L’édito de la rentrée de septembre, sur Première Pluie, c’est un peu devenu une institution. Je me souviens des mots que j’employais en septembre 2018, puis au même moment, il y a un an. Le monde, qui change, le monde en mouvement, et notre génération qui doit changer le monde. Le monde qui est à nous. À nous le monde ! 

Et cette année, le monde a changé. Pour de vrai, profondément. Sans qu’on le veuille. Sans impulsion spontanée, volontaire. Pour le moment, rien n’est comme avant. Et pour longtemps. Les plaies économiques, dans de nombreux secteurs sont immenses, et certaines fractures sociétales émergent, profondes, douloureuses. 

Relisez l’édito de la rentrée de septembre 2018.

Ces temps-ci, il est plus que jamais question de notre génération. Cet été, il suffisait d’allumer la radio, la télévision, ou de se promener trop près des comptoirs, ou des tablées. Tout le monde s’était mis d’accord pour identifier un groupe de coupables de la potentielle deuxième vague de l’épidémie. Qui alors ? Qui les coupables ? Nous. Les jeunes. Ça ne veut rien dire les jeunes ? Peu importe. C’est un raccourci idiot et facile pour trouver un bouc-émissaire ? Pas grave. Ils sont déjà assez accablés de ne pas trouver de jobs d’été ? On s’en moque. Leur avenir est incertain, leur futur sera morose ? Pas notre problème. 

Aux yeux des générations qui nous précédent – hormis quelques alliés, et des amis du mieux – nous sommes des menaces. Et vous savez quoi ? Tant mieux. Prenons en notre parti. Enregistrons que le fracture n’est pas de notre fait, et dansons sur la crevasse. 

Je sais où se situe la génération qui m’importe quand on sait que les plus âgés sont largement celles et ceux qui se soucient le moins de l’écologie. Je sais où si situe le Bien quand je vois des gens de mon âge, des gens plus jeunes, des jeunes de toutes les couleurs, de tous les horizons, se rassembler pour demander la Justice pour Adama Traoré. Pas du côté de ceux qui soutiennent des forces de l’ordre incapables de se désolidariser de la violence systémique de leurs professions. La fracture n’est pas de notre fait. 

Depuis quelques années maintenant, les sarcasmes, le mépris, la déconsidération des vieux chiens bavants du système politique – le système médiatique fait parfois partie du système politique – sont autant de déclaration de guerre. Un dirigeant politique qui se moque des jeunes qui manifestent pour dire leur mécontentement contre l’inaction des gouvernements en matière d’écologie : c’est une violente déclaration de guerre. La fracture n’est pas de notre fait. 

Relisez l’édito de la rentrée de septembre 2019.

Et quoi de plus facile que de pester contre la génération qui dénonce, sanctionne sur les réseaux sociaux quand elle n’a pas ou presque pas d’incarnations* dans les débats et les assemblées institutionnelles ? Une génération qui a trouvé une source riche d’informations souvent occultées par les canaux traditionnels. Je suis profondément fier de voir comme notre génération porte par exemple, via les réseaux, la dénonciation du sort réservé par le régime chinois à la minorité Ouïghoure et aux manifestants de Hong-Kong. Je suis fier d’appartenir à une génération qui utilise ses réseaux sociaux et se réapproprie la rue pour dénoncer les violences policières et le racisme systémique. Je témoigne ici de mon admiration profonde et de mon soutien total pour les Femmes, qui collent, la nuit, dans la rue, des messages pour dénoncer les féminicides et les agresseurs de toutes les natures. 

Si vous êtes jeunes en France, en 2020, vous êtes une menace. Une menace pour une forme très aboutie et très installée de système oppressif. Parce que vous appartenez à une génération qui identifie et dénonce les oppressions, et qui se donne les moyens de lutter. Ensemble.

Vous êtes une menace quand vous descendez dans la rue, pour dire votre indignation face aux violences policières. Vous êtes une menace quand vous descendez dans la rue pour dire votre mécontentement contre l’inaction en matière d’écologie ou de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous êtes une menace quand vous demandez des comptes à un système encore nécrosé par un racisme et un patriarcat systémique.

Lisez ici notre revue de presse des mobilisations partout dans le monde pour la Journée Internationale de lutte pour les droits des femmes.

Il ne fait pas bon faire partie d’une minorité, il ne fait pas bon être handicapé, il ne fait pas bon être une femme, il ne fait pas bon être racisé, aux pays des Lumières. Parce que les minorités et ceux qui les défendent, dans une moindre mesure, sont montrés du doigt. Mais partout, dans le monde, des mouvements naissent, des voix s’élèvent. 

Lisez ici notre chronique « Les peuples luttent, partout », paru en décembre dernier.

Ils ont peur, ceux qui sont les plus durs, ils vous voient comme des menaces, pas parce que vous êtes si différents. Ils savent que la même matière vous constitue. Mais parce que vous êtes le futur. Parce que vous êtes le changement qui va les balayer. Ils savent que la fin de leur temps est venu. La fin de l’uniformisation des êtres, des visages, des sensibilités, des âges. L’horizon des différences qui sont des richesses, des dialogues. 

Soyez, devenez qui vous êtes. Réalisez. Dénoncez. Indignez-vous. Vous n’être pas seul/e. Le monde actuel est un glacier sous 100degré. Sa coquille craque et se décroche, au fil des luttes. Partageons nos afflictions, embrassons nos combats. Cultivons nos différences et partageons les au goûter. Relayons. Grossissons en silence les rangs des luttes qui ne nous touchent pas directement.  Et levons nos poings. Le monde est à nous. 


Arthur Guillaumot / La rédaction de Première Pluie