face. 

On recherche ses propres limites, on se dépasse soi-même.

Tu disais que tu as commencé par les titres les plus légers. Est-ce qu’au bout d’un moment, pour que ça soit excitant, il y a une nécessité d’aller plus profond, est-ce que tu pourrais même aller plus loin maintenant ?

Alors ça, c’est une super question. Je pense que quand on commence un projet, on a quand-même une idée plus ou moins précise de l’endroit où on veut aller. Mais plus on s’y met, plus on y prend goût et plus on en veut. On veut explorer le plus loin possible. C’est mon cas, j’ai toujours envie d’aller plus loin. Mais je pense que c’est pour beaucoup d’artistes. Une fois que l’idée initiale est atteinte, on veut aller plus loin. On veut pousser, le thème, l’introspection, la réflexion. On recherche ses propres limites, on se dépasse soi-même.

Sur ces 10 titres, je ne voulais pas aller trop loin, pour garder une cohérence entre les titres du début et de la fin. Si je m’étais donné 6 mois de plus, j’allais encore plus profond, c’est sur. 

Il faut en garder pour la suite. 

Mais voilà. Et puis, bon, là, le Covid a tout chamboulé. 

En avançant dans l’album, je découvrais ce que j’aimais, ce que je voulais, qui j’étais.

Mais là, tu es en train de dire que tu n’avais pas prévu d’aller aussi loin, et que tu t’es surpris en y allant. 

Ah complètement. Dans les deux sens. Le résultat est très différent de ce que j’imaginais à la base. Je n’imaginais pas aller aussi loin, et aussi pas loin. Je me suis surpris, je me suis découvert. Sur certains morceaux, je n’imaginais pas que je pouvais oser ce genre de choses. En avançant dans l’album, je découvrais ce que j’aimais, ce que je voulais, qui j’étais. C’est ce qui permet d’avancer. 

Tu crois que les histoires qu’on met sur un projet, elles nous appartiennent un peu plus ou un peu moins ? 

Ce qui est drôle, c’est que c’est au moment où on écrit un morceau, on se l’approprie complètement. La dimension complexe se situe là. On est à la fois acteur et narrateur. On a plusieurs chapeaux, et on prend les situations sous plusieurs angles. Le fait de se l’approprier, de regarder une situation sous tous les angles aide à s’en détacher. Et c’est encore plus vrai quand ça devient une chanson qu’on partage avec le public. Ton histoire devient par un processus l’histoire de milliers de personnes. 

Je voulais me découvrir.

C’est pas étourdissant, parfois, de se dire que des gens vont s’approprier une émotion très intime ? 

Ah si ! Rien que là, je vois les retours. Je vois que chacun a sa manière de recevoir l’album. C’est une vraie richesse parce que ça élargit les perceptions. 

Photo : Lokmane

C’est venu de quel besoin, de quelle nécessité, de raconter pour toi, en ton nom ? 

Auparavant, quand j’écrivais pour les gens, même si je donnais des parts de moi-même, c’était toujours un exercice où je devais me mettre dans la peau des autres. C’est vertigineux, et on finit par s’y perdre. À force de vivre à travers les gens, on n’arrive plus à se retrouver soi-même. On ne sait plus qui on est, ce qu’on aime. J’étais arrivé dans cette situation où je voulais vraiment me découvrir moi, et apporter ce que je voulais apporter. 

Justement, qu’est-ce qu’on ne peut pas raconter, quand on écrit pour les autres ? Et est-ce qu’on peut glisser avec malice, des histoires intimes quand-même ? 

Bien sûr qu’on peut ! (Rires)

Et c’est maintenant que je suis devenu artiste, que je me rends compte de l’insolence d’avoir fait chanter certaines choses. En fait, le plus, quand on travaille pour les autres, c’est qu’on a un boulier devant soi. Et c’est la personne qui porte le morceau qui assume. Donc on peut, avec malice, glisser des choses trop osées pour nous. La limite, c’est qu’on ne peut donner qu’une partie de soi-même. Et c’est ce qui a pu devenir frustrant. J’ai eu parfois besoin de donner 100% de moi-même, sans pouvoir. 

Dans mon travail, j’utilise peu de mots, parce que je veux conserver quelque chose de simple, de sincère.

Qu’est-ce que tu as tenté, en parlant de choses qu’on veut porter à 100%, qu’est-ce que tu étais excité d’inaugurer sur Alter Ego ? 

Il y a eu pas mal de choses. Ce qui a été dur au début, c’est que je voulais concilier quelque chose de techniquement très dansant, très mélodieux. Une musique légère, mais sans tomber dans le cliché. Je ne voulais pas que ça soit superficiel. C’était très difficile d’allier les deux. Dans mon travail, j’utilise peu de mots, parce que je veux conserver quelque chose de simple, de sincère. Et quand on a peu de mots, le choix est assez technique. Au début c’était compliqué. 

Est-ce que tu te mettais des limites ? Parce que rester simple, justement, c’est compliqué. 

C’est marrant que tu dises ça. J’ai une manière d’écrire un peu spéciale. J’entends la musique presque comme des chiffres. La profondeur vient des paroles. Donc si je veux garder la simplicité, je dois m’appliquer sur la mélodie. Or, la mélodie, c’est des maths. Il y a une forme de contrainte. Donc quand je créais, je notais le nombre maximal de syllabes que je pouvais utiliser. J’ai été très strict avec moi-même. Niveau écriture c’était difficile. 

Photo : Lokmane

Tu sais quoi ? Tu as presque anticipé ma prochaine question. Tu penses que le rythme, justement, c’est plutôt une science ou plutôt un sens ? 

Ouah. En vrai, ça dépend pour qui. J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de gens très différents. Chacun a sa perception du truc. Mais pour moi, dans ma conception, c’est vraiment une science. Après, tu peux calculer la musique, ça reste une émotion. Après, niveau rythmique, ça reste une science. Et quand on l’étudie, il y a des choses qui sont infaillibles. (Rires)

C’est la culture du paradoxe, tu allies les maths et la simplicité. Rien que pour ça, je te sacre mathématicien de la simplicité. 

Ahh génial. Comme ça on pourra dire que je fais aimer les maths en plus. Mathématicien de la simplicité je prends, ça me va, c’est bien. 

C’est un saut dans l’espace.

Est-ce que tu fais confiance à ton instinct, je parle d’écriture, ou alors est-ce qu’au bout d’un moment il y a une mécanique des syllabes ? 

L’instinct me donne la direction. Là dessus, je me fais confiance. Si je ressens fort quelque chose, je vais pouvoir le développer. Même si on essaye de m’en dissuader je continue. Il y a quand-même toujours un moment où la remise en question est violente. Mon côté cérébral revient et je me pose des milliers de questions. C’est une question d’équilibre. 

J’étais sur la question de l’équilibre se posait pour un mathématicien de la simplicité. D’ailleurs, on va se dire la vérité, c’est très dur d’être sûr de ce qu’on est en train de faire quand on fait des morceaux dansants. On peut pas mentir avec le rythme. 

Ce que tu viens de dire c’est incroyable. Je me suis rendu compte que certains types de morceaux plus “sobres” sont plus faciles à ressentir. Moi, en travailant sur Alter Ego, au bout de quelques morceaux, je me suis dit “C’est le saut dans l’espace”. (Rires)

Quand tu fais une musique dansante, et en même temps un peu profonde. Tu es hors format. Quand tu joues avec les codes, c’est dur de te situer. Oui c’est le saut dans l’espace. 

Dernière question, qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ?  

Pour moi, la première pluie, c’est vraiment les débuts. Paradoxalement, elle peut amorcer l’hiver et le printemps, la première pluie. Je crois que j’y ressens plutôt le renouvellement.

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Arthur Guillaumot / Photos : Lokmane

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