On s’est rendus au CCAM, Scène Nationale de Vandœuvre-lès-Nancy, pour voir la dernière création du Munstrum Théâtre. Les Possédés d’Illfurth est le voyage initiatique de Lionel Lingelser, co-auteur, metteur en scène et acteur. Un seul en scène saisissant où il invoque ses démons pour lier son parcours de comédien à ses traumatismes.

La force du spectacle s’impose dès les premières minutes. Lionel Lingelser laisse une scène vide, dénuée de décor et de coulisses. Il apparait, couronne sur la tête, tambour à la main, en haut de la salle. Puis il descend sur chaque marche en courant, tel un héraut grec avant une déclamation. Ici il jouera les trois : celui qui tambourine, celui qui déclame et celui qui agit. Il l’annonce sans le dire : il n’aura besoin que de lui-même pour traverser ce qui suit.

C’est une chorégraphie millimétrée tenue pendant 1h15, sans bluffer.

Les Possédés d’Illfurth, c’est un conte sur sa vie. Comme point de départ : ses difficultés de comédien une fois devenu acteur professionnel, avec dans les mains un rôle titre sous les ordres d’un grand metteur scène. Son travail d’acteur l’amène à traverser ses étapes fondatrices, pour relier 3 histoires de possession en une.

Tout d’abord l’histoire tragique de deux jeunes enfants d’Illfurth, Théobald et Joseph, diagnostiqués possédés en 1864 par l’Eglise, puis exorcisés en place publique. Ensuite, la possession que doit trouver l’acteur pour incarner un personnage, qu’on lui demande pour évoluer en tant que comédien. Enfin, la possession par les autres, de la cellule familiale au traumatisme qu’il a subi durant toute son enfance.

© Claudius Pan

On suit Lionel Lingelser à travers ces différents récits, enfin suivre n’est pas adéquat. Il nous emporte vers ces récits, par une force d’interprétation difficilement égalable. L’alternance entre tous les personnages qu’il incarne requiert une précision d’orfèvre. C’est une chorégraphie millimétrée tenue pendant 1h15, sans bluffer. Il arrive même à faire croire à toute une salle qu’il a vraiment oublié son texte, alors qu’il n’y a que son personnage qui subit la situation. Lui, bien évidemment, maitrise parfaitement sa partition.

Il ne s’agit pas seulement d’incarner tous les différents personnages d’une seule pièce, ce que subissent en ce moment nombre de grands classiques. Lionel Lingelser s’incarne lui-même puis ses proches, puis lui-même, puis des fantasmes, puis des traumatismes, puis tout ce qui l’a un jour traversé. C’est un voyage intérieur, où rien n’est omis.

© Claudius Pan

Lors de cette aventure, c’est les connexions entre les trames narratives qui apportent toute la saveur de la performance. La patte dramaturgique de Yann Verburgh, co-auteur, permet de dépasser le récit et les récits. On rentre dans ce que le théâtre peut apporter de magique. Lorsque l’acteur sur scène joue lui-même l’acteur, il y a 15 ans, se replongeant dans son enfance pour débloquer son jeu, arracher ses masques, terrasser ses chaînes, on touche des sensibilités variées, sur 3 plans différents qui s’assemblent. Dans le corps de l’acteur, sur le plateau, on ressent les 3 plans en même temps, on aperçoit le tracé des chronologies.

L’aventure d’un héros grec qui s’affranchit des temples établis.

On est happés par la puissance du jeu de Lionel Lingelser, qui à chaque incursion dans un nouveau corps, dans une nouvelle temporalité, arrive à saisir des bribes de réel. Il dynamise constamment son spectacle, en ajoutant de la force au fur et à mesure. Pas de la force vocale ou émotionnelle, mais de la force dramaturgique, faisant prendre de plus en plus de sens au récit global sans jamais faire retomber l’instant. Il creuse constamment en lui. Comme le lui dit le metteur en scène Omar Porras à son lui d’il y a 15 ans, « l’efficacité est le pire des défauts« . Alors Lingelser ne sera jamais efficace, il sera vrai.

Il tisse des liens entre toutes ses intimités, les fait interagir, pour qu’elles finissent par se compléter et ne former qu’un seul grand récit initiatique. Ce spectacle est un nouvel exorcisme public, une revanche pour Théobald et Joseph, où chasser les démons n’a ici rien de religieux, mais est devenu une réalité, de force. C’est un pamphlet sensible contre les drames qui se sont ancrés dans nos mœurs. L’aventure d’un héros grec qui s’affranchit des temples établis.

© Claudius Pan

En tournée :

20 au 22 décembre 2023 – Le HavreThéâtre des Bains Douches

21 au 23 février 2024 – BruxellesThéâtre Varia

5 et 6 mars 2024 – NiortLe Moulin du Roc

12 mars 2024 – UccleCentre culturel d’Uccle

14 et 15 mars 2024 – GenèveForum Meyrin

20 au 30 mars 2024 – LyonThéâtre des Célestins

5 et 6 avril 2024 – Chalon-sur-SaôneEspace des arts

16 avril 2024 – GuiseFamilistère de Guise

14 mai au 1er juin 2024 – ParisThéâtre du Rond-Point

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Mise en scène et interprétation Lionel Lingelser
Texte Yann Verburgh, en collaboration avec Lionel Lingelser
Collaboration artistique Louis Arène
Création lumières Victor Arancio
Création sonore Claudius Pan
Régie Valentin Paul
Production Munstrum Théâtre
Durée 1h15

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Josh