Avoir voyagé en Arabie Saoudite est encore maintenant une expérience rare. Jusqu’à la fin de l’année 2019, c’était le seul pays au monde qui ne délivrait pas de visa touristique. Le royaume n’ouvrait ses portes qu’aux expatriés, aux militaires ou aux musulmans en pèlerinage, et les femmes devaient se faire accompagner d’un tuteur masculin.

En octobre 2019, le prince héritier Mohammed ben Salman, dans sa logique de moderniser le pays, décide de proposer un visa touristique pour les ressortissants de 49 pays. La France en fait partie, et les voyageuses solitaires sont les bienvenues.

À ce moment-là, je voyageais dans un de ses pays frontaliers, la Jordanie, et j’ai sauté sur l’occasion de faire partie des premiers touristes du pays le plus fermé du monde, en tant que femme seule.

Quand cette idée m’a traversé la tête, j’ai demandé à mes proches quels préjugés ils avaient sur l’Arabie Saoudite, et pour tous, il évoque la charia islamique, la peine de mort par décapitation, la guerre contre le Yémen, la soumission et la privation de liberté des femmes. L’idée que c’est dangereux d’y aller et/ou que je serai privée de toute liberté était également présente. Un pays dont il serait donc plus éthique de s’offusquer que de le visiter.

À titre personnel, je me méfie toujours de ces jugements catégoriques qui font le tri entre les pays « gentils » qu’on aurait le droit de visiter et les pays « méchants » qu’il faut boycotter. Dois-je juger un pays à travers son gouvernement ou à travers sa population ? Suis-je capable de visiter un pays qui connait une très mauvaise presse en occident et le voir, avec ses habitants, avec un cœur et un esprit ouvert ? Je crois même que tout ce qui favorise les contacts entre les cultures peut être vecteur de changement, d’un côté comme de l’autre.

C’est comme ça qu’un mois après son ouverture au tourisme, je me suis retrouvée à passer la frontière Arabie Saoudite-Jordanie avec un saoudien rencontré trois jours plus tôt, et en n’ayant aucune idée de ce qui m’attendait au vu du peu de témoignages qui existaient à ce moment-là.

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J’y suis restée deux mois, partagés entre un road-trip de 5000 kilomètres et un mois dans le désert avec une famille bédouine, et voilà ce que j’en ai retenu :

 

DES COUTUMES QUI CHANGENT À VITESSE FOLLE :

L’Arabie Saoudite est la gardienne des lieux saints de l’islam. La religion musulmane et la garde de La Mecque et Médine font complètement partie de son identité. Le pays a connu une modernisation rapide après la découverte du pétrole, passant de tribus bédouines dans le désert à l’une des nations les plus riches du monde. Le royaume semble avoir été dépassé par une modernité trop rapide et les mentalités n’ont pas évolué aussi vite que les infrastructures.

Pour visiter ce pays, il faut respecter des règles bien strictes, mais parfois ambiguës, encore plus en ce moment.

Les temps changent pour les saoudiens en ce moment à une vitesse folle : le prince héritier Ben Salman fait pression pour assouplir les règles.

Ce qu’on peut retenir pour le moment, au niveau de la loi : comme dans la plupart des pays musulmans, il faut veiller à avoir une tenue couvrante, hommes comme femmes. Aucune marque de tendresse entre sexe opposé n’est tolérée dans l’espace publique. La consommation d’alcool, de drogue ou de porc est formellement interdite. Les magasins ferment pendant les cinq prières, il est interdit d’écouter de la musique à ce moment. La séparation des femmes et des hommes est présente dans tous les aspects de la société : les établissements d’enseignement, les restaurants. Il était interdit d’être avec le sexe opposé sans liens direct jusqu’à très récemment.

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Il y a une différence entre les lois et les coutumes, et respecter la loi ne suffit pas, j’ai dû apprendre les coutumes plus subtiles. J’ai eu des problèmes avec la police en étant avec des hommes en voiture. Ça n’a abouti à rien puisque c’est maintenant autorisé, mais ça reste mal-vu pour certains. J’ai aussi pris un bus pour aller à Médine, maintenant autorisé pour les non-musulmans à l’exception de la mosquée, mais le chauffeur a voulu me laisser dans une station-service en comprenant que je n’étais sûrement pas musulmane.

Bien que la burqa, ne dévoilant que les yeux, et l’abaya, longue robe couvrante, ne soient pas obligatoires, presque toutes les saoudiennes portent les deux et les étrangers sont priés de s’habiller de façon pudique. Par souci de discrétion et par respect, je portais une abaya à chaque fois que je sortais, et le Hijab dans les lieux plus reculés.

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L’AUTHENTICITE ENCORE PRESERVEE

Comme je le disais en introduction, ce qui m’a attirée dans ce pays c’est l’envie d’aller plus loin que les préjugés que j’en avais. Même en épluchant les comptes Instagram et les blogs de voyage, jamais je n’avais entendu parler de cette destination. Sans aucun témoignages ni aucune photo, ça a été facile d’être surprise alors que ce sont toujours les mêmes pays qui sont surconsommés.

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C’est un luxe incroyable que se sont offerts ceux et celles qui ont poussés les portes du royaume aux prémices du tourisme, car l’Arabie saoudite espère attirer des touristes « de grande valeur ». Des hôtels de luxe et des stations balnéaires sont en construction. Les calendriers se remplissent d’événements aux tickets très coûteux. Il semble aussi que les touristes seront plus encadrés, obligés de voyager avec un guide.

Pour attirer les attirer, par exemple, une «méga ville intelligente», NEOM, est en cours de construction dans le nord, promettant des dinosaures robotiques, des voitures volantes et des personnes holographiques (??).

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Cet état d’esprit qu’a le gouvernement saoudien conduira sûrement plus à une sensation d’être à Disneyland que dans un pays riche d’histoire et de culture, difficiles à ressentir parmi les boutiques de cadeaux, les cafés chics, l’éclairage excessif et les pelouses qui rendraient un parcours de golf jaloux.

Pour le moment, le royaume est encore loin d’être envahi de touriste et reste vierge des excès dus au tourisme de masse.

Pas de boutiques vendant des babioles, de rabatteurs, d’arnaques ou de files d’attente. Rien n’est encore fait pour les touristes, il faut se débrouiller et se détacher de l’esprit « vacances », ce qui peut être déstabilisant pour certains comme royal pour d’autres. L’authenticité et la bonté gratuite sont, encore pour un moment, garanties.

 

EXPERIENCES PERSONNELLES :

Je suis donc arrivée dans un pays aussi vierge de touristes que d’infrastructures. Se déplacer et se loger, pour les petits budgets, c’est compliqué. Oubliez les auberges de jeunesse et les hôtels Low-Cost, ils n’existent pas. Les saoudiens ouvrent leurs portes les bras ouverts.

Pour se déplacer, le pays est si grand (l’équivalent de la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume Uni, les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse réunis) que les saoudiens préfèrent se déplacer en avion. Ni écologique, ni économique, j’ai préféré passer par les routes du pays malgré la conduite disons audacieuse de ses habitants.

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Les distances sont longues, les routes sont généralement en lignes droites au milieu du désert, mais ce road trip fut tout sauf ennuyeux. C’est surtout dû à mes rencontres surprenantes. Bête curieuse, j’attirais l’attention, qui se transformait en une envie de partager avec moi : un prince m’a invité dans son château pour discuter, un futur guide touristique m’a pris sous son aile pendant une semaine pour tester ses services, un friand de sensation forte m’a appris à descendre des dunes énormes en 4×4 et à faire du parapente, un groupe d’une trentaine de femmes rencontrées par hasard m’ont laissé rentrer dans leur soirée privée, un éleveur de pur-sang arabe m’a laissée monter ses chevaux et m’a proposé de participer à une course d’endurance, un plongeur m’a emmenée admirer les coraux dans le golfe d’Aqaba. Tout cela, et plus encore, c’était totalement gratuit et spontané. Dans ce pays, il y a toujours quelqu’un pour proposer un thé, un coup de main, une histoire.

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J’ai été marquée par l’extrême hospitalité des saoudiens, héritée de leur prophète. J’ai rencontré une famille bédouine qui a insisté pour que je reste un mois avec eux dans le désert contre…rien. Ils m’ont traité comme si je faisais déjà partie de leur famille, et des mois plus tard, j’ai encore beaucoup de contact avec eux. Keffieh sur la tête et portable dernier cri dans les mains, les traditions ancestrales de ces anciens nomades se mélangent à la modernité.

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Dans ce désert, j’ai vu une entraide incroyable. Les problèmes des uns sont les problèmes des autres. Je suis partie une fois seule à trois heures de route de là, j’ai eu un problème que j’aurais pu gérer seule mais un des hommes de la famille n’a pas hésité une seconde à faire les six heures de route aller-retour pour m’aider.

Je me suis vite sentie très liée à ceux qui était pour moi des inconnus il y a encore peu. Tous les soirs, des dizaines de personnes venaient manger avec nous, tous par terre et avec les mains selon la tradition.

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La famille est importante, les amitiés aussi, et j’ai vu défiler une quantité de personnes incroyables dans ce désert. Les discussions au coin du feu, sur tous les sujets, étaient fluides. Pourtant ce n’est pas sans provocation que j’ai évoqué avec plusieurs personnes la place des femmes, la peine de mort par décapitation et la guerre au Yémen. La différence de culture est telle qu’on peut vite être choqué par certains propos, mais ce genre de voyage rappelle que le fait de juger aboutit souvent à un rejet et un repli sur soi-même. Accepter les différences culturelles, écouter sans préjugés m’a permis de me faire une idée de l’Arabie Saoudite beaucoup moins arriérée que ce que la plupart des gens pourraient s’imaginer.  Toutes les personnes que j’ai rencontrées sont très ouvertes aux étrangers et leur opinion, et sont plus qu’heureuses que les touristes foulent enfin leur sol et découvre leur pays par eux-mêmes.

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Marie Tissot / Photographies : Marie Tissot 

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