Bérangère Vantusso, nouvelle directrice du Théâtre Olympia de Tours et artiste associée au Théâtre de la Manufacture, livre sa version de Rhinocéros, le classique du théâtre de l’absurde écrit par Eugène Ionesco en 1959. Dans cette création, elle relaie les dangers du conformisme avec un décor uniquement construit en cubes blancs.

® Ivan Boccara

Rhinocéros est la pièce la plus connue de Ionesco et la plus représentative du théâtre de l’absurde. Dans une ville inconnue, des rhinocéros apparaissent. Il s’agit d’une épidémie, appelée « rhinocérite », transformant les humains en pachydermes. Béranger est témoin de l’évolution de la maladie, il voit ses amis et collègues se transformer les uns après les autres. Il est le dernier humain à choisir de rester lui-même. Ionesco peignait par cette métaphore la montée des idées totalitaires avant la Seconde Guerre mondiale, et les dangers d’une pensée unique.

Cette histoire d’apparition de rhinocéros, c’est la même depuis des siècles.

2024, les idées fascistes sèment leurs graines comme il y a un siècle et elles prennent le pouvoir de plus en plus souvent. Les leçons que tiraient Ionesco semblent toujours nécessaires, et Bérangère Vantusso parvient à s’en emparer pour poursuivre leur apprentissage.

® Ivan Boccara

Mettre en scène Rhinocéros, c’est un défi. Il s’agit d’être ni littéral ni caricatural. Mission réussie grâce à la scénographie de Cerise Guyon. Pour construire son décor, elle utilise uniquement des cubes en céramique blancs. À l’image d’une pensée conformiste : tous semblables, carrés, fermés. Ils permettent de tout créer, de tout imaginer : tables, verres, chaises, lits, chats, etc. Certains cubes se brisent au cours du chemin. Seuls, ils sont fragiles, comme l’est chaque individu hors du troupeau. Ensemble, ils sont impénétrables et infinis. Ils se remplacent automatiquement, la masse conformiste ne faiblit jamais.

® Ivan Boccara

Sur le mur de cubes se forment des lignes, des trous, des reliefs, qui orientent l’imaginaire vers la simulation. Comme si Vantusso nous montrait une simulation du conformisme. Cette histoire d’apparition de rhinocéros, c’est la même depuis des siècles. C’est une simulation humaine, et les comportements prennent les mêmes apparences dans des contextes différents. C’est pour cela que le décor est immaculé, sans aucun détail ni style particulier. On ne peut préjuger qu’il s’agit d’un endroit ou d’une époque précise. C’est une montagne de cubes blancs, synonyme des individus biaisés sous une pensée unique. Une montagne qui peut apparaitre n’importe où.

® Ivan Boccara

L’adaptation du texte proposée par Nicolas Doutey va dans ce sens. Il fait répéter certaines répliques et mouvements, forçant les personnages à s’interrompre, à recommencer, à bégayer. La simulation revient sur ses pas, elle reste ininterrompue mais il y a des bugs dans cette matrice, des moments de doute. Il y a des échappatoires, et ils permettent à Béranger de résister.

® Ivan Boccara

Le mur de cubes est d’abord éloigné de l’avant scène. Il laisse place à la première simulation de la vie. Les individus se relayent au centre de l’attention mais ne font que passer. Une ruée moderne qui défile en continu. Ces mouvements chorégraphiés sont utilisés à chaque entracte, ils marquent à la fois le passage du temps et l’avancée du mur, qui se rapproche au fur et à mur que l’épidémie augmente. Le mur symbolise le danger, de plus en plus présent, et la pensée unique qui convainc des individus, qui grapille l’espace. L’idée réactionnaire se rapproche et elle ne laisse à Béranger qu’une place réduite, qu’un faible endroit de lutte.

® Ivan Boccara

Par l’utilisation de ce décor comme un personnage sans nom, comme métaphore moderne de la rhinocérite, Bérangère Vantusso prolonge la pédagogie de l’absurde de Ionesco. Les rhinocéros n’ont jamais disparu. Ils dirigent des pays. Ils répandent leurs idées mortifères. Ils s’intègrent au débat. Leur idéologie ruisselle dans les autres camps. Pour empêcher leur reproduction, il faut, contrairement aux personnages de Ionesco, prendre le temps de la réflexion. Il faut protéger la Culture et sa liberté d’expression, la préserver comme un phare face au conformisme, comme notre dernier rempart face à l’aliénation. Cela passe par aller voir ce spectacle, adaptation pertinente et soignée d’une œuvre intemporelle.

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Encore au Théâtre de la Manufacture : jeudi 25 à 20h / vendredi 26 à 14h30 et 20h / samedi 27 à 19h.

Prenez vos places.

Plus de détails sur le spectacle.

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Avec Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues De la Salle, Tamara Lipszyc, Maïka Radigales
Mise en scène Bérangère Vantusso
Adaptation et dramaturgie Nicolas Doutey
Collaboration artistique Philippe Rodriguez-Jorda
Assistanat à la mise en scène Pauline Rousseau
Scénographie Cerise Guyon
Lumières Anne Vaglio
Création musicale Antonin Leymarie
Costumes Sara Bartesaghi Gallo, Elise Garraud
Direction technique, régie générale et lumière Philippe Hariga
Création son Grégoire Leymarie
Régie son Vincent Petruzellis
Régie plateau Léo Taulelle
Accessoires Sébastien Baille
Production Cie Trois-6ix-trente
Durée : 1h30
Dès 14 ans

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Photo à la une de Ivan Boccara.

Josh