Gwenaël Morin est un créateur hors normes. Il a adapté des dizaines de classiques, devenant maître dans l’art de la rénovation. À Avignon, il s’attaque à un autre maître : Shakespeare. Le Songe d’une nuit d’été, comédie fabuleuse de l’auteur anglais, devient Le Songe. 6 comédien·nes enjambent les 18 rôles et nous offrent un rêve au rythme exquis.

Le Songe d’une nuit d’été suit plusieurs histoires en une. Au centre : Athènes et sa mythologie, pendant le mariage de Thésée et Hippolyta, reine des Amazones. Autour, 3 récits mêlés. Un quatuor amoureux de nobles athéniens (Héléna aime Démétrius qui aime Hermia qui aime et est aimée de Lysandre), le royaume des elfes et des fées (le roi Obéron joue des tours à sa femme Titania grâce au lutin Puck) et un groupe d’artisans athéniens qui montent une pièce de théâtre pour le mariage. Toutes et tous se croisent tour à tour dans la forêt, territoire des songes, où ils se confronteront à leurs croyances, pour une nuit.

Un récit bien compliqué à aborder pour un public néophyte. Gwenaël Morin met une claque aux conventions et résout le problème par un simple tableau, où il inscrit le trajet des scènes et des personnages. Question suivante.

Le rêve est au centre de toutes les contradictions. Endroit de l’inconscient, des fantasmes, des interdits, des accomplissements, il est l’insondable, un sujet de recherche permanent. Il est le thème parfait pour que Gwenaël Morin illustre son art dramatique. Il crée, dans le jardin de la maison Jean Vilar (créateur du festival d’Avignon), un univers à lui, un univers de création permanente.

Photo de Christophe Raynaud de Lage

Il est lui-même le créateur du Théâtre Permanent : répéter, jouer et transmettre le théâtre pendant un an, tous les jours, sans pause. Et dans toutes ses pièces, on retrouve cette intensité, cette nécessité du jeu. Ici, l’espace se divise entre la scène, les coulisses semi-apparentes et le piano. Il se divise dans nos esprits, mais pour celles et ceux qui habitent le plateau, la division n’existe pas, tout n’est qu’un seul lieu et ils en arpentent les différentes parties.

Photo de Christophe Raynaud de Lage

Ce qui affole devant cette pièce, c’est le rythme. Vers 1h45 de spectacle, 5 secondes défilent, silence entre deux répliques. On se demande ce qu’il se passe. En effet, c’est la première fois qu’on est autorisé à souffler. Le reste du temps, tout s’enchaine sans trêve. Les comédien·nes ne prennent pas le temps d’être en costume pour commencer leurs répliques. On pourrait croire que c’est faire déshonneur au texte de ne pas le poser comme le voudraient les règles, c’est le contraire. Le Songe d’une nuit d’été n’est jamais aussi bien porté que lorsque qu’il créé la frénésie dans le public. Notre tête s’embrase, et nous aussi, pendant une nuit, nous visitons le merveilleux royaume des rêves.

Le Songe d’une nuit d’été n’est jamais aussi bien porté que lorsque qu’il créé la frénésie dans le public.

Photo de Pierre Grobois

Et cela ne pourrait exister sans une performance dingue des comédien·nes. 4 sont là tout du long, 2 sont acteurs/régisseurs et accompagnent les scènes de groupe. Chacun·e prend un pur plaisir à jouer et cela se voit, cela se transmet. On partage leur amour du jeu, on en devient amoureux. Dans cette tragédie qui vogue dans l’âme des personnages, on participe à une comédie. C’est « surjoué » parce qu’il le faut, les caractères sont poussés à l’extrême car c’est ce que Shakespeare voulait nous dire. Rigolons de la foi de ces nobles en un amour qu’ils ne comprennent pas, regardons-les se battre pour lui alors qu’ils n’en rêvent pas. C’est la confrontation de l’obligation et de la passion, et on doit rire de leurs désaveux.

Photo de Pierre Grobois

Gwenaël Morin nous transmet un texte du philosophe Zlavoj Zitek, love is evil, avant le début du spectacle. La fin du texte nous dit : J’ai toujours été dégouté par cette notion de « j’aime le monde ». [..] L’amour pour moi est un acte extrêmement violent, l’amour n’est pas :  » je vous aime tous ». L’amour signifie que je choisis quelque chose [..] même si cette chose est juste un petit détail ou une personne individuelle fragile à qui je dis :  » je t’aime plus que tout le reste ». Dans cette critique assez formelle, l’amour est diabolique.

De quoi comprendre la volonté du metteur en scène vis à vis de l’amour qui traverse Le Songe. C’est une pièce sur l’amour, évidemment, mais un amour violent, un amour de tragédie grecque pour lequel on peut tromper, tuer et mourir. Un amour qui résonne au plus creux du cœur, au plus profond des rêves.

L’amour pour moi est un acte extrêmement violent, l’amour n’est pas :  » je vous aime tous »

Zlavoj Zitek
Photo de Pierre Grobois

Le Songe est une création fantastique. Une comédie qui réconcilie l’amour, la violence et les rêves. Elle signe la première des collaborations entre Gwenaël Morin et le festival d’Avignon. Pendant 4 ans, il créera un spectacle à partir d’une pièce du répertoire, en relation avec la langue invitée de chaque édition, cette année l’anglais, l’année prochaine l’espagnol. Ce compagnonnage s’appelle Démonter les remparts pour finir le pont. Un titre parfait pour résumer l’intensité créatrice de ce metteur en scène dingue, qui apportera, chaque année à Avignon, un souffle nouveau sur des textes intemporels de notre art, le théâtre. Sa vocation depuis maintenant plus de 25 ans.

une comédie qui réconcilie l’amour, la violence et les rêves.

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Vous pourrez retrouver Le Songe en tournée :

27 septembre au 20 octobre 2023 : Paris – La Villette
21 novembre 2023 : Martigues – Les Salins
28 novembre au 6 décembre 2023 : Montreuil – Théâtre Public de Montreuil
12, 13 et 14 décembre 2023 : La Rochelle – La Coursive
19 et 20 décembre 2023 : Rochefort – Théâtre de la Coupe d’Or
10 au 18 janvier 2024 : Toulouse – Théâtre Garonne
23 janvier 2024 : Foix – L’Estive
25 et 26 janvier 2024 : Tarbes – Le Parvis
31 janvier au 1er février 2024 : Chambéry – Malraux
7 mars 2024 : Bressuire – Théâtre de Bressuire
12 au 14 mars 2024 : Poitiers – TAP
19 et 20 mars 2024 : Brive – L’Empreinte
29 mars 2024 : Cargèse – Centre Culturel de Cargèse
3 et 4 avril 2024 : Rennes – L’Aire Libre

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Avec Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Nicolas Prosper
Texte William Shakespeare
Mise en scène et scénographie Gwenaël Morin
Dramaturgie Elsa Rooke
Chorégraphie Cecilia Bengolea
Création sonore Grégoire Monsaingeon
Lumière Philippe Gladieux
Costumes Elsa Depardieu
Régie générale Jules Guittier, Nicolas Prosper
Durée : 2H10
Plus d’informations sur le spectacle

Photos de Pierre Grobois et Christophe Raynaud de Lage.

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Josh